Ségolène Royal sort du bois : pour un remake de 2007 ?
Chapeau l’artiste ! En déclarant sa candidature à la primaire socialiste, Ségolène Royal prend tout le monde de court… et se paie une belle couverture médiatique sur du vide.
Le 29 novembre 2010, Ségolène Royal a pris tous ses camarades de vitesse en déclarant une nouvelle fois sa flamme à l’élection présidentielle. L’objectif à très court terme était assez clair : stopper net avec toutes les critiques suscitées par un pacte entre les trois éléphants (Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry et Ségolène Royal) pour fausser la primaire socialiste.
Occuper le terrain
L’effet immédiat de cette candidature, c’est une très belle couverture médiatique dès le lendemain : France Inter pour sa matinale et le "20 heures" sur France 2. En fait, son rendez-vous sur France Inter était programmé depuis très longtemps, donc, on peut imaginer qu’elle a choisi la date de sa déclaration pour avoir une caisse de résonance très rapidement.
En rompant ce pacte, elle prouve ainsi qu’il n’a jamais existé, même si elle laisse entendre que sa déclaration de candidature a été faite en concertation avec ses deux compères : qui peut vraiment la croire ? On imagine au contraire la colère qui étrangle autant Martine Aubry que Dominique Strauss-Kahn, d’autant plus que Ségolène Royal n’a pas manqué d’humour en imaginant Dominique Strauss-Kahn comme son probable… futur Premier Ministre. L’expérience Borloo n’a-t-elle donc pas suffi pour continuer à promettre Matignon ?
Malgré tous les reproches et critiques souvent justifiées qu’on peut formuler à l’égard de Ségolène Royal, il y a un sens réel de l’innovation (on se souvient de l’idée de la démocratie participative) et de l’anticonformisme qui peut faire bouger quelques lignes. Certes, en disant dès maintenant qu’elle nommerait DSK à Matignon, elle s’interdit la possibilité de refaire l’entre deux tours de 2007, dans l’hypothèse d’une candidature de François Bayrou qui aurait finalement bien tenue : elle ne pourrait évidemment pas promettre Matignon à deux locataires différents… publiquement, du moins.
Le but plus stratégique de Ségolène Royal, c’est de ne pas laisser le terrain à la majorité présidentielle dont les responsables sont assurés du rôle qui leur a été attribué pour la campagne présidentielle de 2012 ni aux "petits" candidats officiellement déclarés à la primaire socialiste aujourd’hui, à savoir Manuel Valls et Arnaud Montebourg.
Prendre le temps de convaincre
En se déclarant, elle a utilisé un argument implacable : elle, elle sait ce qu’est une campagne présidentielle, et elle a raison quand elle dit qu’une campagne a besoin de temps, surtout en ce qui concerne le Parti socialiste qui a un réel déficit de propositions alternatives, du moins dans l’opinion publique (et de cohérence politique globale).
Quand elle parle d’avoir du temps, c’est qu’elle a pu se rendre compte qu’elle avait perdu beaucoup de temps en 2007 pour finaliser son projet présidentiel et pour répondre aux attaques personnelles. Elle explique ainsi qu’en ayant plus d’une année, elle pourra répondre aux critiques et aux attaques et désamorcer tous les pièges qui pourront être tendus.
L’exemple de la campagne d’Édouard Balladur est assez éloquent. Donné largement favori en début janvier 1995 (12% d’écart avec Jacques Chirac), à tel point que son porte-parole Nicolas Sarkozy envisageait son élection dès le premier tour, Édouard Balladur s’est déclaré tardivement, le 18 janvier 1995 (alors que Jacques Chirac avait commencé dès le 4 novembre 1994), puis s’est effondré dans les intentions de vote en février 1995 au profit de Jacques Chirac (9% d’écart en mi-mars en faveur de Jacques Chirac, soit un changement d’une vingtaine de pourcents dans l’opinion publique). S’alarmant de la situation, Édouard Balladur a alors changé sa manière de faire campagne à tel point qu’en début avril, les intentions de votes se sont redressées en sa faveur. Au final, seulement 2,2% (soit à peine 700 000 électeurs) ont fait la différence au premier tour du 23 avril 1995. Il lui aurait manqué deux ou trois semaines pour repasser devant Jacques Chirac.
Ségolène Royal s’est lancée d’autant plus facilement dans la compétition que les sondages sont actuellement très favorables aux socialistes lors d’un second tour, quel que soit le nom du candidat, y compris François Hollande qui ne va sans doute pas tarder à sortir lui aussi du bois, ce qui sera une situation politique inédite où un ancien couple se retrouve en confrontation directe (cela fait penser un peu au film "La Zizanie" entre Louis de Funès et Annie Girardot). Croire que le candidat du PS gagnera forcément en 2012 est évidemment une erreur car le principal challenge reste encore de franchir l’étape du premier tour avec une montée du Front national non négligeable.
Une candidature à l’élection présidentielle fonctionne souvent avec la méthode Coué : à force de dire et d’être candidat, l’opinion publique valide la crédibilité de la démarche. Ce fut le cas pour Jacques Chirac dès 1976, puis de Nicolas Sarkozy à partir de 2002, et aujourd’hui, Jean-François Copé tente la même méthode, au grand dam de François Fillon.
L’inconnue "DSK"
L’autre erreur des socialistes est de croire que Dominique Strauss-Kahn aurait intérêt à se déclarer, le cas échéant, le plus tard possible. C’est à mon avis une erreur. En étant si éloigné de son pays, il aurait du mal à "prouver" l’amour qu’il a pour la France. Beaucoup de personnalités politiques pourtant très estimables ont été détrônées par leurs électeurs car ils s’occupaient un peu trop des affaires internationales et pas assez de leurs propres problèmes quotidiens (ce fut le cas de Bernard Stasi entre autres).
