« Sois franc Hollande ! »
A quoi joue-t-on exactement ? Quels sont les enjeux réels qui se cachent derrière l’entrée en guerre d’une coalition contre la Syrie ? Quelles alliances sont à l’œuvre ? Quels intérêts autres que ceux de la population syrienne sont en cause ? Voilà les questions que se posent légitiment les peuples, et plus encore le citoyen français qui tente de réfléchir en dépit du rideau d’émotion tiré par son gouvernement.
Nous voulons comprendre…
Oui Monsieur le Président, vous qui ne jugez pas nécessaire, à ce jour, de consulter la représentation nationale sur un sujet aussi grave dont les conséquences nous demeurent inconnues et où le pire peut être raisonnablement envisagé, vous en restez à la lettre morte d’une constitution inventée voilà plus de cinquante ans par un Général dont vous devriez aujourd’hui vous inspirer davantage de l’esprit.
Les temps ont changé, Monsieur le Président, et celui d’une classe politique mieux informée, mieux éduquée que sa population est définitivement révolu avec l’avènement d’internet et l’augmentation du niveau d’étude des citoyens. L’information, les analyses circulent et viennent du monde entier. L’accès à la presse n’est plus seulement national. Les citoyens vont chercher sur d’autres médias les informations, y compris aujourd’hui les plus secrètes.
Alors, oui, ne vous en déplaise, les citoyens cherchent à comprendre par delà l’émotion nécessairement ressentie par ceux qui se trouvent exposés aux images choquantes que vous avez savamment distillées. Images qui, par définition, ne prouvent rien, notamment quant à la responsabilité du massacre qu’elles présentent. Car oui, si tant est que les images soient bien celles des morts survenues à l’occasion des attaques menées le 21 août dernier, comment pourraient-elles, à elles seules, donner des indications sur les criminels ?
Le discours de Monsieur Ayrault devant l’Assemblée, tout comme la note de synthèse présentée comme ayant été rédigée par les services de renseignement n’apportent pas davantage d’informations objectives, de preuves matérielles. Il se borne à détailler une hypothèse. Ce n’est pas ce que nous attendions. Au passage, alors que la note française mise en ligne sur le site de l’Elysée faisait état de moins de trois cent morts, votre Premier Ministre préfère s’aligner sur l’estimation américaine qui porte le nombre de victimes à plus de mille cinq cents ! Un signe de plus serait-on tenté de dire de notre passage sous la coupe américaine…
Quelle motivation, Monsieur le Président ?
Votre discours à la mémoire des victimes de la barbarie nazie prononcé à Oradour-sur-Glane le 4 septembre dernier était bien évidemment destiné à justifier votre position en Syrie. La France, avez-vous dit, a vocation à se dresser aux côtés de toutes les victimes de la barbarie. C’est beau Monsieur le Président ! Mais alors que n’entend-on davantage la diplomatie française s’agissant du génocide perpétré en Birmanie ? Que n’entend-on davantage la France monter au créneau au soutien de la population palestinienne réduite à vivre dans des camps dans des conditions d’hygiène déplorables, quand Israël au mépris de l’ensemble des motions internationales continue une politique de colonisation des territoires palestiniens ? Que n’entend-on davantage la diplomatie française au sujet des exactions commises contre la population en Lybie maintenant qu’elle se trouve abandonnée à des tributs violentes qui tentent de se partager le territoire par la force et la terreur ? Et la liste pourrait être, hélas, très longue des endroits qui mériteraient de voir la France venir au soutien des populations en souffrances, des populations placées sous le joug de tyrannies et de pouvoirs despotiques ? A moins que vous ne jugiez pas ces faits suffisamment barbares…
Mais si je voulais être encore plus direct, Monsieur le Président, que disons-nous à nos nouveaux grands amis, ses grandes démocraties que sont l’Arabie Saoudite et le Qatar ? Que leur disons-nous quand, comme le Qatar, elles empêchent des ressortissants français de repartir ? Qu’avons-nous dit à l’Arabie Saoudite quand elle a envoyé des militaires pour aider le Bahreïn voisin à tuer dans l’œuf les premières velléités d’un peuple qui souhaitait renverser le pouvoir en place ? Hélas pour ces opposants, ils n’ont pu être armés et soutenir la comparaison avec les forces de répression…
Alors Monsieur le Président, à l’aune de ces quelques exemples, laissez-nous douter que ce soit le souci d’une population syrienne prise en otage d’enjeux géopolitiques et géostratégiques qui la dépassent largement qui motive aujourd’hui la décision que vous avez prise. Laissez-nous penser que nous servons des intérêts qui ne sont pas nécessairement les nôtres, si ce n’est dans des relations commerciales à venir avec des pays qui parviennent encore à vivre de leur rente pétrolière même s’il semblerait, aux dernières nouvelles, que la « crise » commence également à s’inviter chez eux…
Ah l’arme chimique !
Alors oui, bien sûr, j’oubliais Monsieur le Président, vous avez repris à votre compte la position américaine, la fameuse « ligne rouge » : l’usage de l’arme chimique. Il est tellement plus atroce pour une femme ou un enfant – paradigme de la Victime – de mourir par inhalation d’un gaz toxique que d’une bonne vielle balle dans le cœur ou d’un éclat d’obus dans la tête… Oui, certes vous recevez à ce sujet la caution de personnalités aussi irréprochables que Monsieur Brauman, ancien Président de MSF opposé à la guerre en Lybie. Oui certes, l’usage de l’arme chimique est scandaleux, contraire aux conventions internationales, certes, il constitue un crime contre l’humanité !
