Rwanda, Paul Kagamé, Judi Rever ... et après ? (1/2)
Le livre de Judi Rever : « The Praise of blood. The crimes of the Rwandan Patriotic Front. Ed. Random House Canada, © 2018 suscite pas mal de réactions.
En attendant la sortie en français de cet ouvrage, j’en avais abordé l’édition anglaise et commis deux billets à ce sujet sous :
https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/le-rwanda-paul-kagame-et-judi-203545 et https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-rwanda-paul-kagame-et-judi-203783
Je terminais le second billet par :
« Il y encore tant et tant de questions pour des investigations libres qu’un deuxième livre de Judi Rever sur le sujet de ce qui s’est passé avant, pendant et après le génocide des Tutsi au Rwanda sera le bienvenu et le plus rapidement possible. La matière ne doit pas manquer à l’auteur ».
Bien qu’ayant reçu un total de près de 4.000 visites sur ces liens, je n’ai eu que 3 réactions, 8 votes (moyenne 4,8) et 33 « j’aime ». Etonnant, connaissant la sensibilité « hexagonale » sur la question et vu l’audience d’Agora Vox ! Mais, par contre sur la « toile », une simple recherche sur « Judi Rever », renvoi à plus d’une centaine d’articles. Je ne m’attendais pas à ce que ce livre suscite si rapidement tant de « commentaires » internationaux. Bien entendu pour les anglophones et francophones bilingues canadiens cela n’est pas tellement étonnant. Mais ce l’est évidemment beaucoup plus du côté purement « francophone de France », pays des libertés de penser et de s’exprimer ..... la barrière des langues faisant sans doute la différence.... Cependant j’ai épinglé une première réaction, celle de M. Jean-François Dupaquier[1] sur :
http://afrikarabia.com/wordpress/genocide-des-tutsi-du-rwanda-le-negationnisme-comme-best-seller/
Pour le commentaire de M. Dupaquier, connaissant la position défendue par l’association Survie, je ne m’attendais pas à lire des compliments à l’adresse de Judi Rever. Cependant le ton est d’une telle hargne qu’on se demanderait si elle ne relèverait pas d’une certaine panique devant une « mise dans les cordes » ? M. Dupaquier n’utiliserait-il pas alternativement l’attaque « Argumentum ad personam » et « Argumentum ad hominem » ;
« Si l’on s’aperçoit que l’adversaire est supérieur et que l’on ne va pas gagner, il faut tenir des propos désobligeants, blessants et grossiers. Être désobligeant, cela consiste à quitter l’objet de la querelle (puisqu’on a perdu la partie) pour passer à l’adversaire, et à l’attaquer d’une manière ou d’une autre dans ce qu’il est ; on pourrait appeler cela l'argumentum ad personam pour faire la différence avec l'argumentum ad hominem. ». (Schopenhauer)
Il faut bien admettre effectivement qu’une conviction profonde et sincère à laquelle a été attaché une structure reconnue officiellement (« Survie », loi 1901), peut effectivement conduire à un sentiment irrépressible de mission sacrée à accomplir. Mais cela justifie-t-il des excommunications tous azimuts ou, en quelle que sorte, des croisades, une inquisition ? .... Il n’en reste pas moins vrai que les modes d’expression utilisés pourraient être moins simplistes, reproche majeur généralement fait à ceux qui s’exprime autrement que de la manière convenue : « Négation » (négationnisme et négationniste) répétée 22 fois ; « révision » (révisionnisme et révisionniste), 8 fois ; « conspiration » (conspirationnisme et conspirationniste), 5 fois ; « complot » (complotisme, complotiste, complice et même complosion) : 2 fois....
