Taiwan : la révolution politique en douceur
Démocratie moderne aux passions politiques parfois agitées, Taiwan efface depuis quelques mois les traces de son passé issues de la guerre civile chinoise de 1949. Symbole de ce passé : le nom de l’ancien chef de l’Etat, Chang Kaï-chek, disparaît du domaine public.
Taiwan est une démocratie moderne qui, en quête de son destin dans le XXIe siècle, cherche dans ce même processus ses racines politiques, nationales, culturelles, voire ethniques. Depuis quelques mois, le gouvernement en place, réputé "indépendantiste" par rapport à la Chine, efface les traces du fondateur de l’Etat, venu en 1949 avec plus de 3 millions de soldats chinois et son parti, le Kuomintang, créer sa "République de Chine" à Taiwan, le maréchal Chang Kaï-chek.
Une disparition publique progressive
Le premier acte de cet effacement du "Père" du Taiwan moderne a été symboliquement fort, puisqu’il s’agissait du nom du grand aéroport international du pays, qui s’appelait depuis sa mise en service "Aéroport international Chang Kaï- chek".
Depuis le changement de dénomination officielle, ce centre nerveux de communications avec le monde entier est devenu simplement "Aéroport international de Taoyuan", du nom de la ville dans laquelle il est inséré.
Le gouvernement avait tablé sur de fortes oppositions à sa décision et avait donc préparé le terrain politique par une campagne médiatique visant à retracer les principaux méfaits connus de l’ancien dictateur de la Chine républicaine, puis de Taiwan.
L’accent avait été mis particulièrement sur la répression sanglante des élites intellectuelles taiwanaises qui avait débuté le 28 février 1947, avant même la fin du régime du Kuomintang en Chine (environ 10.000 morts et blessés officiellement). Le 28 fevrier est depuis plusieurs années jour ferié national en souvenir des victimes.
En arrière-plan, on avait aussi, ce qui semblait assez habile vis-à-vis du gouvernement de Pékin, rappelé les malheurs que le voisin chinois avait subis sous la férule du maréchal : écrasement de la révolution chinoise de 1927, guerres internes incessantes, guerre civile 1945-1949 avec son cortège de massacres de civils, corruption généralisée, etc.
De manière peut-être surprenante, le changement de dénomination de l’aéroport international n’a pas généré les problèmes que le gouvernement prévoyait. Seul, le parti Kuomintang, qui est l’héritier actuel de la vision politique de Chang Kaï-chek, a vivement critiqué cette décision, mais il n’a pas pu trouver de soutien populaire afin d’empêcher son application.
Une stratégie calculée d’effacement public par petites étapes successives
Ce premier pas a été suivi pendant quelques mois par une intense information sur les "méfaits", selon le gouvernement, de la politique du maréchal venu de Chine, contre Taiwan et sa population.
La recherche de témoignages et documents sur les actes de répression, les assassinats, les tortures et emprisonnements arbitraires, tous commis à Taiwan, a été active. Elle a permis aux Taiwanais, de toutes origines, natifs de l’île ou descendants des troupes chinoises arrivées en 1949, de se réapproprier leur histoire réelle collective, par delà les légendes que la propagande officielle, entre 1949 et 1985, avait inculquées à plusieurs générations de citoyens, afin de maintenir vivante la thèse (la fiction ?) de la reconquête prochaine de la Chine par le parti unique alors au pouvoir.
Dans les manuels scolaires d’Histoire, les faits du passé depuis 1949 sont maintenant présentés de façon plus "balancée". D’une certaine manière, Taiwan sort à son tour d’une logique politique intérieure de "guerre froide" sino-chinoise qui n’intéresse plus personne dans le pays. On fait en quelque sorte "table rase" du passé qui ne répond plus aux besoins de l’avenir, afin de rebâtir le débat public du pays sur des bases plus en rapport avec les réalités et les problématiques actuelles.
Le deuxième "coup" symbolique au coeur de Taipei
C’est le 19 mai 2007, que les autorités publiques ont porté leur deuxième coup hautement symbolique en débaptisant le très célèbre et emblématique "Mémorial Chang Kaï-chek" de Taipei, la capitale, afin de le renommer très officiellement " Mémorial national de la démocratie à Taiwan". Et ceci dans une ville dont la mairie est une base du parti Kuomintang !
A l’évidence, le choix des mots se voulait être d’une forte portée politique dans l’opinion publique. Là aussi, l’annonce de l’événement par le gouvernement n’a donné lieu qu’à quelques incidents mineurs, l’opinion étant plus ou moins indifférente à ces changements d’appellation. Elle a, il est vrai, d’autres soucis en tête, comme la situation économique.
Ceci dit, ce 19 mai, de facto, le gouvernement réputé "indépendantiste" a, sans heurt, réussi à sortir, puis effacer Chang Kaï-Chek de la vie publique nationale et à le remettre comme un simple sujet d’études historiques.
Cela a et aura des conséquences sur le plan strictement interne taiwanais, mais va aussi probablement influer sur les relations à construire maintenant entre Taiwan et son puissant voisin, la Chine.
Vers des relations nouvelles entre la Chine et Taiwan
La relative indifférence de l’opinion publique à ces actes publics souligne un fait social majeur : Taiwan accède maintenant à une démocratie moderne en effaçant en douceur les frontières visibles des partis politiques qui ont marqué l’histoire de l’île depuis près de soixante ans, et notamment son passé dictatorial.
Pour le parti Kuomintang, il est évident qu’il lui faut dorénavant redéfinir sa stratégie et son programme dans un contexte qui ne peut plus admettre comme objectif, même théorique, la "reconquête de la Chine". Il semble que ce parti soit donc à terme condamné à se transformer progressivement de manière profonde, sous peine de disparaître.
En face, le parti "indépendantiste" peut se targuer d’avoir par ses actions, certes plutôt de nature symboliques, implanté en profondeur les valeurs démocratiques dans un pays qui aspire à devenir un modèle "chinois" sur ce plan. Il lui faudra, pour le futur, savoir construire une identité commune forte et acceptée par toutes les composantes de la population de l’île. C’est là son défi principal.
Les autres partis politiques taiwanais pourront aussi, ce cadre ancien révolu en douceur, mieux se déterminer et se positionner par rapport aux grands problèmes de la société taiwanaise moderne.
Sur le plan extérieur, s’il est encore trop tôt pour pouvoir établir des prédictions valides sur les conséquences à terme de l’éviction par Taiwan elle-même de Chang Kaï-chek et de ses "théories politiques chinoises", il est certain que la question des relations entre Taiwan et la Chine actuelle va se poser de manière sensiblement apaisée, du seul fait que Taiwan ne revendique plus une quelconque "volonté de reconquête".
D’un certain point de vue, tant pour la paix intérieure que pour la politique extérieure avec la Chine, les autorités taiwanaises, quelle qu’elle soient dans le futur, ont donc tout intérêt maintenant à garder nettement une identité "chinoise" qui puisse fédérer souplement, mais profondément, la population de l’île sur des valeurs démocratiques et citoyennes communes, en rassurant ainsi la Chine sur sa "sinéité" fraternelle.
La subtilité politique et la sagesse diplomatique ne sont-elles pas des vertus chinoises à partager ?
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