Suppression de la garden party de l’Elysée : petite économie, gros préjudice
La suppression de la garden party de l’Elysée : Une économie de 0,7% pour le budget de l’Elysée, mais aussi une démission face au rôle et au sens du 14 juillet en France.
Quelle est, fondamentalement, le rôle de la fête dans nos sociétés ? Mot cousin de Foire et de Festin, la fête publique est aussi un instant de transgression. Même si les pétards sont désormais interdits dans les villes, les bals des pompiers, les feux d’artifices les plus beaux et les plus originaux, donnent à la soirée du 13 juillet, un goût de Féria, propice à un étourdissement collectif, à l’effacement, le temps d’une fête, de tous les soucis du quotidien et de toutes les barrières sociales. Dans tous les quartiers, dans tous les villages, hier, la fête était totale le 13 juillet. « L’adhérence » était forte selon le mot de Sartre. Oui, si la fête est bien une façon d’arrêter le temps, de se rapprocher, de vivre une frénésie en étant en relation avec quelque chose de plus fort que nous, en mettant le monde à l’envers. Mais cette capacité de jouissance collective est-elle aussi forte aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans ? Ou reste-elle juste un particularisme local ? Entre « nuit blanche », « fête de la musique » , « féria de Nimes » et « carnaval de Nice » ? Il est temps de poser la question.
Le sens collectif de la fête change avec les mentalités
Car nous pouvons en douter, tant le cadre privé, celui de la famille et des amis, supplante de plus en plus celui de la collectivité, tant les jours fériés sont davantage symboles de loisirs et de temps libre personnels que de fête. On fait moins la fête aussi parce qu’il y a moins de tabous à transgresser, parce que la République est installée, la liberté politique aussi, le patriotisme suspect et la libéralisation des mœurs acquise. Il ne resterait donc à terme au 14 juillet que les rendez-vous Facebook ? C’est une question qui n’est pas incongrue, alors que la Saint Valentin fait désormais plus recette en tête à tête que les fêtes collectives et que les réseaux sociaux relativisent le charme des bals populaires…
Mais le 14 juillet a une histoire, une histoire qui remonte 221 ans en arrière
Née le 14 juillet 1789, de façon improvisée cette fête fut en réalité célébrée la première fois en 1790, lors de la grande fête de la Fédération qui exprimait les premières idées de la Révolution Française. Cette fête fut organisée en hommage à ces émeutiers qui ont fait vaciller le pouvoir royal en s’emparant de la prison de la Bastille, l’année précédente, faisant tomber ce symbole du pouvoir absolutiste. Il faudra ensuite près d’un siècle pour que cette fête s’ancre réellement dans nos institutions. Dans le débat au Sénat, le 29 juin 1880, Henri Martin, le rapporteur, conclue ainsi son exposé « (…) à travers toutes les calamités que nous avons subies, à travers tous les courants d’action et de réaction qui ont si longtemps désolé la France, cette grande idée de la Fédération n’ont pas cessé de planer sur nos têtes comme un souvenir impérissable, comme une indomptable espérance. Messieurs, vous consacrerez ce souvenir, et vous ferez de cette espérance une réalité. Vous répondrez, soyez-en assurés, au sentiment public en faisant définitivement du 14 juillet, de cette date sans égale qu’a désignée l’histoire, la fête nationale de la France ». Et la loi, avec un article unique « La République adopte le 14 juillet comme fête nationale annuelle » fut promulguée le 6 juillet 1880. Ironie de l’histoire, le ministre de l’intérieur de l’époque prescrit alors aux préfets de veiller à ce que cette journée « soit célébrée avec autant d’éclat que comporte les ressources locales »…
Même si le 14 juillet 2010 n’est pas remis en question comme fête nationale, avec un défilé militaire qui s’annonce même en présence des chefs d’Etats Africains, il contredit un peu cette consigne de 1880… en supprimant la fête dans les jardins de l’Elysée, une tradition de plus de 50 ans.
On garde le défilé, mais on supprime la fête.
Car le président de la République a voulu en faire un symbole : La garden party de l’Elysée, qui avait reçue 7500 invités en 2009 pour un budget global de 732 836 euros a été supprimée mi-juin. Le quai d’Orsay et le ministère de l’outre-mer ont suivi, et d’autres collectivités, des grandes villes notamment y pensent… Les concerts en plein air devraient aussi être réduits, Bref, la République se serre la ceinture et ne fait plus la fête.. Mais as-t-on bien mesuré l’impact de la suppression de cette institution ?
