Théologie et mélange des genres
La religion s'est réinvitée dans l'hémicycle, dans un contexte volontairement brumeux où toute part d'ombre est prétexte à la frustration d'un pan de la population et coupe alors cours au débat parlementaire pourtant indispensable.
Il y a quelques jours, Madame le Député Obono a cité la Bible dans l'hémicycle pour saper les fondements du projet de loi anti-terroriste, qui vise notamment à élargir les prérogatives des préfets dans le cadre de fermeture de lieux de cultes identifiés comme radicaux. Si les journaux s'empressent de placer le mot "mosquée", ce n'est pourtant pas le périmètre de la loi, qui est plus vaste. Dès lors ce retour ponctuel constitue un transgression choquante à double titre.
Il est d'abord question de théologie à l'Assemblée Nationale où elle n'a pourtant pas sa place, même si le lien avec les causes de cette loi est sous-jacent.
L'État est séparé du culte, surtout en Droit. Conséquence directe de la loi de 1905, ce fondement vient donc ici d'être bafoué par la tenue d'un argumentaire théologique qui prend place dans le cycle législatif. Il y a un viol, dans l'esprit et les faits, d'une loi qui créa une scission nette entre l'Église et l'État. Et s'il était question d'Église dans cette loi, il faut se souvenir qu'en 1905, peu s’enquièrent des autres religions : l'Église est historiquement et factuellement présente dans la vie politique de l'époque, ce qui n'est pas le cas des autres. L'idée était donc de sortir le spirituel au sens large de la conduite des affaires de l'État. Vouloir s'opposer à une loi en en violant une autre, voilà qui ne manque pas de sel.
Il faut cependant reconnaître que c'est le pan religieux revendiqué des attaques qui rend connexes aujourd'hui sécurité, terrorisme, religions et législation. Mais ici, il est bien question de lieux de cultes, pas d'Islam uniquement. Dans le cas contraire, ce serait une réelle stigmatisation qui serait retoquée par le Conseil Constitutionnel. Ce ne serait pas la première fois dans l'histoire de la République (l'ère Hollande l'a démontré) mais il semble que les enseignements ont été tirés. En outre, une loi est de portée générale car elle comble souvent un vide, et celle-ci ne dérogera pas à la règle. Ceci dans l'éventualité où des ultra-orthodoxes viendraient à porter atteinte à la sécurité des Français à l'avenir par exemple.
Il y a là une mise en opposition de traitement qui relève d'une malhonnêteté intellectuelle et d'une méconnaissance préjudiciable des religions pour une personne de ce rang.
Car quitte à faire de l'herméneutique, autant que cela soit fait correctement. Opposer la Bible – ici l'Ancien Testament – pour contrecarrer les attaques aux versets tendancieux du Coran (nomment au « Repentir ») est incohérent. Car paradoxalement, la religion du Livre – sobriquet de la religion chrétienne – n'en est pas une, à l'inverse de l'Islam. Le Coran aurait été écrit par Allah lui-même et de facto il n'est pas interprétable. Vouloir faire coïncider l'Islam à la morale actuelle est donc vain exercice, objectivement parlant. À l'inverse la Bible a été écrite par les hommes, ce qui ne fait l'objet d'aucune contestation au demeurant. Elle est ainsi soumise au Libre Arbitre, que le lecteur prête à l'auteur, fusse-t-il Saint. Plus encore, le Pape est par essence l'interprète du dogme, ce qui est éloquent quant au regard à porter sur le dogme, le rapport à le religion chrétienne en général, et le Pape en particulier pour notamment les catholiques. Opposer l'Ancien Testament qui s'interprète au Coran qui ne s'interprète pas est ainsi un non sens théologique.
Il y a enfin aussi cette sombre idée latente, qui consiste dès lors à instaurer la concurrence dans l'horreur pour subtiliser les bénéfices à l'Histoire, histoire qui n'a pourtant pas encore eu lieu pour l'Islam. L'argumentaire est simple : ce n'est pas la religion qui est en cause dans les actes odieux actuels les instances de l'Islam (dont les auteurs se revendiquent) en France récusent ces actes ; mais si ça l'était, l'Islam n'aurait pas à rougir puisque le catholicisme a sa part d'ombre qui lui est aujourd'hui pardonnée. Ainsi donc l'Islam mis en cause se retrouve sur un pied d'égalité avec la religion catholique. Sauf que c'est oublier que trois cents ans séparent les attentats de Charlie-Hebdo, du Bataclan, de Lahore, avec l'Inquisition et la Saint-Barthélémy. Et lorsque les Lumières ont éclairé le peuple au sens large, celui-ci a en Occident forcé la religion à s'adapter. Et sauf erreur de ma part, les Lumières sont parvenues dans tous les recoins de la planète.
Ainsi, ce retour du religieux dans l'hémicycle, en particulier en ces termes et dans ces circonstances, n'augure rien de bon et devrait d'ailleurs être banni purement et simplement. L'ergotage et le sophisme n'ont pas leur place dans la Chambre Basse, à l'inverse d'un comptoir de bistrot.
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