Ségolène essaye la gauche
A quelques encablures du verdict, madame Royal est allée rencontrer les « prolétaires », dans une grande surface. L’occasion pour l’amie de Michel Rocard de dénoncer les « profits », les parachutes dorés et le libéralisme ultra. Sans bouleverser Arlette.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH201/sego_champion-56410.jpg)
On connaissait Ségolène sur la Grande Muraille, on a connu Ségolène et les agneaux, récemment Ségolène avec les ouvriers en grève, chez Peugeot, et hier, donc, nouveau chapitre de la résistible ascension de la madone du Poitou : Ségolène au supermarché. Un Champion, dans le 13e arrondissement de Paris. Une meilleure adresse apparemment que la radio Europe1 du très sarkozien Elkabbach ou que le Figaro, tous « lapinisés » par miss Royal, prétextant un emploi du temps surchargé pour échapper aux interviews. Pas de Parisien non plus pour Ségo, place laissée vacante prise d’assaut par un Giscard « pressé » de soutenir Sarkozy...
Donc Ségolène, à quelques jours du premier choix, de l’élimination populaire de dix des douze prétendants, s’est souvenue qu’elle était plutôt de gauche, c’est-à-dire un peu du côté de chez Arlette, l’inoxydable leader trotskyste de Lutte ouvrière. De gauche, ça signifie employer des mots comme « prolétariat », par exemple. Pas « ordre juste », pas « respect », pas « éducation » ou « encadrement militaire », non, « prolétariat », le vocable préféré (avec « énormes profits ») et très usé, jusqu’à la corde, par Arlette. Pour ce faire, Ségolène a donc enfilé son tailleur et choisi un caddie (invisible sur les photos, mais que faire sans caddie dans un supermarché ?) et s’est rendu là où la plupart des gens dépensent une partie non négligeable de leur Smic pas encore à 1500 euros, ni brut ni net. Le supermarché, et ses rayons, que la Dame a « arpenté », le supermarché et ses caisses devant lesquelles la Dame a posé. « Ségolène Royal a slalomé entre les rayons pendant une demi-heure, s’informant des avantages et des inconvénients des caisses automatiques, de la durée des pauses ou du trajet pour venir au travail. » nous raconte Le Monde.
Diantre ! Slalomer entre les rayons ! Quelle audace ! Et pendant une demi-heure, rien que ça ! A peine le temps suffisant pour choisir une bouteille de vin pas trop mauvaise, mais bon, campagne oblige, il faut se dépêcher. Et puis Ségolène n’est pas là pour cela : consommer. Non, elle est là pour « s’informer » comme l’écrit le journaliste. S’informer des conditions de travail de ces femmes et de ces hommes, mais surtout ces femmes, qui fourmillent dans ces grandes surfaces. Quel temps de pause ? Durée du trajet ? Les caisses automatiques, du pour, du contre ? On dirait les questions des journalistes aux acteurs en promo : combien de jours de tournage ? Quelle préparation pour le rôle ? Et l’ambiance, c’était comment ?
Ségolène s’informe, écoute, et qu’est ce qu’elle en déduit ? « Il y a un rapport de forces à faire avec la grande distribution » secteur qui suit selon elle une « logique d’élimination des salariés ». Or, « compte tenu des profits et du caractère insolent des rémunérations » madame Royal pense que les grandes surfaces devraient « montrer l’exemple ». Plus de parachute doré, donc, comme celui de l’ancien PDG du groupe Carrefour, parti avec un petit pécule de 9 millions d’euros, avec en plus une retraite de 30 millions d’euros. L’équivalent de 2500 emplois, selon Royal.
On le voit, la première dauphine de Sarkozy utilise là une rhétorique très à gauche, qui aurait pu séduire Laguiller. Mais l’animale trotskyste a le piolet facile, et elle ne l’entend pas de cette oreille. A peine Ségolène rentrée des courses, Arlette martèle : « Si Ségolène Royal était élue, elle ne se gênerait pas pour justifier ensuite sa marche vers la droite, faute de voix sur sa gauche » Et pan ! Tout ça pour rien ! Agacée par l’appel au « vote utile », Laguiller n’est manifestement pas décidée, pour sa dernière, à avaler quelque couleuvre que ce soit. Ce n’est pas la visite de la Zapatera aux caisses de Champion qui va lui faire changer d’avis : "Au premier tour, il faut avertir Ségolène que nous ne lui laisserons pas un chèque en blanc pour défendre nos intérêts face à la bourgeoisie et au grand capital. L’élection d’un président de la République, c’est au second tour que cela se passe." ajoute Arlette. Qui oublie une chose fondamentale : plus l’extrême gauche aura de voix, moins la gauche classique aura de chance de passer le premier tour. Le second tour, c’est au premier que cela se passe.
Décidément, la gauche rustique n’est pas convaincue par l’effet Royal. Michel Rocard, ancien Premier ministre, avait même essayé de lui piquer sa place ! C’est le Canard qui le raconte : vexé de n’avoir pas été rappelé comme les autres éléphants, Rocard demande une entrevue à Ségolène et là de but en blanc, l’invite à se « retirer ». Rien de moins ! Et au profit de qui ? De mimi lui-même ! « Tu te désistes en ma faveur, j’accepte et je t’associe à ma campagne ». Ca ne s’invente pas, et c’est d’ailleurs Royal qui le raconte ! D’un peu plus, c’était Sarkozy Rocard, ou Bayrou Rocard, ou Le Pen Rocard ! De quoi relever le pays ! On comprend mieux, du coup, l’appel du pied au centre dudit Rocard (que Ségolène surnomme « papy Mougeot ») désireux de saboter jusqu’au bout la campagne de socialiste, comme DSK, Kouchner ou Allègre. « Je pensais qu’ils allaient me laisser tranquille après ma désignation. Mais ils me prennent pour une conne depuis le début. » Le diagnostic est sans appel et lucide.
C’est pas drôle tous les jours la vie de candidate socialiste, même choisie par ses pairs. Il faut courber l’échine, éviter les coups bas, faire la sourde oreille, tolérer les mépris, et « slalomer » entre les rayons d’un supermarché, tout cela avec au bout du compte la trouille bleue, ou rose, de ne pas figurer au second tour. Si Ségolène gagne, c’est parce qu’elle aura été « de droite », selon Laguiller, et si elle perd, c’est parce qu’elle n’aura pas été « du centre » selon les éléphants. Seul le match nul serait donc de gauche. Mais le match nul, ça n’existe pas en politique.
13 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON