Typologie des courants politiques français en 2022
Pour s'y retrouver au milieu de la multiplicité des candidatures à la présidentielles, des notions structurantes ont été identifiées et associées afin de dresser une typologie novatrice des courants politiques français.
Présentation et analyse de la situation politique actuelle avec GH, l'initiateur du projet.
Vous proposez une typologie des courants politiques français contemporains. Quelle méthode avez-vous employée pour parvenir à ce résultat ?
Le référent classique « gauche-droite » n’apparaît plus approprié pour bien caractériser à la fois l’offre politique et le comportement des électeurs depuis 30 ans. On a vu des effets de bascule assez spectaculaires : par exemple les ouvriers, électorat traditionnel du PCF jusque dans les années 1980, se sont massivement tournés vers le FN puis le RN. Plus récemment, l’électorat de la gauche social-démocrate a vu en Macron une sorte d’héritier, quand bien même il a imprimé un virage très libéral à sa politique, en rupture avec la tradition plutôt étatiste de ses prédécesseurs socialistes.
On a donc cherché à identifier les thèmes les plus signifiants dans la construction de l’identité politique des Français. Et on a fini par trouver trois items structurants : le social, le libéral et le national et trois items secondaires : le populisme, le conservatisme et le progressisme. Au croisement de chacun d’eux existe un champ politique investi par des courants et des candidats.
Social et libéral font quand même penser à la dichotomie gauche-droite…
Tout à fait, mais un nouveau paradigme a su s’imposer depuis une dizaine d’années sans qu’on lui reconnaisse réellement une existence ou une importance : le national. Depuis le Non au Traité Constitutionnel Européen en 2005, tous les acteurs politiques font comme si la question de la souveraineté apparaissait comme secondaire, ou conditionnée à la construction européenne qui n’est jamais remise en cause. Or, le succès croissant de candidats et de courants souverainistes montre que l’attachement à la nation et au territoire est peut-être plus important qu’on ne le pense. Les scores électoraux de Marine Le Pen, en dépit de sa faible implantation locale, de son absence de résultats politiques concrets, y compris dans les municipalités contrôlées par le RN, et de ses déboires judiciaires et financiers, montre qu’il existe un enjeu « national » qui complète le clivage traditionnel gauche-droite, entre social et libéral. Aujourd’hui, la somme des intentions de vote pour Mme Le Pen et M. Zemmour donne plus de 30%, c’est inédit !
Mais ces candidats sont tout de même catalogués comme à droite, y compris sur le plan économique.
Oui et non. Historiquement, l’extrême-droite s’est construite sur le rejet du socialo-communisme et de la gauche en général. C’était un courant porté par une partie de la bourgeoisie et des travailleurs indépendants comme les artisans ou les commerçants. Depuis 2012, on note une inflexion sociale de plus en plus marquée. Marine Le Pen a énormément « socialisé » son discours initial, jusqu’à promettre de ramener la retraite à 60 ans. Eric Zemmour est sur une ligne plus libérale, mais n’est pas opposé à une intervention massive de l’Etat, notamment pour sauvegarder l’outil industriel ou énergétique français. Cette droite nationale est moins pro-business que ne peut l’être un Emmanuel Macron ou une Valérie Pécresse.
Justement, votre schéma semble décrire une proximité idéologique marquée entre ces deux personnalités.
En effet, tant Mme Pécresse que M. Macron découlent d’une même matrice libérale. Leur programme économique est clairement similaire et donne la libre part au marché, à l’ouverture internationale et à la construction européenne. Leur différence joue plutôt sur les questions sociétales (comme la fin de vie, l’adoption ou la procréation assistée) : la candidate des Républicains a une filiation plus conservatrice, quand le second est plus progressiste.
Un progressisme qu’on retrouve également à gauche.
La gauche se partage aujourd’hui entre deux versants. D’un côté, une gauche progressiste modérée, de tradition social-démocrate et écologiste, qui a historiquement porté les combats d’émancipation et des droits de l’individu, mais en délaissé ses objectifs de conquête sociale, ce qu’elle paye aujourd’hui en étant divisée en de multiples chapelles (Jadot, Hidalgo, Taubira…) et boudée par l’électorat populaire.
De l’autre côté, il y a une gauche plus radicale, que l’on hésite plus à qualifier de populiste (un point commun avec Marine Le Pen) et qui fait de ces sujets sociaux et progressistes non plus une fin mais un moyen pour gagner des secteurs de l’électorat de plus en plus morcelés.
