Sans-papier : un espoir déçu ?
Le nouveau gouvernement ne procédera pas à une régularisation massive de sans-papiers, Manuel Valls l’a bien souligné. D’aucuns penseront, soulagés, que comme la France ne peut accueillir toute la misère du monde (ah cette fameuse phrase de Rocard mainte et mainte fois servie à toutes les sauces), régulariser des sans-papiers aurait aggravé la crise ou crée un appel d’air des pays pauvres.
Seulement, les personnes dont il est question sont souvent en France depuis plusieurs années. Il s’agit d’enfants qui vont à l’école, et qui parfois maîtrisent mieux le français que leur langue maternelle, de personnes dont la famille entière vit en France, voire est française, de gens qui y sont tombés amoureux et s’y sont installés en ménage, d’étudiants qui y ont fait toutes leurs études supérieures et qui au fil des ans se sont attachés à ce pays, des demandeurs d’asile qui ont été déboutés et qui ne peuvent retourner dans leur pays sans risque.
Parmi eux, beaucoup sont devenus sans-papier après avoir été en situation régulière pendant plusieurs années. Il n’est en effet pas difficile de devenir sans-papier. Il suffit juste de redoubler son année universitaire, que la demande d’asile soit rejetée ou de divorcer de son conjoint si on est arrivé par regroupement familial.
Contrairement aux idées reçues, beaucoup, loin de profiter des acquis sociaux de la France ont un travail et un savoir-faire à apporter. Leur refuser la régularisation, c’est les exposer au danger permanent du travail au noir : chantiers non sécurisés et horaires excessifs. Par contre, en restant dans l’illégalité, ils n’ont pas la possibilité de payer des impôts, puisque officiellement ils ne perçoivent aucun revenu. Du coup, la régularisation d’un sans-papier peut être rentable pour les caisses de l’Etat, surtout en temps de déficit budgétaire. En effet, beaucoup n’attendent que leur régularisation pour arrêter de travailler au noir et chercher une activité correctement rémunérée, avec des horaires normaux et de bonnes conditions de sécurité.
Refuser leur régularisation, c’est aussi créer des drames humains. C’est séparer des couples, priver des vieux parents de leurs enfants, arracher des gens à leur maison où ils vivent depuis de longues années.
Combien sont-ils ces Français qui ont voté pour la gauche en espérant que leur simple bulletin leur permettrait de vivre dignement avec leur époux ou leur compagnon sans avoir la peur au ventre que demain il soit expulsé ? Et ceux qui ont un collègue de travail dont le titre de séjour va s’achever et qui ne sera pas renouvelé ? Et ceux dont le meilleur ami de son enfant va être expulsé à la fin de l’année scolaire ?
Le ministre de l’intérieur va envoyer une circulaire aux préfets pour énoncer les « nouveaux » critères sur lesquels ils devront se baser pour traiter les demandes de régularisation. Sachez que les préfets gardent quand même une grande latitude pour apprécier la validité de ces critères. Ainsi, libre à eux de refuser un titre de séjour étudiant parce que l’intéressé est inscrit en DU (= diplôme universitaire délivré par une université, souvent en complément d’études classiques), ou de refuser d’accorder un titre de séjour à un conjoint de français, car il juge que le mariage n’est pas sérieux du fait que le couple n’a pas ouvert de compte joint. Un étudiant peut librement passer un diplôme universitaire qui permettra d’acquérir une spécialité supplémentaire, souvent pointue, dans un diplôme, ce qui sera un grand atout dans le monde du travail, comme n’importe quel couple peut choisir de ne pas ouvrir de compte joint, indépendamment de la solidité de son engagement. Pour un étranger en situation administrative précaire ou un sans-papier, il faut toujours anticiper ses choix en fonction de la possibilité qu’a le préfet de rejeter le dossier.
Quant aux critères légaux de régularisation, ils se sont durcis d’années en année, de telle sorte qu’il est quasiment impossible aujourd’hui pour un immigré clandestin d’obtenir un titre de séjour. Le ministre de l’intérieur ne compte pas modifier en profondeur ces textes, puisqu’il a bien précisé que le nombre annuel de régularisation ne dépasserait pas celui du précédant gouvernement, soit 30 000 par an.
L’heure est venu pour le gouvernement de faire un choix : poursuivre la même politique que son prédécesseur pour satisfaire une partie de l’électorat qui n’a d’ailleurs même pas voté pour lui, ou mener une réelle politique humaine. Attention, j’ai bien dit « humaine » et non « humanitaire ». Il ne s’agit pas d’apporter la charité à des « miséreux » qui auraient tout à prendre et rien à apporter (car c’est ce qu’on a souvent tendance à sous-entendre quand on parle de régularisation), mais leur donner la situation administrative qui leur permettra de vivre dignement dans le pays où ils ont construit leur vie, pour qu’ils puissent vivre en famille et travailler dans des conditions normales.
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