De même pour les qualifications d’une journaliste d’investigation qui ne fait que son boulot, même peut-être d’une manière imparfaite et peut être critiquable, mais qui n’a pas, à ma connaissance, été traînée en justice depuis les 20 ans qu’elle publie dans la presse les idées qu’elle défend. Pêle-mêle : un échantillon de la prose de M. Dupasquier :
« Ecrivaine délirante ; obsédée ; thématique négationniste ; assertion délirante ; niaiseries racialistes ; caricature de la réalité ; intuitive et manipulatrice ; brûlot : diatribe ; fantasmagorique pourvoyeuse ; litanie de récits macabres ; personnalité fragile, tourmentée et sujette à des crises de paranoïa ; narration perverse ; prétentieuse journaliste canadienne cultivant l’anachronisme ; glosant sur ce qu’elle ignore ; chevalier blanc d’une nouvelle mais fragile bible du négationnisme ; s’il n’est pas possible de revenir ici sur toutes les inepties, les démonstrations d’incompétence, les contre-vérités, les faux-semblants et les falsifications contenues dans « In Praise of blood », etc.
M. Dupasquier cite aussi beaucoup de noms de personnes, ce qui appelle certains commentaires, malgré tout, pour nuancer leur « évocation » :
Pierre Péan dont, en passant, il faudrait signaler que, bien que qualifié d’auteur d’’écrits transgressifs, aurait gagné le procès qui lui a été intenté par SOS Racisme de Dominique Sopo (le quel aurait dit, lors d’une séance de ce procès, qu’« évoquer le sang des Hutus serait souiller le sang des Tutsis » ... Aucun parallèle entre le sang des Tziganes, des homosexuels, des Polonais, des politiques et le sang des Juifs... !)
Robin Philpot (frère de John Philpot, avocat de la défense dans le cas Akayezu au TPIR.) a tenu des propos à tendance négationniste. Selon l'historien Jean-Pierre Chrétien, Robin Philpot ne cache pas son « orientation négationniste ». Robin Philpot n’a jamais été condamné pour cela, certains de ses collègues prenant même sa défense (dont Lysiane Gagnon).
Paul Dresse, « agent territorial au Ruanda-Urundi dans les années 1940 et adhérent du mouvement fasciste belge » : « Cette race l’une des plus menteuses qui soit sous le soleil ». D’une part, suivant Cécile Vanderpelen-Diagre[2] : « Dresse a eu une attitude irréprochable pendant l’occupation ». Il n’a d’ailleurs pas été inquiété par la justice. D’autre part l’ethnographie en 1940 ignorait tout des pratiques culturelles de l’« Ubwenge » (= « La preuve de l’innocence est à charge de l’accusé » = Gacaca). C’est avec la mesure de caractéristiques physiques corporelles (entre autre au moyen de verniers) que se pratiquait l’anthropologie à l’époque. Et dès lors, pourquoi ne pas évoquer « Léopold II ; le caoutchouc, l’ivoire, les mains coupées..... » ne serait-ce pas une certaine forme d’anachronisme comme celle reprochée à Judi Rever ?
Ferdinand Nahimana, (« Patron » de la Radio des Mille Collines, ex-doctorant de Jean-Pierre Chrétien), dont la cas semble bien être très complexe et dont le verdict du procès semble poser comme un problème au niveau du TPIR[3] suivant Hervé Deguine (Ex Reporters sans frontières - Directeur des relations avec les ONG et les organisations de la société civile – Michelin)[4] [5]
Alison Des Forges, dont il faudrait rappeler que, depuis 2008, elle était « persona non grata » au Rwanda. En février 2000 (6 ans après le génocide) elle avait conduit Carla Del Ponte sur le site d’un charnier, les mouches bourdonnaient (encore ?), autour d’elles. Le gouvernement rwandais a refusé d’exhumer les cadavres de la décharge à ordures, pour enquête ..... Del Ponte n’a pas compris pourquoi le Gouvernement ne l’avait pas déjà fait ... depuis 6 ans (? ??). « Elle (Alison Des Forges) a regretté que le TPIR n'ait pas mené d'enquête sur l'attentat, qu'elle juge d'une « importance capitale dans la compréhension du génocide des Rwandais Tutsis »[6]. Elle a été tuée, revenant de Londres où elle avait conseillé le Gouvernement Britannique d’être vigilant à propos de l’entrée du Rwanda dans le Commonwealth, « son » avion ayant « craché » à l’atterrissage à Buffalo. (L’enquête n’a jamais pu déterminer la cause de la catastrophe).
