Au lendemain du 1er tour de la primaire du PS, les commentateurs de presse avaient fait leur panégyrique de validation de la fiabilité des sondages. Objet de leur boulimie, les prévisions des sondages seraient prétendument "assez justes dans l’ensemble". Bien sur, cela permettait d’occulter l’épisode calamiteux des pronostiques de la primaire EELV. Vu que Hollande et Aubry arrivaient en tête indépendamment du résultat annoncé pour Royal et Montebourg, cela était amplement suffisant à leurs yeux. Sans ratiociner à l’extrême, la problématique soulevée est de comprendre à partir de quand ces résultats de sondage peuvent raisonnablement être jugés fiables.
Pour base de travail, nous allons analyser les résultats de l’institut Opinionway livrés dans son sondage du 6 octobre 2011 et relatifs à la primaire du PS (ou "primaire citoyenne" pour être plus précis). Ce rapport annonçait la présence de 1'261 sondés internautes de gauche dont les 293 qui seraient sûrs d’aller voter selon la répartition (page 11) de ce tableau suivant :
Bien entendu, vu que les tantièmes sont arrondis à l’entier près, il n’y a pas d’intérêt à s’attarder sur le score marginal de Baylet qui avoisine les 1%. Mais ce tableau révèle qu’en valeurs absolues, les prévisions d’Opinionway sûres de voter induisent une variation relative moyenne de ±45% par rapport aux résultats finaux. Autrement dit, si un candidat est (très onéreusement) pronostiqué à 50% des intentions de vote sûres par Opinionway, son résultat aux urnes peut se retrouver en moyenne entre 34,5% et 90,9%.
Mais cette variation étudiée est toute relative. L’outil statistique formalise les choses plus précisément en tenant compte de la taille de l’échantillon, de la distribution statistique de l’erreur et de bien d’autres hypothèses qui nous nous dispensons d’aborder ici (pour des raisons de vulgarisation). Ainsi, si nous reprenons le tableau précédent enrichi des erreurs de mesure, nous aurons le suivant :
Ici, les 2 valeurs extrêmes de l’erreur constatée oscillent de -7% pour Montebourg à +10% pour Hollande. Mais, pour tous ceux qui sont au bénéfice de rudiments de statistiques, il leur apparaitra trivial qu’un échantillon de taille 293 engendre une erreur théorique de mesure contenue dans des fourchettes de ±3,4% pour Montebourg et de ±5,7% pour Hollande ; autrement dit, il était prévu qu’il y ait 95% de chance (selon l’usage) que le réel score de Montebourg se situe entre 6,6% et 13,4% et que le réel score de Hollande se situe entre 43,3% et 54,7%. Mais la réalité du soir du 9 octobre 2011 était bien différente. La cause en est certainement au manque de chance ; pour cela, nous espérons vivement qu’un sondeur se décidera enfin à attaquer Madame Chance en justice. Par contre, il ne peut certainement pas être tenu responsable qu’Opinionway ait indiqué dans son rapport (page 3) de petites marges d’erreurs ±2% à ±3% se référant à une population de taille 1’000.
D’ailleurs, si nous décidions d’être moins rigoureux, nous aurions pu élargir notre intervalle de confiance admis et le porter généreusement à 98%. Nous verrions encore qu’à chaque fois, l’erreur constatée est supérieure (en valeur absolue) à l’erreur théorique. Bien entendu, avec un art consommé de la litote, les sondeurs se défendront par la ritournelle que : "les sondages ne sont qu’une photographie d’un rapport de force à un instant donné" ; ce qui ne les empêche jamais de tripatouiller leurs négatifs avec leurs fameux coefficients de redressement selon une technique du doigt mouillée [nous aurons d’ailleurs l’occasion d’y revenir dans un tout prochain article].
Et avec cet épisode Opinionway, nous découvrons une des facettes de l’outil de propagande. A force de matraquer qu’un candidat est en tête, il obtient assez rapidement l’adhésion d’une majorité d’électeurs indécis qui, dès lors, verraient en lui la chance de victoire du parti prétendument approuvée par une majoritaire factice. A 6'000 km de distance, Dominique Strauss-Kahn avait réalisé l’exploit de précéder Hollande sur le podium sondagier sans qu’il ait eu à annoncer une seule fois un seul mot d’une seule proposition de son présumé programme. Bien au contraire, les éditorialistes nous l’avaient longuement présenté comme reflétant l’aspiration du peuple ; alors qu’ils nous apprenaient ensuite, après à l’épisode du Sofitel, avoir été mis dans la confidence sur le projet de candidature par DSK dont ils étaient parfaitement complices. Nous apprenions aussi que de nombreux sondages étaient initiés chez Opinionway par la boite de communication EuroRSCG mandatée par l’intéressé pour évoquer sa stature internationale, sa compétence et sa vision économique afin de le présenter comme le messie pouvant nous sortir de la crise.
En conclusion, nous pourrions à notre tour prédire que quand Opinionway réalise un sondage, nous pouvons prévoir qu’il y a plus de 98% de chance que la valeur réelle soit au-delà de la marge d’erreur théorique.
le 18/10/11,
Pascal CUXAC, Mathématicien,
(résumé extrait de mon prochain essai "Sur un décryptage")