Talence, symbole d’une défaite prévisible de la droite aux municipales
La ville de Talence pourrait basculer à gauche compte tenu de la configuration politique locale et très emblématique d’une équation qu’on retrouvera dans d’autres villes de cette taille. L’occasion de mettre les coups de projecteur sur cette ville grande, mais trop moyenne pour être dans le champ de mire des médiarques parisiens.

Ce 26 février 2008, Ségolène Royal est
venue soutenir plusieurs candidats aux municipales dans les grandes villes
girondines. Certes, les chances d’Alain Rousset, le plus médiatisé, sont d’ores
et déjà réduites pour diverses raisons locales. Mais cela ne nous interdit pas
de mettre un coup de projecteur sur Talence, ville dépassant les 40 000
habitants, accueillant sur son territoire une université scientifique, nombre
d’étudiants et avec, des établissements d’enseignement supérieur, architecture,
hôtellerie, commerce, grandes écoles.
Talence fait donc partie des villes de
plus de 30 000 habitants, seuil de population ouvrant droit à certaines
dispositions légales mais aussi seuil symbolique dès lors que le scrutin est
politisé, comme c’est le cas en 2008 et d’ailleurs, cette politisation, bien
que jugée non déterminante par une courte majorité de Français, sera
déterminante pour quelques dizaines de communes dépassant ce seuil symbolique
et pouvant basculer si l’enjeu politique pèse suffisamment. Car dans les
élections indécises, c’est une minorité d’électeurs qui fait basculer dans un
sens ou dans l’autre. Bien que les lignes de polarisation idéologiques aient été
bouleversées depuis des décennies, on retrouve un peu la situation des
élections de 1983 où une fronde contre Mitterrand fit perdre à la gauche 31
villes de plus de 30 000 habitants, dont Talence, alors dirigée depuis
1965 par Deschamps, de la SFIO puis du PS. La ville fut prise par Gérard
Castagnera, dont le décès en 1994 amena aux commandes un de ses adjoints, Alain
Cazabonne, prenant vite la situation en main, réélu en 1995 alors que la gauche
nationale était en perdition, puis en 2001 face à un candidat socialiste plutôt
terne et dans un contexte plutôt morose pour la gauche. Dans le Prince
de Machiavel, on lit que lorsqu’on prend le pouvoir par la fortune, il est plus
difficile de le conserver que lorsqu’on l’acquiert par la virtù. Certes,
ces propos sont d’une autre époque mais ils ont encore une part de
signification et nous verrons bien si Alain Cazabonne saura conserver cette
ville qu’il eut en sa possession suite au décès du maire en exercice et qu’il a
gérée correctement mais avec un bilan contrasté et sans éclat particulier,
excepté le tramway, équipement dont la maîtrise d’ouvrage sort très largement
de son pouvoir de maire.
On ne peut lui reprocher d’avoir « aménagé »
un centre-ville, et accueilli un multiplexe Gaumont, favorisant ainsi
l’animation et les sorties ciné-resto mais cela ne donne pas une âme à une
ville. Le principal reproche fait au maire actuel, c’est sa politique de
quartiers, notamment Thouars, là où sont concentrés nombre d’HLM avec des
ménages plutôt modestes, pour ne pas dire pauvres. Autant dire que ce lieu où
fut tourné la saynète électorale pour les habitants et les médias est
éminemment symbolique. Gilles Savary, chemise ouverte, aurait pu choisir le
campus universitaire pour accueillir Ségolène Royal, à une époque où l’on parle
de croissance et d’économie de la connaissance. Mais c’est dans ce quartier
populaire à forte mixité sociale, entre deux barres HLM, que madame Royal, au
sourire imperturbable, au regard iconiquement divin, est venue professer
quelques bonnes paroles de gauche après la déclaration d’intention de Savary,
fort applaudi lorsqu’il affirma avec force qu’une ville, ce n’est pas que du
béton mais aussi et surtout des gens dont certains sont en difficulté. Ce qui
lui a permis de lancer une pique à son adversaire Cazabonne, lui reprochant de
s’occuper des jeunes en leur offrant des places de cinéma ou pour les stades,
au lieu de leur donner les moyens de s’insérer dans l’existence professionnelle
et citoyenne ; de traîner pour financer des équipements dans le quartier.
Autant dire que le PS a, l’espace d’un instant, retrouvé quelques-uns de ses
fondamentaux et misé sur son électorat historique. Est-ce que cela sera
suffisant pour la victoire le 16 mars ? En tout cas, c’est bien parti, au
vu des résultats aux présidentielles donnant 58 points à la candidate du PS.
