Sandra Torremocha, soutien de Nathalie Arthaud : « l’interdiction des licenciements est une nécessité vitale »
Sandra Torremocha est porte-parole nationale de Lutte Ouvrière. Avec Frédéric Steinbauer, militant aquitain, elle revient largement sur le programme de sa candidate, Nathalie Arthaud, ainsi que sur la campagne.
MP : Vous plafonnez à 1% dans les sondages, Nathalie Arthaud fait-elle aussi bien que Arlette Laguiller ?
LO : Bien sûr ! Elle défend avec beaucoup de convictions les mêmes idées que Arlette Laguiller avec la même détermination et la même énergie. Cette campagne est très enthousiasmante, la colère que nous voulons exprimer dans le vote pour Nathalie Arthaud est extrêmement présente. Il n'y a pas un travailleur qui n'exprime pas ce ras-le-bol de voir que tous les prix augmentent et que les salaires ne suivent pas. La peur du lendemain est omniprésente dans chaque conversation à l'heure où il y a mille chômeurs de plus par jour. Les gens qui voteront pour nous ne voteronspas pour le père Noël mais pour un mai 68 avec des objectifs politiques.
MP : Vos formations sont toutes deux de l'extrême gauche révolutionnaire, vous partagez de nombreuses aspirations, quelles sont vos différences avec le NPA de Philippe Poutou ?
LO : Nathalie Arthaud est la seule candidate communiste dans cette élection présidentielle. Ou bien les moyens de production sont gérés collectivement et c'est du communisme ou il le sont de manière privé et c'est du capitalisme. Nous ne savons pas où situer l'anticapitalisme.
MP : Et avec Jean-Luc Mélenchon ?
LO : C'est tout à fait clair, Jean-Luc Mélenchon propose une révolution citoyenne qui ferait confiance à un « bon gouvernement de gauche » investit par les urnes et censé améliorer le sort des travailleurs. Il ne propose qu'une nouvelle mouture de la gauche plurielle. Ce n'est pas du tout notre perspective à nous qui nous nous appuyons sur l'Histoire du mouvement ouvrier. Les travailleurs n'ont obtenu des avancées sociales que par leurs luttes et leurs mobilisations, en aucun cas par des gouvernements soumis aux capitalistes.
MP : Vous ne croyez pas aux élections et vous prônez la révolution. Est-ce que vous n'avez pas le sentiments que les gens à qui vous vous adressez ne sont pas prêts pour un tel renversement, n'ont ils pas trop peur de perdre le peu qu'ils ont ?
LO : Les révolutions ne sont jamais prévisibles et elles surprennent toujours tout le monde. Même les grandes mobilisations comme mai 68. Il faut savoir que quelques jours avant, tout le monde pensait que la situation dans le pays était très calme.
MP : Parmi vos mesures phares, on trouve l'interdiction totale des licenciements, les patrons seront beaucoup plus méfiants en recrutant, est-ce que ça ne va pas tout simplement geler les embauches ?
L'interdiction es licenciements est une nécessité vitale. Il y a bien une trêve des expulsions locatives en Hiver et tout le monde trouve ça normal. En période de crise il faudrait que tout le monde trouve normal que l'on interdise les licenciements, car un travailleur, la seule chose qu'il a c'est son travail et le salaire qui va avec. Ceci est une urgence face à l’hémorragie de licenciements et au fait que l'on fasse payer la crise au travailleurs. Il faut faire en sorte que toute la population ait accès à un emploi dans des conditions correctes et avec un salaire correct. Il n'y a pas de raison pour que les uns triment pour qu'une minorité d'actionnaires soient toujours de plus en plus riches. Le CAC 40 pèse 73 milliards d'euros de bénéfices, cela représente le travail de millions de salariés, pourquoi le fruit de leur labeur ne leur revient pas ? C'est toujours pour les actionnaires. Ce n'est plus possible. On essaye de nous faire croire que le chômage est une fatalité alors que c'est une aberration, une société qui ne parvient pas à fournir un travail à tout le monde, qui dit « non » à six millions de gens qui veulent travailler, c'est une société qui est dépassée et qu'il faut renverser.
