Bertrand
Delanoë l’a énoncé comme une lapalissade au soir du deuxième tour mais
c’est profondément vrai : “Quand la gauche n’est pas assez claire, on
ne la comprend pas”.
Il
est en effet étonnant que la candidate du PS n’ait pas su exploiter le
bilan d’une droite jugée en fâcheuse posture voici seulement un an, au
moment des manifestations anti CPE ! Une droite dont les représentants,
peu scrupuleux, ont présenté le contenu de leur programme comme si le
président de la République n’était pas de droite depuis 12 ans ou comme
si l’UMP avec ses 359 députés n’était pas majoritaire à l’assemblée
nationale depuis 5 ans !
Mais
si la candidate socialiste est largement responsable du score le plus
bas fait par la gauche depuis 1965, lors d’un second tour d’une
élection présidentielle, le PS n’est pas exempt de critiques.
Et
d’abord, l’organisation de la primaire en vue de la désignation du
candidat. Etait-il bien judicieux que les candidats à la candidature
débattent et exposent leurs divergences devant les caméras, laissant
ainsi des plaies plus ou moins ouvertes pendant la campagne.
Etait-il
sain que le PS, en voulant faire du neuf, laisse les seuls adhérents
socialistes maîtres du jeu. Quand on connaît la composition
socio-économique des adhérents, la prépondérance des fonctionnaires,
l’importance des adhérents de fraîche date, à 20 euros, ne connaissant
souvent que le contenu des sondages du moment, le choix était pour le
moins risqué...
Les
commentateurs politiques en ont parlé comme s’il s’agissait d’un
scrutin au suffrage universel. Or il n’y a pas de rapport mécanique
entre les deux. Le Parti socialiste est une organisation à l’intérieur
de laquelle, jusqu’à l’arrivée des nouveaux adhérents par Internet, 40
% des adhérents étaient des élus, et une proportion considérable des
employés municipaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux.
En
fait, pour la majorité des 180 558 adhérents qui ont voté, la première
préoccupation n’était pas de refléter les tendances profondes de la
société, mais d’assurer la victoire électorale de leur employeur en
fonction des instituts de sondage qui avaient pronostiqué une victoire
inéluctable de Ségolène Royal. Parmi les nouveaux adhérents se
trouvaient aussi des classes supérieures, tendance bobo, reflétant
faiblement la réalité sociologique du pays.
Après
le vote pour le Oui au TCE en 2005 alors que le Non était majoritaire à
gauche, les adhérents socialistes se sont une nouvelle fois trompés en
désignant sans doute le candidat le moins compétent des trois
prétendants. Les partis de gauche italiens ont été plus prudents en la
matière, organisant une consultation beaucoup plus large entre
électeurs, qui a débouché sur le choix de Romano Prodi. Et dans la
plupart des pays démocratiques, c’est le président ou le 1er secrétaire
du parti qui se présente aux plus hautes fonctions, après une
désignation en congrès extraordinaire.
La
suite, on la connaît, la candidate désignée par le PS s’est cantonnée à
ressasser des généralités, mettant à toutes les sauces le mot « ordre
juste » tout en invitant les Français à déployer le drapeau tricolore
dans leur appartement...
N’oublions
pas que Ségolène Royal est, comme Jean-Pierre Raffarin, l’élue de la
région Poitou-Charentes, qui n’est certainement pas la région où les
problèmes de la société française se posent avec le plus d’acuité.
Les erreurs, les revirements inexpliqués ou la méconnaissance des dossiers n’ont pas manqué :
Les éléphants
Les
éléphants sont chassés dans un premier temps par Ségolène puis
reviennent par enchantement dans un comité comprenant treize d’entre
eux, dont est absent Michel Rocard, puis sont à nouveau critiqués...
Eric Besson
Au-delà
de la traîtrise d’Eric Besson qui n’est d’ailleurs pas le seul (Claude
Allegre, Roger Hanin et autre Michel Charasse, etc.) , l’ancien
secrétaire à l’économie du PS voulait néanmoins chiffrer le programme
du PS à la différence de Ségolène Royal qui a donné trop souvent
l’impression de ne pas vouloir rentrer dans le contenu des dossiers et
surtout pas dans l’aspect budgétaire...
François Bayrou
François
Bayrou est qualifié d’homme de droite avant le premier tour puis comme
un Premier ministre possible, en concurrence avec Dominique
Strauss-Kahn, après le deuxième tour !