Cette dernière gauche ne cherche plus à s’adresser aux Français comme à un ensemble national pris unitairement, mais à une pluralité de communautés en cherchant à leur apporter des avantages sectoriels particuliers. Une forme de clientélisme tend à se développer – ce trait est propre à tous les populismes – pour gagner en influence au détriment d’un intérêt général vu comme de plus en plus inatteignable. Jean-Luc Mélenchon monopolise ce secteur de l’opinion « social-populiste », en assumant une position pro-minorités, pro-banlieues voire pro-musulmans qui n’est pas sans poser question sur son évolution politique récente – on l’a jadis connu défenseur acharné de la laïcité républicaine française.
Quelle place alors pour un projet de gauche qui soit innovant socialement ?
C’est sans doute la conséquence du triomphe du libéralisme économique depuis les années 1980, en France et dans le monde. Faute d’avoir pu ou su se renouveler, le socialisme et le communisme ont sombré dans l’inertie, privilégiant la gestion de l’existant à l’innovation, et se sont retrouvés acculés par l’offensive intellectuelle néo-libérale. La gauche paye encore le prix de décennies de renoncements et de contradictions, d’incapacité à s’adapter à la nouvelle donne économique et idéologique. Toutefois, les excès du libéralisme et du libre-échangisme semblent donner corps à un discours nouveau, incarné aujourd’hui par un Fabien Roussel ou un Georges Kuzmanovic, qui renouvelle l’approche social-progressiste, à la fois audacieux et réaliste, sans verser dans un néo-libéralisme macro-compatible, ni dans les excès d’un populisme mélenchonesque, et redonne une place à la Nation. L’évolution de ce secteur de l’opinion sera sans doute le plus intéressant à suivre dans les années à venir, tant il est en mesure de capter des aspirations populaires auxquelles sont attachés une majorité de Français : attachement aux services publics et à la solidarité nationale, défiance face à la mondialisation incontrôlée et aux inégalités de richesse.
Un autre « secteur » dynamique semble être l’irruption inattendue d’Eric Zemmour et de son parti Reconquête.
On se trouve avec Zemmour aux antipodes du social-progressisme, que j’appelle national-conservatisme. Deux projets antagonistes émergent clairement. L’un fait la part belle aux travailleurs salariés, aux services publics et à une forme d’universalisme laïque et républicain. L’autre laboure d’abord au sein des CSP+, des entreprises, et appelle au retour d’une France mythifiée, rurale, catholique avec un « roi républicain » à sa tête.
Il n’est pas interdit de penser que nous aurons à terme 3 projets en débat au cours de la présidentielle : le projet macronien libéral-progressiste, dans la continuité de ce qui a été fait depuis 2017 ; le projet zemmourien, national-conservateur teinté d’autoritarisme, et, peut-être la surprise de cette année, le projet rousselien, social-progressiste, cherchant à réinventer le contrat social au service d’un intérêt général à redéfinir selon des processus démocratiques innovants.
Et Marine Le Pen ? Finaliste de l’élection 2017, elle semble plutôt bien placée pour être de nouveau au second tour, non ?
Marine Le Pen (comme Jean-Luc Mélenchon) incarnent des populismes en perte de vitesse. M. Mélenchon plafonne à 12% d’intention de votes et a perdu tout un électoral qui a cru en lui en 2017 mais ne se reconnaît plus dans son tournant populiste. L’absence du Parti communiste, qui était à ses côtés en 2017, n’est pas sans incidence, notamment dans sa quête de parrainages et la présence militante dans les territoires.
Concernant Marine Le Pen, sa démarche de dédiabolisation entamée il y a près de 10 ans a provoqué un effet collatéral non prévu : l’émergence d’un courant national-conservateur incarné par Zemmour qui attire tous les cadres et les militants attachés à la souveraineté. Ils n’ont pas apprécié les atermoiements et les changements de position de Mme Le Pen sur des sujets régaliens comme l’euro, ou l’appartenance à l’OTAN.
En ce sens, sa stratégie national-populiste se révèle un peu plus chaque jour comme un échec. Elle le sait, comme elle a compris que 2022 serait sa dernière chance d’accéder à la magistrature suprême, ce qui pour l’heure s’avère improbable.
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