SECOND TOUR Présidentielles : Un vote peu utile, pour un barrage très fragile...
Comme d’accoutumée depuis 2002 suite à l’élection de Jacques Chirac avec un score poutinien, reprend de plus belle le chœur à l’unisson des appels à faire barrage aux Le Pen, sans enrayer en quoi que ce soit la montée de l’extrême-droite ces vingt dernières années. N'est-il pas temps de dresser le bilan de cette tactique qui finit par donner le pouvoir à des candidats minoritaires, dépourvus de véritable alliance partisane et de légitimité démocratique ?
D’emblée je peux le confesser, j’ai voté Mélenchon au premier tour et je m’abstiendrai au second le 24 avril prochain. Et je pense que du point de vue de la gauche, c’est la meilleure stratégie à adopter avant d'aborder les prochaines élections législatives, en réalité plus importantes pour former une majorité gouvernementale. La personnalisation du pouvoir, favorisée par les élections présidentielles, a tellement colonisé l’esprit des français qu’ils sont persuadés qu’il n’existe plus d’autres instances de décision en dehors de l’Élysée, même après deux cohabitations et huit traités européens… Que pourrait donc bien faire la Marine toute seule là-haut, sans parti majoritaire, les deux tiers de la population opposés et certainement des banlieues en incandescence pendant des mois et des mois, avec des flics à la limite du burn-out ? Sans parler des marchés qui commenceraient déjà à spéculer à la baisse et les agences de notation à dégrader son triple AAA ?
Ha ha ha ! Et ben voilà, elle sera bien bloquée et tout le monde le sait. L’humiliation ridicule de la belle et magnifique monarchie républicaine, et avec elle de tous les conservateurs paternalistes. J’en serais presque à glisser une bulletin de vote en faveur de la Marine, rien que pour assister, avec une délectation quasi sadique, à cette décomposition qui suinterait de tous bords depuis le bureau du grand commandeur, comme une ultime résistance par-delà la mort de son premier propriétaire, qui entend bien emporter avec lui ce qui lui appartient.
Au milieu des ruines du régime gaullien complètement dilué dans la mondialisation et la machine à gaz européenne (même si le gaz est encore beaucoup russe...), en quoi consiste exactement le danger d’une candidate qui ne compte en aucun cas changer les institutions et s’est même ravisée dans ses diatribes vis-à-vis de l’Union Européenne ? Avec Jean-Luc Mélenchon, j’aurais davantage compris l’hostilité immédiate des élites conservatrices, pour qui la Cinquième République est sacrée et éternelle. Mais avec Le Pen c’est au fond la continuité, certes dégradée, de la logique monarchique du régime présidentiel, à laquelle adhèrent aussi Emmanuel Macron et ses sociaux-libéraux. Où se trouve la différence entre les deux finalement ? Dans le niveau comique de la chute, certainement plus spectaculaire pour une femme présidente qui a dû batailler contre la culture machiste de son père et plus largement du système politique français ?
Revenons à nos petits bulletins et nos petits pions sur l’échiquier. Parce qu’il reste encore des institutions où des élus croient encore fermement à l’efficacité et l’importance de leurs actions, même si les majorités successives ont voté une totale dérégulation du marché où le débat et la morale n’ont plus aucune espèce de pertinence. Alors voici la grande question du moment : Est-ce que le vote en faveur de Macron est utile pour faire barrage à… bla bla bla…
Y’a pas quelque chose qui cloche et tourne en rond dans ce raisonnement ? Un barrage c’est fait pour retenir les eaux, pas pour les évacuer, non ? Quand le niveau monte, on déleste un peu, on en laisse un peu partir dans la nature, pour réguler les flux. Mais là on maintient la fermeture, and so what ? La prochaine fois le barrage craque et elle gagne, c’est ça ? Pendant que l’autre fou du capitalisme continue à casser tous les services publics, l’extrême-droite parade sur un tapis rouge en remportant toutes les élections intermédiaires ?
Je sais que c’est difficile à admettre, mais l’union de la gauche n’est pas encore tout à fait prête pour les remporter, ces élections-là. Le Rassemblement National a tout de même quarante ans derrière lui. Alors utilisons une tactique à la chinoise, comme l'enseignait le maître stratège Sun Tzu, en laissant à l’ennemi faire son offensive avant qu’il prenne encore plus de force, éparpillons-nous et laissons-le s’engouffrer dans le vide. Et peut-être serons-nous mieux en mesure de l’encercler, si nous parvenons à nous coordonner correctement. Question de timing.
L’élection de Marine Le Pen à la présidence comporte des risques indéniables pour les libertés fondamentales, mais il n’est pas du tout certain que cette position à la fonction suprême la renforcerait davantage que si elle se retrouve encore dans l’opposition, où elle peut se faire passer comme une victime du système, en laquelle peuvent s’identifier des citoyens en plein désarroi qui n’ont plus rien à perdre. D’un autre côté, son échec en tant que présidente pourrait conduire à une escalade droitière et à une libération de pulsions fascisantes bien enfouies, dont toute la potentialité n’est pas exactement connue. D’autant plus qu’objectivement l’extrême-droite française n’ayant pas participé à aucun gouvernement depuis 1944, son idéologie est sublimée par un esprit revanchard, nourri par le caractère inédit et suprêmement transgressif que représenterait une élection au sommet de l’État.
Donc, bien sûr pour ces raisons je comprends ces appels à faire barrage. Mais il me semble qu’à force cette tactique favorise une instrumentalisation de ceux qui instrumentalisent la peur, afin de ne rien changer et surtout de ne pas démocratiser les institutions. Et à ce compte-là, celui à qui on donne la charge de « tenir le barrage » n’est pas plus utile et moins dangereux que ceux qui arrivent à passer au travers. Et il ne suffit pas, comme le propose le président Macron, d’ânonner des petits mesurettes condescendantes qui ne trompent personne. Il serait bien plus judicieux de procéder une véritable refonte démocratique des institutions, où les grands sujets de société pourraient être débattus en toute transparence, tel que le proposent la France Insoumise et dans une moindre mesure Europe Écologie Les Verts.
Pour cela il reste encore une chance, bien davantage qu’au second tour d’une présidentielle de toute façon déjà perdue : le vote bien plus utile aux élections législatives aux 12 et 19 juin 2022, qui vont désigner la majorité gouvernant le pays. Qu’importe si l’Élysée soit macronien ou lepéniste, puisque ensuite l’Union Populaire mettrait fin à leurs pouvoirs en instaurant la Sixième République (ou la Cinquième 2.0 si vous préférez…).
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