Qu’est ce que Nicolas Sarkozy a t-il voulu signifier ? Que l’Elysée n’était plus, désormais, la référence en ce jour de fête nationale ? Ce serait oublier que ce jour-là, l’Elysée est plus que jamais un lieu de concorde. Oublié le général de gaulle serrant la main serrant la main de Mohamed Mokrane, sénateur de Sétif-Batna (Algérie), dans les jardins de l’Elysée en 1959, Le président Georges Pompidou saluant en 1973 Anne Chopinet, première jeune fille à être admise à l’école Polytechnique, sortie major de la promotion . Et Serge Gainsbourg, cigarette à la main, trinquant avec des militaires français le 14 juillet 1985. Et le Président Chirac et les joueurs de l’équipe de France sur le perron de l’Elysée célèbrent le titre de Champion du monde 1998, lors de la belle époque du football français...ou recevant, le 14 juillet 2003 l’ancien président Sud-Africain Nelson Mandela, l’occasion de lui rendre un vibrant hommage. Et n’oublions pas non plus ce 14 juillet 1989 inoubliable, sur les Champs Elysées comme dans les jardins de l’Elysée de François Mitterrand.
Le 14 juillet était l’occasion pour beaucoup de découvrir l’Elysée
Et combien de jeunes élèves officiers, et de simples soldats venant de défiler, d’élèves venus des quatre coins de la France, et des quartiers en difficulté, de gens simples côtoyant le gotha mondain et l’ensemble de la classe politique, enfin souvent plus la majorité en place que son opposition… Et combien de représentants associatifs, de fonctionnaires, de chefs d’entreprises, de syndicalistes ou de simples citoyens foulaient ce jour là, pour la première fois les jardins de la République ? Mais, dans la cohue qui accompagnait toujours le président venu à la rencontre de ses invités, le symbole était fort : Un moment où les citoyens ressentaient plus que jamais leur appartenance à la nation républicaine. Et c’est bien parce que cette fête trouve sa source dans l’histoire de la naissance de la République que sa signification, au plus haut sommet de l’Etat reste aussi forte.
Une suppression « hâtive » ?
Alors, fallait-il en annoncer ainsi la suppression, dans un climat de tension sur des affaires et de remise en question du train de vie de l’Etat ? Je ne le crois pas, et ce ne sont pas les 740 000 euros d’économisés sur un budget de 112 533 000 euros qui seront significatifs. Il s’agissait en plus d’achats extérieurs, des prestations de traiteurs, de montage de tentes et d’achat de vins et de champagne pour les 8/10èmes. Ce budget servait en cela aussi l’emploi, alors que le syndicat des traiteurs s’inquiète désormais de l’effet « boule de neige » de cette décision. En outre, depuis 2008, les achats extérieurs de l’Elysée sont soumis à des appels d’offres, susceptibles de faire baisser les coûts de 20 à 30% selon le directeur de cabinet du président. Et il aurait été possible de revoir le nombre et la qualité des invités, de réserver par exemple, cette fête à la réception de la France dite « laborieuse », bref, de changer le cadre sans supprimer, apparemment rapidement et sous pression, une fête chargée de symboles.
Le 14 juillet, fête de la République
Le 14 juillet a été déclaré « Fête Nationale » le 31 janvier 1879, c’est à dire à l’instant ou la République s’ancrait réellement dans les institutions françaises. Le 14 juillet 1880, sous la présidence de Jules Grevy, fut grandiose, avec 300 000 spectateurs à l’hippodrome de Longchamp. Puis le 14 juillet 1886 vit pour la première fois une femme, cantinière. Le 14 juillet 1888, Sadi Carnot, nouveau président, offre un banquet à tous les maires de France et 4000 répondent à son invitation. N’oublions pas ce 14 juillet 1919 coînncidant avec un défilé de victoire, après la signature du traité de paix du 28 juin 1919. Le Front populaire invita les Français à « reprendre la grande tradition révolutionnaire qui faisait du 14 juillet le jour de l’espérance et de la communion des volontés populaires ».Et puis ce fut l’absence de cérémonies durant l’occupation dans le Paris occupé de la dernière guerre, avec un jour resté férié mais consacré, avec l’Eglise, au… deuil ! Le 14 juillet 1945 fut un jour « plus que jamais fête nationale puisque la France y fête sa victoire en même temps que sa liberté ». En ce jour de concorde avec les américains, l’ambassadeur des Etats Unis rappela que Thomas Jefferson, auteur de la déclaration d’indépendances des Etats Unis, était présent à Paris le jour de la chute de la Bastille, le 14 juillet 1789...
L’avenir de la fête nationale désormais dans les mains de tous
Alors, quel souvenir laissera ce 14 juillet 2010 ? Il revient désormais à tous les citoyens d’apprécier la profondeur de l’histoire de ces « fêtes de la République », moments rares de bonheurs collectifs, et de défendre, dans les villes et les villages, la perpétuation de cette tradition, dans l’inter génération et si les nouvelles générations le veulent, aussi…
Eric DONFU
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