Rakiya Omaar et Alex de Waal de l’ONG African Rights. Depuis que l’ONG Casques Blancs opère en Syrie, il y a de quoi se poser des questions. Mais « alors même que le génocide se déroulait sur les collines du Rwanda, ils (Omaar + FPR) effectuaient une colossale collecte d’informations tôt publiée[7] sous le titre « Death, Despair and Defiance ». Et les critiques n’ont pas tardées à fuser sur ce livre et les autres initiatives d’African Rights entre autre d’Amnesty International[8] et de Luc Reydams[9]
Filip Reyntjens, bien qu’ayant participé à l’aggiornamento politique de la deuxième république rwandaise en contribuant à la rédaction de la nouvelle constitution et qui a donc bien connu de l’intérieur le régime Habyarimana et ses dérives, semble condamné à n’être qu’un activiste « fantasmant ». Il est vrai qu’il s’est senti forcé d’abandonner sa participation au TPIR, celle-ci devenant clairement une collaboration à un tribunal des vainqueurs, depuis qu’Hassan Bubacar Jallow (12 ans de Procureur du TPIR) lui avait signalé qu’il prendrait en compte les éléments écartés (attentat du 6 avril) mais en était resté à cette déclaration d’intention....
Lef Forster dont il faut rappeler la collaboration avec un certain Bernard Maingain, avocat belge. Celui-ci a fait diffuser sur France 24 un document vidéo[10] « prouvant » que le président Nkurunziza du Burundi préparait un génocide en massacrant des opposants sur la parcelle de son parti à Karuzi le 14/01/2016. Le seul problème est que Maître Maingain a été manipulé ....... .par qui ? pour quoi ? ... La vidéo était vraie mais avait été tournée en Afrique de l’Ouest et non au Burundi !. De toutes les façons, le mal était fait. Peut-on rester confiant ?
Pour en revenir au titre de mon billet : « Rwanda, Paul Kagamé, Judi Rever ...et après ? » ; il faut souligner que M. Dupaquier spécule justement sur les intentions ultérieures de Judi Rever : « ruiner la réputation de Paul Kagame, le chef d’Etat du Rwanda, et contribuer à le faire tomber » : remarquons que c’est un peu excessif ... même si beaucoup de par le monde estiment qu’à la CPI, à côté d’un Paul Kagamé, on verrait bien un Bill Clinton, un Tony Blair, une Madeleine Albright et quelques autres complices...... mais il ne faut pas ..... rêver !
Pour l’ « après », en dehors de tout doute raisonnable, il y a l’édition française du livre de Judi Rever dont il est à parier qu’avec une opposition aussi forte que celle de l’association Survie ce ne sera pas chose simple ... Il suffit de se rappeler qu’au pays de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen il n’y a pas si longtemps Gallimard a sursis à la publication des pamphlets antisémites de Céline, la polémique autour de la publication en français de Mein Kampf d’Adolphe Hitler est à peine apaisée, le Monde a mis au point un Décodex et une loi serait envisagée contre les « fake news en période électorale » ......Cela porte à rêver ..... mais lorsque Martin Luther King eut dit « I have a dream »...il a été assassiné...Et c’est le gentil Guy Béart qui chantait : « le poète a dit la vérité, il doit être assassiné ... »
P.S. : Dans « Rwanda, Paul Kagamé, Judi Rever ...et après ? (2/2) » j’essayerai de faire connaître d’autres avis sur ce livre, si du moins la livraison 1/2 est admise par la communauté de la modération d’Agora Vox et si j’en ai et le temps et la santé.
[1] Survie : association loi 1901 créée en 1984
[2] Ecrire en Belgique sous le regard de Dieu (P115)
[6] « Le mandat du TPIR couvre l'attentat contre Habyarimana (Des Forges) » [archive], Agence Hirondelle, 6 mars 2007
[7] Septembre 1994 soit trois mois après la fin du génocide !
https://www.amazon.com/Rwanda-Despair-Defiance-African-Rights/dp/1899477004
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