Tiens, M. Darcos a regardé les JO cet été !

"Félicitations pour l’obtention de votre baccalauréat et pour votre mention très bien. Voici votre relevé de notes, votre dossier et... votre médaille d’or." Et le bachelier en question de quitter son centre d’examen, l’or au cou, toisant au passage deux médaillés de bronze (pardon, deux bacheliers mention assez bien). Les résultats du bac 2009 viennent de tomber et des centaines de milliers de lycéens se dirigent vers leur lycée pour récupérer la médaille qu’ils ont méritée. Dans les rues de France, cette nouvelle génération de bacheliers exhibe le symbole de sa réussite.

Un scénario fictif ? Pas du tout, car le ministre de l’Education nationale a déclaré dimanche au Parisien qu’il envisageait que les bacheliers puissent recevoir une médaille. M. Darcos a ensuite précisé : "Elle serait de couleur différente, peut-être sur le mode des médailles sportives, or, argent, bronze... selon la mention obtenue." Donc un projet déjà pas mal réfléchi au ministère.

Il n’est pas inexact, et je l’écris pour l’avoir vécu il y a de cela quelques mois, que l’examen du baccalauréat, s’il ne présente pas de difficultés particulières puisque son taux de réussite est chaque année plus élevé (83,3 % en 2008), nécessite de longues heures de révisions, souvent génératrices de maux de tête, de stress, voire de moments de désespoirs, et empêche pour un temps les candidats de profiter des beaux jours et des multiples occasions qu’il aurait eu de faire la fête, après une année déjà exigeante (multiplication des devoirs, des examens blancs, pression...). Le jeune bachelier a donc besoin de se sentir reconnu, d’être récompensé après ses efforts...

C’est ce à quoi devait penser M. Darcos en regardant les jeux Olympiques de Pékin cet été, s’ennuyant sans doute de ces trop longues vacances sans dossier sur lequel plancher. Et là, durant la remise des médailles des athlètes, alors que les hymnes nationaux commençaient à retentir et que tout sourire l’on s’avançait pour offrir à ces sportifs leur récompense... le déclic !

Peut-être pour 2010 le ministre de l’Education proposera-t-il une cérémonie d’ouverture des épreuves du baccalauréat (truquée comme en Chine, ou pas), la veille de la tenue de l’épreuve de philosophie, avec feux d’artifices somptueux et tout le toutim. Ou encore classera-t-il les lycéens par délégations en fonction de leur académie d’origine, et l’académie dont la délégation aura obtenue le plus de mentions très bien sera déclarée vainqueur des Jeux... pardon, des épreuves de bac. J’imagine ainsi en juin prochain le peuple midi-pyrénéen, tout de rouge et noir vêtu, massé devant les lycées toulousains avec le drapeau régional orné d’une croix occitane, clamant "Qui ne chante pas n’est pas Toulousain" et chantant le Se canto. A l’intérieur de ces lycées, les candidats au bac, bourrés de produits dopants (pour activer la mémoire et diminuer le stress), tentant de se concentrer en pensant à leurs futures médailles. Leur travail filmé, retransmis en direct par TF1 et France Télévisions, tandis que MM. Jeanpierre, Larqué et Wenger commentent leurs faits et gestes. « Aaaahhh ! L’académie de Poitiers prend l’avantage en démarrant globalement la rédaction de son antithèse ! – Oui, tout à fait, mais néanmoins que dire de l’académie de Besançon dont on a vu que le brouillon avait été très bien établi. »

Peut-être ces projets sont-ils déjà en étude au ministère... En attendant, retour au sérieux après cette parenthèse. M. Darcos envisage donc de médailler les jeunes bacheliers dès 2009. Dès l’annonce faite de ce projet, les réactions ont été virulentes de la part des syndicats d’enseignants et lycéens. Entre autres, Daniel Robin, du Snes-FSU, a qualifié cette annonce de « bling-bling ». Ce fameux mot apparu à l’été 2007 lorsque les Français ont constaté le goût de leur nouveau président pour tout ce qui brille, montres, stylos… et entré dans notre vocabulaire (désormais, on qualifie Martine Aubry d’anti-bling-bling, les publicités « Offrez-vous des vacances bling-bling » sont apparues…). Bref, il semble que Xavier Darcos ait goût lui aussi à ce qui brille. Qui brille, oui, mais qui une fois de plus cache aussi tout ce qui ne brille pas : les problèmes auxquels est confrontée l’Education nationale.

En effet, toutes les études menées récemment reconnaissent le niveau médiocre des jeunes Français en sciences, en langues… Quoi que l’on dise, on voit très difficilement comment la réduction du nombre d’heures dans le primaire et la suppression de postes de professeurs dans le secondaire pourraient conduire à une hausse du niveau. Est-ce vraiment dans l’achat de médailles que l’argent ainsi « économisé » doit être réemployé ?

En outre, et c’est sans doute le plus terrible, cette course à la récompense et au classement va probablement développer un esprit de compétition terrible. Chaque lycéen voudra avoir une meilleure médaille que son voisin, et les rivalités vont s’installer, notamment après le bac blanc qui créditera les élèves de Terminale de telle ou telle médaille. Puis, les résultats du baccalauréat tomberont, occasionnant la frustration des déçus de ne pas avoir obtenu l’or ou l’argent.

Les jeunes bacheliers ne sont-ils pas suffisamment satisfaits d’avoir obtenu le diplôme qui va leur ouvrir les portes de l’enseignement supérieur, ont-ils encore besoin d’un gadget ?

Lorsque tout récemment j’ai obtenu à ma grande surprise mon baccalauréat économique et social avec mention très bien, je me suis senti suffisamment heureux comme cela sans ressentir le besoin de passer autour du cou une grosse médaille d’or pour la porter fièrement devant les camarades avec lesquels j’ai dialogué ensuite, qui quant à eux se réjouissaient d’avoir la mention assez bien, et devant aussi ceux qui retenaient leurs larmes, condamnés à refaire une Terminale…

Alors, le ministre de l’Education est-il en train de faire une grosse erreur ? Ou est-ce moi qui ai dénigré un excellent projet de réforme ? Qui de nous deux mérite la médaille ? Aux lecteurs d’Agoravox de le dire. Bah ! Après tout, comme le disait Pierre de Coubertin, l’important n’est-il pas de participer ?