Au contraire, Dominique Strauss-Kahn aurait à faire face à une campagne de dénigrement personnel qui serait particulièrement ardue (il suffit de lire les commentaires sur les forums), et l’opposition qu’il suscite pourrait être bien pire que l’adhésion qu’il attire par ailleurs en inspirant confiance aux milieux financiers.
Mais DSK veut-il vraiment postuler à l’Élysée ?
J’ai eu l’impression que si cela avait été dans ses réelles perspectives, il aurait dû mettre tous ses moyens dès le 21 avril 2002. Sur les plateaux de télévision, secoués par l’échec de Lionel Jospin dès le premier tour, Dominique Strauss-Kahn avait été le premier à annoncer qu’il voterait pour Jacques Chirac au second tour, une attitude sportive qu’a refusé d’avoir Lionel Jospin par amertume et amour-propre. Dominique Strauss-Kahn aurait dû alors faire ce que Michel Rocard avait fait lors de l’échec des socialistes aux élections législatives de mars 1978 : un appel au rassemblement autour de lui pour construire une nouvelle gauche. Au lieu de cela, comme ses camarades éléphants, il a attendu quatre ans, en 2006, pour faire part de ses ambitions. Nicolas Sarkozy ne l’avait pas attendu. Il se serait déterminé dès 2002, Ségolène Royal n’aurait pu avoir aucune existence politique.
De plus, il aurait confirmé qu’il entendait rester au FMI jusqu’en automne 2012, ce qui poserait un réel problème de calendrier avec l’agenda présidentiel français.
Et Martine Aubry ?
De son côté, on commence également à douter des ambitions présidentielles de Martine Aubry. Sans doute bien la fille de son père, qui avait renoncé à concourir le 4 décembre 1994 alors que tous les sondages le donnaient largement gagnant (mais ce ne sont que des sondages !), Martine Aubry s’est installée également dans une attitude attentiste et, au contraire de Ségolène Royal, paraît avoir un ego bien moins développé, et une volonté de jouer collectif plus traditionnelle au sein des socialistes.
Contre l’attentisme
Ségolène Royal a pu ainsi imaginer que si l’attentisme devait aboutir, après le printemps 2011, à ce qu’elle devienne candidate, autant l’être dès maintenant. Cela permettra également de "cliver" le Parti socialiste : son ancien lieutenant Vincent Peillon, qui l’a abandonnée en rase campagne en automne 2009, vient d’ailleurs d’annoncer qu’il soutenait la candidature de Dominique Strauss-Kahn, un soutien typique des carriéristes à la remorque des sondages : il vaut mieux pour eux s’accrocher à la locomotive qui irait le plus vite… mais en espérant qu’elle démarre !
Elle peut aussi s’affirmer face à Arnaud Montebourg qui ne va pas hésiter à développer une campagne assez démagogique contre l’Europe et contre la VeRépublique, même s’il a perdu une grande partie de sa crédibilité en cumulant contre ses propres convictions (?) les fonctions de député et de président du Conseil général de Saône-et-Loire.
Jeu de dupes ?
Sur France 2, la détermination à aller jusqu’au bout de cette candidature à la candidature n’était pas aussi assurée que prévue : Ségolène Royal a reconnu que si Dominique Strauss-Kahn changeait d’avis et décidait de s’impliquer en juin 2011, elle verrait avec lui le meilleur dispositif pour faire gagner la gauche, y compris son propre désistement.
C’est le genre de petit jeu qu’affectionnait grandement François Mitterrand pour ses deux dernières élections présidentielles où il avait laissé planer l’incertitude de sa propre candidature en 1981 et en 1988. En attendant sa décision, un candidat de rechange avait déjà (inutilement) commencé à faire campagne, c’était Michel Rocard…
Entre dingos et chouchous…
Daniel Schneidermann écrivait cependant à juste titre dans sa chronique du 30 novembre 2010 : « Mais ne rions pas trop vite. L’élection du président au suffrage universel [direct] a toujours été le meilleur mode de sélection des (…) dingos et mégalos (Mitterrand, Chirac, Sarkozy) contre les surdoués chouchous de la presse et des sondages (Rocard, Barre, Balladur, Delors, Jospin, le cimetière en est plein). Il est donc (comme toujours) conseillé de rire, en sachant que la pièce peut très bien se révéler sérieuse. ».
Mener une campagne demande un grand savoir-faire personnel, et sur ce plan-là, à défaut d’idées ou de propositions, Ségolène Royal semble avoir une grande longueur d’avance sur ses concurrents-amis.
Et en face, on observe avec attention et… petit sourire.
Nicolas Sarkozy aurait déjà affirmé qu’il serait candidat lui aussi en 2012 selon des parlementaires qu’il a reçus le 30 novembre 2010 : « Je suis là pour deux mandats, pas plus, après, ce sera la dolca vita ! ». De toute façon, la réforme des institutions du 23 juillet 2008 (loi constitutionnelle n°2008-724) qu’il avait lui-même inspirée l’empêcherait de postuler à un troisième mandat en 2017.
Petit à petit, le même scénario qu’en 2007 semble se construire.
Un peu comme 1981 fut un remake de 1974.
Pour les candidats, évidemment, pas pour les résultats...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (1er décembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La mauvaise fée ?
La guerre des roses.
Dominique Strauss-Kahn.
Martine Aubry.
François Hollande.
Sur le PS.
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