Sarkozy, pompier pyromane

L’objet de la récente émission de propagande gouvernementale était simple. Avec l’aide de quelques journalistes de cour transformés en faire-valoir, Sarkozy voulait faire savoir à la France qui proteste contre son inertie face à la crise, que le superprésident avait des réponses. Plein de réponses !
Il ne s’agissait pas de l’interroger sur les sujets qui fâchent ou qui font débat : Pas de question sur l’obsolescence du paquet fiscal, ni sur le protectionnisme, ni sur les causes profondes de la crise et ce qu’elle nous dit de notre système économique. Il ne s’agissait pas de répondre à des problèmes clairement identifiés : Comment se protéger des conséquences de la crise ? Comment relancer l’économie ? Sur quelles bases refonder le capitalisme ?
L’émission n’avait pour objet que de mettre en scène le volontarisme du président et lui permettre de dérouler ses multiples annonces. Peu importe d’ailleurs si elles étaient redondantes, hypothétiques ou irréaliste, l’essentiel était d’impressionner : tenez le vous pour dit : Ce président n’est pas à court d’idées et de projets ! La France a un général à sa tête et est gouvernée comme jamais. Le problème, c’est que loin d’éteindre le feu, les réponses de Sarkozy vont accélérer la crise, économique, politique et sociale.
Le mouvement du 29 janvier portait des revendications précises de protection de l’emploi et des salariés dans la crise, pour qu’au moins les dégâts soient partagées équitablement entre les petits et les gros, les salariés et les entreprises, le travail et le capital. A cette demande, Sarkozy n’a répondu que très timidement avec une ouverture de quelques pistes pour renforcer l’indemnisation des chômeurs. Mais rien sur le contrôle des licenciements « préventifs » qui constituent le principal facteur de propagation de la crise et le vrai danger de transformation de la récession en dépression. Rien sur la remise en cause des profits toujours aussi gigantesques du CAC 40. Au contraire, Sarkozy continue de s’en féliciter comme à l’époque du capitalisme financier triomphant ! Et naturellement rien sur la relance par la consommation.
Parmi les réponses qu’il a mise en avant, deux ont retenu l’attention : La suppression de la taxe professionnelle et l’ouverture du chantier de la répartition des profits entre le travail et le capital. Or ces deux pistes de réformes constituent autant de bombes à retardement qu’il a lui même placé sur sa route.
La suppression de la TP ou la recherche désespérée d’une adaptation à un système en faillite
La suppression de la taxe professionnelle est emblématique de ces fausses bonnes idées, irréfléchies dans leur principe comme dans leurs modalités et qui constituent des remèdes pire que le mal.
En soi il est évident que la TP est un mauvais impôt dans le le sens ou il taxe les facteurs de production en amont et non la richesse effectivement créée. Cet impôt ne peut qu’accélérer l’érosion de la base productive et de la compétitivité du pays. Cela fait des années que toute la classe politique l’affirme avec juste raison. Avant la crise, cette mesure aurait eu un sens, tout comme d’ailleurs la TVA sociale dont le débat se pose dans des termes très proches. Aujourd’hui, cette mesure risque d’être contre productive et d’avoir un effet accélérateur de la crise.
L’argumentaire développé par le président était de ce point de vue limpide. L’industrie automobile sur le sol national souffre d’un manque de compétitivité de 10 % par rapport aux pays d’Europe centrale. Il convient donc de réduire nos coûts pour s’adapter à cette concurrence et retrouver ainsi notre compétitivité. Sarkozy a proposé la suppression d’un impôt comme il aurait pu proposer, la réduction des charges sociales ou la baisse des salaires. La logique est la même : Accepter le dumping d’une concurrence internationale dérégulée avec l’effet déflationniste qu’il implique sur les salaires et les ressources fiscales. Pour survivre, il faut s’appauvrir.
La suppression de la TP viendra en effet nécessairement contracter encore un peu plus la demande, dont l’insuffisance est précisément à l’origine de la crise.
Sarkozy nous parle pour remplacer la TP d’une taxe carbone dont il n’a d’ailleurs pas pris la peine de définir les contours. S’il s’agit d’une taxe sur les rejets engendrés par les process de production des entreprises, elle pèsera sur la compétitivité autant que la TP. Il ne pourra donc s’agir que d’une taxe sur la consommation sur le modèle de la TIPP ou de la TVA. Au final, la réforme aura pour effet de transférer de la fiscalité des entreprises vers les ménages, comme le propose sans rire, le nouvel idéologue Modem, Jean Peyrelevade.
Résumer la crise actuelle à une crise de compétitivité est aussi stupide que suicidaire. Stupide car il s’agit d’une crise globale caractérisée par une insuffisance générale de la demande. Suicidaire, car si tous les pays se lancent dans une course à la compétitivité par des politiques de transfert de fiscalité de la production vers la consommation, la demande n’en serait que d’autant plus affectée.