MP : Vous souhaitez également un smic à 1700 euros et l’interdiction des expulsions de locataires, ceci ajouter à la fin des licenciements, ne craignez vous de ruiner les petits entrepreneurs et patrons de PME-TPE ?
C'est le capitalisme qui détruit les petites boites. Un petit entrepreneur ne choisit pas le prix d'achat de sa matière première, de son électricité ou de ses machines. Il est pieds et points liés. Il y a aussi beaucoup de PME qui sont des filiales de grosses entreprises auxquels elles sont attachées par des contrats. Il faut savoir que derrière Cofinoga qui licencient 500 personnes, il y a LVMH et Bernard Arnault. La vérité c'est que si le Smic avait suivi le cours de la vie, on serait à 1700 euros. Seulement il y a eu une politique de blocage des salaires toutes ces dernières années quand il aurait fallu les augmenter face à la montée des prix. Allez demander à un vieux travailleur comment l'on vivait avec le Smic avant. Le problème c'est que ce sont les actionnaires et les patrons des 200 plus grandes entreprises qui dirigent la société, ils sont incontournables. Les travailleurs font tout mais ne décident de rien. Tout n'est que question de lobby et d'actionnariat.
MP : Vous souhaitez que les travailleurs ne paient plus d'impôts, y compris la TVA qui rapporte 130 milliards par an à l’État. Est-ce que vous pensez pouvoir rééquilibrer tout ça en reportant toute l'imposition sur le capital et les grandes fortunes, les capitalistes ont-ils assez d'argent pour payer l'ensemble de la dette, la sécurité sociale etc ?
LO : Sur l'ensemble des richesses produites en France chaque année par les travailleurs, selon les chiffres donnés par la bourgeoisie : 40% de ce qui est produit revient aux gros actionnaires et au grand patronat. Cet argent accaparé par les capitalistes est pourtant le fruit de la sueur de chacun. C'est pourquoi il est, de notre point de vue de travailleurs, nécessaire de prendre d'abord à ceux qui ne font rien et qui ont largement de quoi vivre. En outre, le chiffre de 600 milliards d'euros d'évasion fiscale, avancé par certaines enquêtes, témoigne du niveau des sommes en jeu. Il faut rappeler que depuis la crise financière, l’État s'est endetté de 500 milliards d'euros pour venir en aide aux banques et aux industriels. Les conditions de vie des travailleurs se sont dégradées dans la même période. Où est passé cet argent ? Les annonces des bénéfices des entreprises du CAC 40 et le niveau de spéculation actuel en bourse nous indiquent vers où il faut regarder. Cependant ce n'est pas suffisant et il sera indispensable dans le cadre d'une grande lutte sociale, à l'instar de mai 1968 ou de juin 1936, d'imposer la levée du secret des affaires, du secret bancaire et du secret commercial.
MP : Faire rembourser les capitalistes est une chose, mais la France vit en partie sur l'emprunt, et ce depuis toujours, qui nous prêtera de l'argent si vous passez au pouvoir ?
LO : En période de crise, on voit les groupes capitalistes nationaux conclure frénétiquement des marchés pour garantir leurs affaires sans même que les travailleurs n'aient à juger de leur intérêt pour eux. Le programme de l'avion Rafale à 45 milliards d'euros en est un des exemples. Contrairement à une idée qui est souvent véhiculée, ce ne sont pas les travailleurs qui vivent à crédit mais les capitalistes qui vivent sur notre dos.
MP : Vous fustigez sévèrement le protectionnisme, expliquant qu'il a mené à la seconde guerre mondiale, pourtant c'est un concept très à la mode à gauche...
