Tensions urbaines : le cas de la Grande-Bretagne
Un regard sur la Grande-Bretagne, qui a récemment connu des émeutes violentes mais brèves, dans un quartier de Birmingham. Un cas à part, où le modèle communautaire connaît des problèmes d’un type différent de ceux que l’on peut rencontrer en France.
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En Grande Bretagne, les émeutes qui ont éclaté dans l’hexagone ont également reçu un large écho : celles-ci sont décrites dans le quotidien conservateur The Times comme la « plus grande explosion de violence urbaine en France depuis la fin des années 1960 ».
Mais
la critique se fait beaucoup plus acerbe lorsqu’il s’agit d’évoquer les
facteurs sociaux, qui pourraient avoir alimenté la colère dans ces
quartiers. Le Times fustige le « modèle social français » qui, selon un
journaliste, ne prendrait pas suffisamment en compte la dimension
ethnique de la population française d’aujourd’hui : ce « modèle social
français » y est même taxé de « colour blind ». On critique par
exemple le manque de représentants des minorités à l’intérieur des
différents corps de l’État, notamment la police, perçue dans ces
quartiers comme un corps étranger répressif.
Les émeutes de Birmingham, 22-23 octobre 2005 |
Parties
de la rumeur du viol d’un jeune jamaïcaine de 14 ans par une vingtaine
d’hommes d’origine sud-asiatique dans le quartier multiethnique de
Lozells (qui compte principalement des communautés en provenance du
Pakistan, du Bangladesh, d’Inde et de Jamaïque), des émeutes avaient
éclaté dans ce quartier de 30 000 habitants le 22 octobre dernier. Les
affrontements débutèrent par une grande bagarre provoquée par une
centaine d’asiatiques masqués et cagoulés, auxquels se sont opposés des
membres de la communauté noire. Des jets de pierre contre une église,
l’attaque de policiers anti-émeutes à coups de bouteille et de briques,
l’agression d’automobilistes et d’une journaliste à coups de battes de
base-ball, la destruction de boutiques, des incendies de voitures et le
décès d’un Noir poignardé à l’arme blanche se sont succédé pendant
deux jours. Les émeutes avaient rapidement pris de l’ampleur suite à
l’arrivée de fauteurs de troubles en provenance de Londres et du reste
du pays. On a compté en tout 20 blessés dont un policier blessé par
balle. Le même quartier de Birmingham, troisième ville du pays, avait été dévasté par deux jours d’émeutes après l’arrestation d’un Noir en septembre 1985. Depuis, des affrontements opposent régulièrement les communautés ethniques à Birmingham, généralement autour de problèmes de drogue et de rivalités entre gangs armés. Lozells connaît un taux de chômage de 22%, près de 30% de parents célibataires, et 22% de la population bénéficie d’indemnités pour maladie de longue durée. Il est notable que ces tensions sont d’une nature différente de celles que connaît la France dans ses banlieues actuellement. Il s’agit là de conflits interethniques. |
Dans le courrier des lecteurs de ce même journal, on peut également lire de nombreux commentaires fustigeant « l’absence de réseau de contacts réguliers et d’interaction entre religions », alors que ce type de structure de dialogue social interethnique a été mis en place il y a bien longtemps par l’État au Royaume-Uni. Ironiquement, on n’hésite pas à moquer ces Français qui avaient été si prompts à critiquer le modèle britannique de société, notamment au cours des années 1970 : ces arrogants Français auraient bien « besoin d’une leçon de la part d’une nation de petits commerçants (« shopkeepers ») sur la manière de régler les problèmes d’émeutes urbaines ».
Pourtant, par certains aspects, les situations française et
britannique présentent certains caractères communs : le Royaume-Uni,
ancienne puissance coloniale, a également accueilli de nombreuses
communautés issues de ses anciens dominions : citons par exemple les
communautés pakistanaise, indienne, africaine ou encore originaire des
Caraïbes. Ce pays a été le premier pays européen à subir sur son sol
des émeutes raciales en 1958, dans le quartier londonien de Notting
Hill, où une forte communauté noire originaire des Caraïbes vivait.
Au cours des années 1960, le Royaume Uni a également mis en œuvre un grand programme de villes nouvelles pour accueillir ces nouveaux immigrants, et construit des habitats collectifs semblables aux cités françaises.
Cependant, et c’est là qu’on peut voir une première différence avec la France, la politique de la ville a, dès les années 1970, mis fin à ce type de programme, et a remis en œuvre des programmes de construction de logements individuels et de pavillons dans la plus pure tradition britannique. Il existe donc aujourd’hui un nombre beaucoup plus restreint de « cités » qu’en France, et les minorités ethniques à faible revenu ne sont pas mises à l’écart des centres villes, comme elles peuvent l’être en France. A l’intérieur d’un même quartier et même d’une rue, on peut voir cohabiter des personnes issues de catégories sociales très différentes. Ici, la ségrégation sociale ne s’est pas matérialisée dans une autre ségrégation de type spatial.
Les émeutes raciales de 1981, qui ont eu lieu à Brixton, étaient un phénomène de centre ville (« Inner cities »). A ce sujet, les journalistes du Guardian font un parallèle entre la situation française actuelle et la situation en Grande-Bretagne au début des années 1980. Les émeutes de Brixton ont en effet provoqué chez les politiques britanniques un prise de conscience sur l’urgence qu’il y avait à intégrer les minorités dans le circuit économique, afin d’éviter ce type d’éruption de violence : les années 1980 virent le développement, sur le modèle américain, de l’ « affirmative action », aussi bien dans les administrations publiques que dans les grandes entreprises. Les émeutes de 1981 sont les dernières grandes émeutes de type racial dans lesquelles l’État, comme représentant d’une population considérée comme dominante, était visé directement par une minorité ethnique.
Le modèle britannique d’intégration, qui selon Trevor Phillips, président de la Commission pour l’égalité raciale au Royaume-Uni, se caractérise par la volonté de « laisser aux nouveaux venus un espace et une souplesse pour leur permette d’adapter leur identité historique au mode de vie du royaume », différent d’un modèle français dans lequel « intégration et assimilation se confondent ».
Si le modèle britannique a pris en compte la dimension interethnique de sa population, il est par ailleurs critiqué pour son incapacité à imposer à ses citoyens des valeurs communes. En outre, les nombreuses émeutes interraciales, qui ont eu lieu au cours des dernières années dans le Nord industriel (Oldham, Birmingham, Liverpool) ou près de Londres (Bradford), montrent que les tensions sont extrêmement vives entre communautés pakistanaise, noire et européenne par exemple. On peut par exemple se demander si ces émeutes ne seraient pas un effet pervers, lié à la volonté étatique de distinguer les membres de chaque communauté ethnique, afin de n’en léser aucun dans l’attribution de subventions ou de postes administratifs. Une trop forte ethnicisation des solutions proposées ne risquerait elle pas, finalement, d’aboutir à un renforcement des replis communautaires, à l’opposé des objectifs poursuivis par l’affirmative action ?
Auteur : Guillaume GAVOTY, Euros du Village
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