La proportionnelle
Le
pouvoir doit être partagé et non dans les mains d’un seul parti,
a-t-elle répété. Laissons de côté le fait que François Mitterrand s’est
parfaitement adapté aux institutions de la Ve République pendant deux
septennats... Ségolène n’a jamais précisé la part exacte de
proportionnelle contrairement à François Bayrou qui a opté pour 50% de
sièges de députés élus au scrutin majoritaire et 50% élus à la
proportionnelle dans le cadre de circonscriptions régionales.
La décentralisation
"Je
préciserai les responsabilités de chaque structure administrative"
a-t-elle encore dit et notamment celles des communes, communautés de
communes, départements et régions alors que la véritable modernité
consiste à faire disparaître purement et simplement au moins un échelon
administratif, en l’occurrence le département. Sur ce point également,
François Bayrou est beaucoup plus clair : « Départements et régions
doivent être administrés par les mêmes élus, qui délibèreront tantôt
dans le cadre départemental, tantôt dans le cadre régional. Dans le
cadre départemental, ils décideront, par exemple de solidarité ; dans
le cadre régional, de stratégie économique. Mais ce seront les mêmes
hommes, la même administration, le même budget, et tous les doublons
seront évités ».
Le Smic à 1500 €
Dans
le programme du PS, on peut noter que « le SMIC sera porté à 1 500
euros, le plus tôt possible dans la législature ». Mais Ségolène précise
début mars à la télévision que ce montant ne sera atteint qu’au bout de
cinq ans, le Smic passant ainsi de 1 254 € au 01/07/06 à 1 500 € à la
fin de la législature. Or, grâce à l’indexation automatique du Smic au
1er juillet de chaque année, le Smic atteindra de toute façon 1500 € en
2012 et ce quel que soit le candidat élu...
La régularisation des sans-papiers
La
proposition de régularisation des sans-papiers a été perçue, à tort ou
à raison, comme une régularisation systématique dont ne veulent pas les
Français. Ce sentiment s’est même renforcé après la régularisation
massive des sans-papiers en Espagne par José Luis Zapatero, venu
soutenir Ségolène lors d’un meeting commun. La droite n’a jamais autant
cité dans cette campagne la phrase de Michel Rocard : « On ne peut pas
accueillir toute la misère du monde »...
Les droits de succession et la baisse d’impôts
Lors
du débat télévisé avec Nicolas Sarkozy qui s’est prononcé à nouveau
pour une exonération totale des droits de succession et une baisse
d’impôts sur le revenu, Ségolène n’a pas vraiment répondu à son
interlocuteur et a omis de préciser que la conséquence de ces mesures
sera d’augmenter les impôts indirects, par définition injustes, car
touchant les riches et les pauvres de la même façon. Supprimer toute
imposition du patrimoine et réduire encore le volume de l’impôt sur le
revenu sera un véritable bond en arrière dans un pays où 10% des
ménages détiennent 46% du patrimoine et où 3% des ménages les plus
riches détiennent 36% du patrimoine financier.
La réforme des retraites
Au
sujet des retraites, Ségolène a renvoyé, sur ce sujet également, à la
discussion avec les partenaires sociaux. Pas un mot sur une éventuelle
abrogation de la réforme Fillon 2003, voire celle de Balladur en 1993
qui a changé le mode de calcul du montant de la retraite (prise en
compte des 25 meilleures années au lieu des dix meilleures avant 1993,
provoquant ainsi une baisse importante des pensions). Seule précision :
si la croissance ne suffit pas à résorber le déficit du régime des
retraites, une taxe sur les plus-values boursières sera envisagée...
Les handicapés
En
ce qui concerne l’accueil des handicapés à l’école et au-delà de ses
propos en grande partie inexacts, elle a préféré surtout se lancer dans
une dispute surfaite, destinée avant tout à donner l’image d’une femme
montrant du caractère et attentive aux problèmes des handicapés. Mais
parfois, trop, c’est trop...
etc.
Après
Le non à la Constitution européenne le 29 mai 2005, les émeutes ou les
manifestations contre le CPE, un projet économique mettant clairement
en cause le libre-échange, les délocalisations, le niveau trop faible
des salaires, les mesures fiscales en faveur des plus riches aurait pu
permettre à la gauche d’aller vers l’électorat populaire et de
remporter cette élection.
Mais
rien de tel dans le discours de Ségolène. Son féminisme a satisfait
d’abord les classes supérieures, qui conçoivent le couple comme l’union
de deux individus libres sans enjeu économique réel.
En
réalité, qui veut fuir la réalité économique en activant les valeurs
sociétales, la sécurité et les questions d’identité, finit toujours par
faire le jeu de la droite...