LO : Le protectionnisme est, de l'extrême droite à la gauche, un poison nationaliste. C'est une manière de tromper les travailleurs en expliquant que l'aggravation de nos conditions de vie en France vient de l'étranger et non des capitalistes qui veulent faire toujours plus de profit. Se faire exploiter par un patron français ou étranger ne change rien. Dans la situation actuelle, le protectionnisme ne peut qu'entraîner la hausse des prix et donc une baisse du pouvoir d'achat. D'autre part, techniquement, le « produire français » est une illusion tant la production s'est mondialisée depuis le Moyen Âge. Même en Chine, 51% des pièces assemblées proviennent des quatre coins du monde. Prenez le camembert ! Il ne faut pas que du lait pour le produire. Il faut des matières alimentaires comme le soja, des cuves en inox, des outils informatiques de contrôle, des médicaments pour soigner les bêtes, du pétrole pour transporter les marchandises, etc. Les outils informatiques proviennent de plus de 25 pays différents. Rejeter l'internationalisation des échanges, c'est rejeter le développement tout court. Ces mesures ne peuvent donc être des mesures réalistes d'avenir.
MP : Parallèlement vous dites que nos problèmes « ne peuvent trouver de solution à l’échelle étroite d'un pays », vous êtes donc résolument européen ?
LO : Nous sommes résolument internationalistes et donc européens, pour la disparition des frontières, dès aujourd'hui. Et nous pensons que le problème aujourd'hui n'est pas à l' « Europe » mais au capitalisme. La concurrence des différentes bourgeoisie européennes menace y compris l'édifice qu'elles ont construits en Europe pour satisfaire leurs intérêts capitalistes. Les travailleurs trouveront une solution en renversant la bourgeoisie à l'échelle internationale.
MP : Il est écrit dans votre programme que vous vous refusez « à simplement mettre en cause des techniques particulières, comme les OGM ou le nucléaire… » Faut-il comprendre que vous êtes pour ? Est-ce que vous vous sentez écologistes ?
LO : En tant que communistes révolutionnaires, nous sommes les seuls écologistes conséquents, car nous pensons que, y compris pour l'avenir de la planète, il faut avant tout sortir du capitalisme. Ceux qui refusent le nucléaire sans remettre en cause le capitalisme auront les deux à la fois, car dans cette société, toutes les décisions échappent à la population et sont prises dans le secret des conseils d'administration. Nous sommes pour le développement de la science et de la connaissance. Le problème n'est pas l'invention ou l'évolution technique mais le contrôle effectif que la population a sur ces technologies. Les 20 incidents révélés par les employés de Tepco après la catastrophe de Fukushima, la fabrication de prothèses dangereuses, les scandales liés aux laboratoires Servier ou à Total montrent à quel point les groupes capitalistes sont en dehors de tout contrôle.
MP : Vous parlez de recruter massivement des enseignants, cela suffit-il à remettre l'école dans le droit chemin ?
LO : Le recrutement massif d'enseignants est une condition absolument nécessaire pour assurer une bonne éducation. A commencer par les classes maternelles où le manque d'enseignants sacrifie toute une génération. Parler d'autre chose est oiseux. Aujourd'hui, il est fréquent de constater des classes, y compris en maternelle, à 30 ou 31 élèves. Précisons que dans le cadre de la formation professionnelle, les entreprises exigent souvent un ratio d’1 formateur pour 8 stagiaires, on est donc très loin du compte. Aux professeurs, il faudrait ajouter les ATSEM, les infirmières, les médecins scolaires, les éducateurs, etc.. Tous ceux qui contribuent au bien-être des élèves et à leur formation.
MP : Votre programme coûte très cher, est-il chiffré ?
LO : Ce programme coûtera à la société bien moins que les centaines de milliards versés aux banques et aux industriels ces dernières années.
MP : On note un certain paradoxe qui semble être l'essence même de votre projet, vous souhaitez à la fois faire tout payer aux patrons mais dans votre logique de lutte des classes, vous aspirez à leur disparition...
LO : C'est à la bourgeoisie cramponnée à son pouvoir d'assumer les conséquences de sa politique. Sinon, qu'elle laisse la place aux travailleurs, nous saurons certainement mieux qu’elle gérer les entreprises et la société toute entière collectivement.
Propos recueillis pas Maxence PEIGNÉ
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