Striptease psycho
Les amoureux de la rationalité risquent fort d’être une fois de plus très déçus par les débats et la tournure que prend (ça va s'accentuer) la campagne électorale. Les dossiers financiers et économiques qui pourtant sont au cœur de la problématique actuelle apparaîtront très rapidement tellement compliqués, avec des avalanches de chiffres contradictoires, des analyses divergentes difficiles à démêler, que les électeurs, dans leur très grande majorité, décrocheront assez rapidement d’une campagne centrée uniquement sur ces éléments. Non pas que le candidat « sérieux » soit dispensé d’évoquer largement ces contraintes ; il lui serait gravement reproché d’apparaître « léger » sur ces thèmes. Mais à partir du moment où il sera perçu comme « crédible » en la matière, le détail de son argumentation se perdra dans les sables de l’inconscient. L’électeur retiendra « capable ou pas capable » sans fouiller plus avant dans les détails des propositions. Bien sûr des éléments sociétales vont aussi venir parasiter les esprits. Ainsi Hollande est sur le point, pour moi, de franchir la "ligne jaune" avec son approche amène pour "l'euthanasie active" que refuse Sarkozy. Ce dernier a raison de s'en tenir aux Lois Léonetti, amplement suffisantes pour à la fois garantir la dignité des derniers instants de la vie tout en évitant les dérapages prévisibles de toutes autres dispositions législatives. Mais là ne sera pas plus finalement l'essentiel.
Les deux candidats donnés comme finalistes actuellement ont semble-t-il parfaitement pris en compte les données psychologiques du scrutin qui s'annonce : données irrationnelles, faisant appel à la thymie, au ressenti et à l'affect, comme toujours. Jean-Luc Mélenchon ne fait rien d’autre quand ayant condamné « le système », il parle "au coeur" dans ses meetings très suivis. L’affect, "l'homme au centre de tout"... "le coeur à gauche de la radio du thorax"plus que le raisonnement : « résistez … vous seuls pouvez changer les choses … la force c’est vous … et personne ne viendra vous aider … » Le tribun de la vraie gauche mobilise sur un refus et surtout par les « tripes », par le cœur. Bayrou stagne pour des raisons inverses. Bien sûr son « ni droite ni gauche » va comme un gant à beaucoup mais se heurte très vite au « déficit affectif » justement. Pour Marine Le Pen, les envolées classiques du FN et l’appel « aux oubliés de la terre » ont pu provoquer l’intérêt, mais là également l’affect est absent, ou plutôt seulement « négatif » ; c'est celui de l'exclusion. Il s’agit d'un rejet simple sans une véritable mobilisation en faveur de … Il n’y a pas chez elle d’ouverture à l'autre, mais seulement du repli, une restriction sentimentale. Pour Eva Joly, l’affaire est depuis longtemps entendue, les Français ont l’impression de se retrouver en « garde à vue » Les tics et hésitations de Hulot auraient pu faire beaucoup mieux.
Pour nos deux ténors, c’est donc bien autour de cette affectivité que les choses vont se passer. A ce jeu on pourrait croire que Hollande l’emportera haut la main. L’affirmation mérite un examen plus précis. Hollande compte effectivement beaucoup sur le « rejet » d'un Sarkozy mal aimé. A ce jour il semble logique de penser qu’il pourrait avoir raison. Mais là encore, il s'agit d'une pulsion négative escomptée, pas nécessairement une adhésion positive. En effet déclenche-t-il lui-même l’élan, comme avait pu le faire Mitterrand en 81 sur fond de petite église et de « force tranquille » ? Rien n’est moins certain.
Le handicap de Sarkozy est certain, tant il est vrai que les dérapages du début du mandat ont fortement marqué les esprits. Mais le candidat est un orfèvre et il peut par des aveux humbles, à cause d’attaques trop dures de ses adversaires, corriger quelque peu la tendance. Il suffit souvent d'un rien. Il n’a pas besoin d’affirmer ses compétences, sa capacité de travailleur acharné, sa pugnacité face à l’adversité ; il lui suffit d’être moins « mal aimé ». Des adversaires trop maladroits peuvent lui donner l’occasion de se faire plaindre ; de réveiller du "sentiment".
C'est à l'aune de cette recherche de tous les instants et pour les deux protagonistes qu'il faut regarder la main de Hollande sur l'épaule du Président au dîner du CRIF ; Sarkozy qui se lève, la poignée de main chaleureuse, toute cette séquence insignifiante n'est rien d'autre qu'une recherche affective d'ailleurs non feinte à ce niveau de tension médiatique, sans que l'on puisse dire qui en bénéficie le plus. Hollande prétend avoir recherché "l'image", Sarkozy a fait preuve d'humilité, le président du CRIF était heureux d'être sur la photo ... De telles symboliques ne feront que se multiplier sans qu'il soit vraiment possible d'apprécier véritablement le principal bénéficiaire avant le terme.
Une fois de plus les ressorts de cette élection ne seront pas techniques et raisonnables, mais essentiellement psychologiques et émotionnels. Il ne suffit pas de dire avec emphase « vous n’avez pas le monopole du cœur » il faut montrer le sien. Actuellement, à ce petit jeu, Mélenchon l'emporte haut la main.
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