Cette politique serait en outre totalement suicidaire sur le plan politique. L’UMP devrait se souvenir de l’effet qu’a eu l’ouverture du débat sur la TVA sociale au moment des législatives de 2007 pour se faire une idée de la manière dont pourrait réagir l’opinion à l’évocation d’une nouvelle taxe sur la consommation destinée à alléger les charges pesant sur les entreprises !
La boite de pandore du rééquilibrage du partage capital – travail
Paradoxalement l’autre grande piste de réforme ouverte par Sarkozy est d’inspiration rigoureusement opposée puisqu’il s’agit d’organiser un transfert de richesse en sens inverse, des actionnaires vers les salariés. Là encore, la proposition semble marquée au coin du bon sens. Assurer une juste répartition des profit entre salariés, investissements et actionnaires, qui pourrait être contre ? La proposition suscite toutefois la perplexité.
En premier lieu, on s’étonne de constater que ce chantier est mis en discussion auprès des partenaires sociaux. Cela se comprendrait très bien si le « patronat » d’aujourd’hui représentait toujours le capital ou l’actionnaire. Or les troupes de Mme Parisot sont essentiellement des manageur ayant partie liée avec le capital mais dont ils ne sont en réalité que les serviteurs. Si les actionnaires demandent aux patrons de cracher du dividendes ou de faire monter les cours de bourses, ceux-ci ne pourront que s’exécuter sans jamais s’y opposer, surtout pas à l’occasion de négociation avec les syndicats. Dans notre système, c’est bien connu, l’actionnaire est anonyme et apatride. Il se cache derrière “les lois du marché”
On peut en outre être étonné que le gouvernement s’en remette à une négociation sociale alors les éventuelles mesures de rééquilibrage semblent relever exclusivement de sa politique fiscale. Pour assurer un meilleur équilibre entre dividendes et intéressements, il suffirait de défiscaliser les profits réinvestis dans l’appareil productif (en France ? en Europe ? ) ou redistribués aux salariés et taxer davantage les profits réinjecter dans la sphère financière.
Enfin, on ne s’explique pas que ce point, à l’évidence majeur, ne figurait pas au nombre de ceux pour lequel il s’est imposé une obligation de résultat au prochain G20. Qui peut sérieusement croire que la France seule pourra s’imposer une répartition plus juste entre capital et travail ?
La manière dont cette affaire est engagée indique à l’évidence qu’il n’en sortira rien. Sarkozy prend donc le risque de susciter une fois de plus des frustrations et du mécontentement. Pire que cela : En légitimant une nouvelle critique fondamentale du système capitaliste, il ouvre une boite de pandore avec les risques que cela implique pour lui ... et le système.
Pendant sa campagne, il a critiqué l’Europe et la mondialisation, facteurs de dumping et de désindustrialisation, mais s’est toujours abstenu une fois élu de promouvoir la préférence communautaire dont il parlait avec tant de conviction dans ses discours électoraux. Lors du discours du Toulon il a appelé à tourner la page du capitalisme financier, stigmatisant les spéculateurs et les profits exorbitants, mais au moment de sauver les banques, il s’est bien gardé de prendre le contrôle de ce système bancaire si défaillant. Désormais après avoir attaqué la mondialisation et la financiarisation, il s’en prend aux inégalités !
Lorsqu’on n’a pas l’intention de changer un système, en principe, on en justifie les fondements. On dit que c’est comme ça que ça marche, qu’on n’y peut rien et qu’il n’y a pas d’alternative. On invoque le théorème de Schmidt. On affirme que l’ouverture des frontières créé des richesses. On tente de diaboliser toute opinion dissidente... C’est ce qu’on fait tous ses prédécesseurs et ce que font encore tous les économistes de plateau.
Sarkozy fait l’inverse. Il construit son image sur une contestation d’un système dont il est l’incarnation ultime. Il fait campagne sur l’augmentation du pouvoir d’achat, la lutte contre les dumpings,la dénonciation des patrons voyous et l’immoralité du capitalisme et maintenant l’injustice dans la répartition des richesses !
Cet homme créé lui même la déception et l’aigreur en suscitant sciemment et méticuleusement des faux espoirs qu’il sait être incapable de satisfaire. Il creuse lui même son impopularité par son agitation verbale et ses envolées irréfléchies. Et au final, il nourrit les dynamiques révolutionnaires en légitimant toutes les contestations radicales du système.
S’agit-il d’un calcul cynique pour faire monter l’extrême gauche et neutraliser toute opposition sérieuse ou la marque d’un narcissique incontrôlé qui lui fait préférer le verbe à l’action, et l’effet d’un semblant de popularité à court terme sur la construction d’une œuvre dans la durée ? La question est ouverte, mais à exciter ainsi la révolte sociale, on se demande si les classes dominantes ne se débarrasseront pas de lui avant même que le peuple ne s’en charge.
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