Turquie et UE : Oui, Non, Peut-être, Quand ?
Les élections du dimanche 12/06/2011 en Turquie ont été « démocratiques, bien menées et empreintes de pluralisme ». C’est le constat d’une mission d’observation c
omposée de plus de 70 membres dont 61 parlementaires de L’OSCE ( Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) et du COE ( Conseil de l’Europe), tous parlementaires nationaux.
Mais la suite est moins réjouissante. On peut y lire en effet : « Il reste nécessaire de renforcer les libertés fondamentales ».
Alors ? Un pas de plus vers l’UE ( Union Européenne) ?
Pour le voyageur une société accueillante qui, dans sa partie la plus visible, donne tous les signes d’une société développée du moins au premier stade comme l’entendent les économistes.
Cette ambiance sereine a sans doute été favorisée par cette conjoncture économique qui se traduit par une croissance exceptionnelle .
La Turquie n’a été dépassée que par la Chine au sein du groupe des 20. Elle atteint le 17 ° rang et certains experts la voit entrer dans le « top ten » avant 2050. Son recours de 10 milliards de dollars au FMI au cours de ces dix dernières années, devrait être remboursé dès 2013 et elle emprunte à présent à des taux inférieurs à de nombreux pays de l’UE .
Avec l’aide de l’Etat, ce qui permet des prix exceptionnellement bas, le tourisme connaît un essor étonnant. Les visiteurs sont la plupart du temps enchantés même si, ici ou là, se manifestent quelques réticences. D’aucuns qui connaissent la Turquie depuis longtemps prétendent voir une « réislamisation » ou pour le moins, une « délaïcisation ». Question de point de vue. Une chose en tout cas est perceptible, c’est le regain de fierté nationale dû à ce « miracle turc », en grande partie attribué au charismatique Erdogan. Un exemple : lors de danses folkloriques par des groupes nationaux de haut niveau, les artistes sont appelés à déplier un gigantesque drapeau turc, puis de le replier en y déposant moultes baisers . Certains y voient un excès de nationalisme.
Passons, la danse est belle.
La position stratégique de corridor incontournable entre l’Europe du sud et les pays du Golfe, sorte de barycentre de flux importants, semble passer au second plan dans l’opinion publique, tout comme la manne des échanges avec des voisins comme l’Iran ou l’Irak.
Alors serait-on tenté d’accepter l’adhésion ? Oui , sans doute.
Un chef charismatique, efficace mais imprévisible.
Erdogan est homme de talent et de grande volonté. Musulman pratiquant mais dit modéré, il a connu la prison pour incitation à la haine dans un pays sécularisé. Dans un discours, il avait cité un poète nationaliste Ziya Gôkalp qui chantait : « Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, Les mosquées seront nos casernes et les croyants nos soldats ». Il a mal vécu cette expérience et a changé d’attitude si bien, qu’arrivé au pouvoir en 2003, il a entrepris des réformes audacieuses en dépit de l’armée, la garante de la laïcité. Ainsi il a élargi les droits des minorités, autorisé la diffusion de programmes audiovisuels en langue kurde, offert la possibilité d'apprendre en privé la langue kurde. Bien qu’il ait étendu la liberté d’expression et d’association, limité la répression des manifestations publiques, élargi les droits des instances religieuses non musulmanes et même accordé le droit de critiquer les forces armées. Cela ne l’a pas empêché de jeter en prison des journalistes pour tentative de coup d’Etat, d’en faire arrêter d’autres avant le scrutin, de placer des gardes armés à l’intérieur de bureaux de vote « à électeurs kurdes »… Le premier ministre est un personnage complexe autoritaire.
« Cette soupe est bonne, il faut la manger », c’est l’injonction faite sans vergogne à un très grand patron du CAC 40, invité à sa table et rétif à un goût trop typé du breuvage. Loin de mépriser le premier ministre après une journée de travail intense sur des projets ambitieux de Travaux Publics, ce capitaine d’industrie n’a pu se résoudre à obtempérer. Les projets sont encore à l’étude…
A côté de cela, on trouve un homme qui se veut ouvert. En témoigne le discours du premier ministre turc, à Strasbourg lors de la présidence turque du Conseil de l’Europe, en avril dernier, un bijou éclatant de bonnes intentions et de tolérance, malheureusement vite terni par une réponse à une remarque de Mme Marland-Mitello, députée de Nice qui osait rappeler que « la question des minorités religieuses était encore d’actualité… ». La réponse avait été cinglante ; en voici un extrait « Vous êtes française, mais je crois que vous ne connaissez pas du tout la Turquie. Dans mon pays, quand on voit quelqu’un qui ne connaît pas le contexte, on dit qu’il vient de France, pour exprimer qu’il est en décalage. Je vois bien, dans ce contexte, que vous êtes quelqu’un qui vient de France. ». L’hémicycle en reste figé.
Le personnage qu’on soupçonne de vouloir une réforme constitutionnelle qui instituerait un régime présidentiel, suscite bien des réticences peut-être particulièrement en France. Alors, non ?
La conversion de Antoine Sfeir, une réponse positive.
Lors d’un forum qui s’est tenu au Conseil de l’Europe la semaine dernière autour du politologue, écrivain, journaliste, cet éminent spécialiste des questions du Proche et Moyen-Orient, a expliqué devant un auditoire particulièrement relevé ( deux prix Nobel, le président de la Cour de Strasbourg…) qu’un entretien avec le patriarche orthodoxe de Constantinople l’aurait « retourné » et convaincu que la Turquie devait être admise dans l’Union Européenne. Jusque là hostile à cet intégration, Antoine Sfeir y est désormais favorable pour des raisons claires.
En premier lieu, la Turquie, pour respecter les critères juridiques, politiques, sociologiques et économiques que l’UE lui impose, devra faire des efforts très importants qui prendront du temps.
De plus une Turquie pluriculturelle offrirait un asile aux minorités persécutées dans la région. On pense aux communautés chrétiennes. Par ailleurs, le problème des Kurdes et celui de Chypre devront être résolus. Là aussi les réponses seront difficiles. C’est donc oui, mais sous conditions draconiennes.
Et puis, après tout, est-on bien sûr, qu’à ce prix, la Turquie sera toujours candidate, compte tenu de sa montée en puissance qui lui confère sans conteste un leadership dans une région dans laquelle elle apparaît comme un modèle. La Turquie comme la Russie pourra devenir un partenaire dont, à terme, l’Europe risque d’avoir besoin et non l’inverse et ce, sans préjudice pour l’Union Européenne.
Antoine Spohr.
27 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON