Sarkozy, Berlusconi, mêmes causes, mêmes effets
La concentation financière dans les médias corrompt la démocratie, révélant tout l’enjeu d’une bataille que la politique doit livrer pour reprendre ses droits sur l’économie.
Dénonçant, dans la matinale de Canal Plus, la berlusconisation du « système médiatique », Arnaud Montebourg, fondateur de la Convention pour la VIe république, a une fois encore mis l’accent sur un sujet délicat. Ce n’était pas la première charge qu’il conduisait sur les rapports entre les médias et le pouvoir politique habilement stigmatisée par François Bayrou lors des ses vœux. Le porte-parole de Ségolène Royal avait déjà fait signer une pétition demandant de véritables émissions de débats, lassé de la gadgétisation de la politique à la télévision et des collusions manifestes entre le pouvoir et les patrons de presse. Citant Martin Bouygues et Lagardère, respectivement témoin du mariage et parrain de l’enfant du candidat UMP, il n’a donné là que deux exemples portant sur le fonctionnement de la chaîne privée principale. Mais sachant que le directeur de France télévision est lui aussi directement nommé par la droite, ainsi que le président du CSA, autorité de contrôle, tous les ingrédients du verrouillage du débat électoral sont ainsi réunis au-delà de la seule chaîne privée numéro 1. Quant à la presse écrite, elle est aux trois quarts détenue par les mêmes amis Dassault et compagnies, chiraquiens reconvertis en sarkozystes de choc.
A l’instar du débat sur les paradis fiscaux inauguré en début d’année, voici que le sujet prend feu. Le directeur de l’information de TF1, « blessé » par les déclarations d’Arnaud Montebourg, tente de démentir toute influence de « l’amitié » liant le candidat de l’UMP au patron de la chaîne sur le contenu éditorial de celle-ci. Or, il se trouve qu’au même instant, 3000 journalistes viennent de rendre publique une « pétition » réclamant des « débats contradictoires », dénonçant « une dérive populiste » pour invoquer un vigoureux appel à « une prise de conscience citoyenne ».
Cette question mérite donc une attention particulière, non pas seulement eu égard au débat politique pendant cette échéance électorale donnée, mais plus profondément en raison de ce qu’elle traduit de l’état démocratique du pays dont l’affairisme et la corruption tiennent lieu d’ordre public érigé en dogme. Ainsi, lorsque la télévision illustre la politique sécuritaire du ministre de l’Intérieur, elle ne traite pas sur un même pied d’égalité la délinquance en col blanc. Lorsqu’elle accorde du crédit à la parole des politiques prônant la « tolérance zéro » envers les mineurs délinquants, elle oublie que ceux-ci pratiquent l’impunité totale envers leurs amis auxquels elle fait la part belle en plateau télé (Tapie, Pasqua, Balkany, etc.). Mais on aurait tort de fustiger le journaliste « de base » dans son travail, car la profession se rebelle. Il suffit pour cela de faire un tour sur la Toile pour constater une multitude de blogs, faits par des journalistes connus ou moins au nom de la liberté de la presse dont www.libertedinformer.org, ou encore celui de Karl Zéro dont l’émission produite par le groupe Endemol dirigé par l’un des communicants du ministre de l’Intérieur candidat fut supprimée. La plupart des journalistes tentent vainement de faire leur travail et se voient censurés ou obligés de conduire des investigations à travers des livres enquêtes faute d’être libres dans les colonnes de leurs journaux. Combien nous disent que leur rédaction a censuré leurs papiers sur des affaires de corruption visant les relations étroites entre des hommes politiques et les milieux d’affaires ? Nombreux nous expliquent leur frustration que le journalisme soit en passe de devenir de la communication au service des intérêts financiers de ceux qui possèdent le capital de leur média. Leur liberté d’écrire est aussi parfois sacrifiée sur l’autel de la capitulation devant les annonceurs publicitaires. Force est donc de constater que de la composition même du capital d’un média dépend la qualité rédactionnelle et la véracité de l’information donnée. Ce n’est pas rien, si l’Internet citoyen est devenu plus crédible que certains de nos journaux.
Mais ce qui influence principalement les gens, c’est l’audiovisuel touchant le plus grand nombre. Quand toutes nos chaînes se contentent de traiter superficiellement des informations déterminantes sur la gestion publique, les pratiques politiques, ou encore l’économie, on peut légitimement s’inquiéter du sort de la démocratie. La Bourse qui dirige nos économies est reléguée au rang d’information technique de fin d’émission. Les informations sur les malversations financières qui sont légion dans certaines multinationales sont le plus souvent inexistantes. Et c’est tout juste si certains grands journalistes ne rougissent pas quand ils traitent des salaires des grands patrons. C’est enfin - l’actualité l’illustre - la règle économique qui fait le programme des candidats. Comme s’il fallait nécessairement partir des moyens pour définir les besoins et non chercher à trouver les moyens en fonction de la demande sociale !
Le véritable phénomène d’accélération de la concentration financière s’exprime donc dans la dérive du système médiatique que nous connaissons. C’est une manifestation de la corruption de notre démocratie par l’argent dans un monde où tout s’achète et tout se vend. Le pire, n’est pas tant que ce phénomène soit une donnée à partir de laquelle il faut rediscuter la nature même du capital des médias. Le pire est qu’elle est entièrement consacrée par un candidat et vouée à le faire élire pour protéger ses intérêts.
Nous ne sommes plus au temps de l’ORTF, où la chaîne d’information était le canal de communication du pouvoir politique. Nous sommes à l’ère où la privatisation et le capitalisme financier ont pris possession de la politique pour en faire leur porte-voix.
Il est temps d’arrêter ce désastre démocratique aux conséquences économiques et sociales effrayantes. Car l’avenir de ce monde à la dérive dépend entre autres d’une information fiable, libre et indépendante.
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