La seule issue pour Cazabonne, c’est de
se faire neutre, carrément suisse et d’ailleurs, il se présente sous
l’étiquette du Modem en se déclarant apolitique, vu qu’il fut UDF avant la
scission post-présidentielle et aussi qu’il a compté les résultats de 2007
donnant au premier tour 24 points à Bayrou, alors que Sarkozy ne fit que 25
points. Autant dire qu’en se réclamant de la majorité présidentielle, il eût
couru à sa perte. Cazabonne, justement, fébrile, est venu provoquer de sa
présence la rencontre entre Royal et Savary, non sans une algarade physique
filmée par les caméras de FR3. Sans doute, sent-il le vent tourner mais ce n’est
pas la première fois que le maire de Talence fait preuve d’une certaine
nervosité. Un jour de marché, à Thouars, il en est venu aux mains avec quelques
citoyens associatifs venus afficher des pancartes pour signaler des points de
contestation sur la politique du maire. Ultime provocation, la mise au placard
de la tribune politique des Verts dans le dernier bulletin municipal, juste un
tiers de page, mais restée vide sous prétexte que le texte n’avait pas été
envoyé dans les délais. Pourtant, Monique di Marco, responsable des Verts
talençais et seconde de la liste Savary, m’a assuré qu’elle avait envoyé le
document* dans les délais et qu’elle en a la preuve. Bon, ce ne sont que des
petites affaires de clocher dira-t-on mais qui, accumulées, en disent long sur
la personnalité controversée du maire actuel, jouant les mécaniques sur son
fief.
Les Verts sont la seconde composante de
cette liste unitaire de la gauche traditionnelle, union sacrée comprenant le
PS, le PC, le MRC et en plus, quelques étiquetés société civile dont une
représentante de la Coortical, réseau regroupant des associations non affiliées
à la mairie. Tout ce monde réuni pour une reconquête à gauche dans le contexte
politique que l’on sait et qui pèsera de tout son poids sur ce scrutin
apparemment indécis (pour info, j’ai fait l’impasse sur la liste LCR et sur une
liste dissidente de gauche). Quant à la campagne, elle se joue comme dans toutes
les grandes villes ; l’équipe sortante défendant son bilan et l’adversaire
attaquant avec une batterie de critiques dont les autres se défendent. C’est le
cas à Talence avec deux exemples, l’un concernant la politique du logement et
ses résidences hôtelières du centre qui ne feraient pas entrer suffisamment de
taxes d’habitation et l’autre sur la question des espaces verts qui auraient été
mal soignés, et le maire d’infirmer. On dira que c’est un peu le lot de la
politique, un peu comme la publicité pour un fabricant. S’il n’en fait pas, son
concurrent en fera et donc, pour être sûr de ne pas perdre de consommateurs, la
publicité est pratiquée sans connaître son efficacité réelle. En ce sens, il
faut attaquer, comme le fait Savary, car cela ne peut pas faire perdre de voix
à son camp et même en gagner. Et Cazabonne de se défendre. C’est de bonne
guerre. Tout est question de confiance. L’électeur n’a pas des heures et des
heures pour examiner les chiffres à la loupe. Mais il connaît son compte en
banque et voit bien comment la mairie gère les quartiers.
A Talence, le choix sera clair pour une
partie non négligeable des électeurs, ceux des classes moyennes et précaires,
qui subissent les assauts répétés de la politique de droite depuis six ans,
avec une intensification après l’élection de Sarkozy, dans un contexte où certaines
ressources fondamentales augmentent, pas énormément certes, l’alimentation,
beaucoup plus, l’essence, qu’on met dans sa caisse pour aller bosser ou dans
son scooter, alors avec les franchises médicales, tout ça s’additionne et
Talence mérite largement un maire de gauche, en misant aussi pour un
renouvellement de l’équipe, l’ancienne ressemblant, aux yeux de certains, à un
club de notables provinciaux jouant les commensaux dans les partages
municipaux. C’est d’ailleurs ce que rapporte un militant associatif, évoquant
une rencontre publique où, lorsque Cazabonne épingla son adversaire, les « sourires
BCBG » se sont ouverts dans l’assistance. Mais le maire a su aussi être
très présent dans sa commune, s’occupant un peu de tout, des vieux, des jeunes,
s’affichant dans les moindres manifestations locales, photos à la clé dans le
bulletin municipal, et surtout, marquant de sa présence et son soutien nombre d’associations
servant de vitrines pour l’équipe municipale actuelle. Voilà la clé, Savary
et son équipe ont des idées de changement et l’élan de gauche avec eux, mais ils
ont face à eux les habitudes et l’implantation d’une équipe. Sur ce coup, si
rupture il y a, elle viendra de la gauche ! Faut que ça bouge, Talence
n’a pas vocation à devenir une ville dortoir et les fêtes talençaises méritent
sans doute mieux que Dave ou Nicoletta pour célébrer les talents français. La
roue doit tourner et pour bien des citoyens talençais, c’est un zeste d’honneur
que de bouter le clan des installés et le camp des mieux lotis. Et de refuser
cette dissolution des classes et des valeurs sociales inscrite dans la rupture.
* Quand la communication tient lieu
d’action (extrait de la tribune des Verts talençais, par Monique di Marco, Laure Bidon et Jean-Luc
Légeron)
Sarkozy, le prestidigitateur, nous a
appris que la communication est plus importante que l’action :
« travailler plus pour gagner plus », « augmenter le pouvoir d’achat ».
Utilisant la même technique, notre maire s’adonne à la prestidigitation qui
consiste à détourner, à grand renfort médiatique, l’attention du public vers un
point de détail pendant qu’il escamote le lapin blanc.
L’exemple le plus récent est la cérémonie
d’attribution du label « Arbre remarquable » pour la sauvegarde d’un orme du
Caucase dans le nouveau parc Curvale. La célébration de cet arbre cache la
forêt d’erreurs irréversibles comme la dévastation du parc de la
maison Veillon (pour installer une énième agence bancaire) revêtu de bitume et
l’amputation du bois Lafitte pour construire 60 logements.
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