Mais alors Monsieur le Président, sans entrer sur le débat du passé concernant tant la France que les Etats-Unis, pourquoi n’avoir pas réagi plus récemment quand, comme l’a dit Madame Del Ponte, ce serait « les rebelles » - ce mot fourre-tout ! – qui l’auraient employé ?
Doit-on en déduire, Monsieur le Président, que chaque fois qu’une arme chimique ou bactériologique (est-elle moins dégueulasse ?) sera utilisée à l’occasion d’un conflit, la France cherchera, en dehors de tout mandat de l’ONU, à rallier une coalition dont on comprend qu’elle est formée à partir de deux pays, pour envoyer des bombes sur « des objectifs ciblés et militaires » afin de « punir » l’auteur du crime ?
Serions-nous intervenus en 2009 dans les territoires occupés quand Israël y a utilisé du gaz au phosphore ?
Est-ce donc la solution que vous avez trouvée pour nous sortir de l’impasse des politiques menées depuis tant d’années ? Avez-vous là encore pris exemple sur notre grand allié américain et son économie de guerre ?
Et ce ne serait pas une guerre ?
Pardon Monsieur le Président, ce ne serait pas une déclaration de guerre que nous ferions à la Syrie. J’ai bien entendu. Il s’agirait de « frappes punitives ». Mais oui, bien sûr ! Nous en resterions à l’envoi de quelques missiles à partir d’avions ou de navire stationnés suffisamment loin des côtes syriennes pour ne pas devoir être eux-mêmes pris pour cibles et puis nous arrêterions là. Quelques jours de bombardements bien ciblés sur des objectifs militaires matériels ou des infrastructures comme les routes, et puis nous rentrerions chez nous, le sentiment du devoir accompli. Les américains annoncent entre trente et soixante jours de pilonnage. Et comme ce sont eux qui décident, on peut prendre l’information au sérieux.
Il n’est pas question comme l’a rappelé Monsieur Ayrault de destituer Monsieur El Assad puisqu’il est hors de question d’envisager une opération au sol qui seule pourrait aboutir un jour, plus ou moins lointain, à ce résultat.
Mais non, si nous voulons bien évidemment qu’il s’en aille, ce n’est pas l’objectif de notre opération encore une fois strictement « punitive ». « Ce n’est pas bien Bachar, tu peux tuer ta population mais seulement avec des armes dites conventionnelles… »
Pour autant, faut-il alors s’étonner que ce dernier n’accepte pas tranquillement d’attendre que l’orage passe et qu’il se sente a minima agressé ? Est-il étonnant qu’il considère un ou plusieurs pays agissant en dehors de tout cadre légal comme des ennemis ? N’est-ce-pas un casus belli ?
La diplomatie, cet art long et difficile…
Alors évidemment, vous allez me dire : vous critiquez, vous critiquez mais quoi faire, laisser la population syrienne se faire massacrer ?
Et vous avez raison ! Mais j’ai la faiblesse de croire que votre intervention armée ne va pas faire diminuer le nombre de victime, au contraire. Que ce soit à court terme en cas d’embrasement de la région comme certains le prévoient ou à moyen terme si d’aventure le régime tombait et si les islamistes prenaient le pouvoir, rien ne garantit que la population syrienne, et notamment les minorités chrétiennes et chiites, n’en souffriraient pas. L’Egypte et la Tunisie en sont un exemple récent. L’Irak également, en proie à une violence comparable à celle qui avait suivi la destitution de Saddam Hussein sombre dans le chaos avec plus de huit cents morts au mois d’août faute d’une solution politique…
Bien sûr la voie diplomatique est longue et demande de la patience, de l’habileté aussi mais elle est la seule susceptible de garantir le long terme et la sécurité des populations.
Aujourd’hui, force est de constater l’isolement de la France notamment au sein de l’Union Européenne qui aurait dû constituer l’axe autour duquel la Russie, la Chine et les Etats-Unis auraient pu se rallier sans perdre la face dans une opposition qui menace chaque jour de s’exacerber et de mener à l’impasse.
La responsabilité de ce qui ressemble d’ores et déjà à un échec diplomatique, puisqu’en toute hypothèse la France apparaîtra comme à la seule remorque des Etats-Unis, vous est imputable. La première erreur pour tenter de réunir les européens aura été de s’isoler en décidant unilatéralement de lever l’embargo sur les armes à destination de l’opposition syrienne dont plusieurs experts notent qu’elle est fractionnée et pour l’essentiel sous la coupe des djihadistes. Comme en Lybie, les résistants d’aujourd’hui seront-ils les terroristes de demain contre lesquels il nous faudra de nouveau intervenir et prendre les armes ?
Par ailleurs, la position aboutit à cette situation pour le moins paradoxal de laisser à la Chine et à la Russie le rôle de défenseur de la légalité internationale !
Enfin, comment demain s’opposer à des actions menées par d’autres en dehors de la légalité internationale au nom d’une légitimité qu’ils sauront, eux aussi, sans aucun doute évoquer.
Alors Monsieur le Président, je vous fais cet article que vous lirez peut-être avant de prendre votre décision. Les citoyens sont en droit d’être traités en adultes et de disposer des réponses aux questions qu’ils se posent.
24 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON