UBUNTU
Drôle de chose que la politique. Et bien entendu, plus elle est éloignée de votre façon de penser, plus elle apparaît incongrue.
La république française de François Hollande est en pleine reconnaissance et cette reconnaissance fait hurler les rangs de Droite. Chacun est dans son jeu évidemment, mais l'amusement devrait avoir des limites. Limites qu'Hollande saura naturellement ne pas trop dépasser, j'y reviendrais. Mais il me semble que les représentants de la droite ne s'en donnent aucune (de limites), en fustigeant ce qu'ils appellent les quotidiennes repentances de la Gauche. D'ailleurs qui a parlé de repentances ?
Que ce soit pour l'esclavage ou pour l'épisode du 17 octobre 1961, quel mal y a-t-il à reconnaître notre histoire ? Pourquoi une société devrait-elle vivre sans jamais se retourner ? Est-ce une attitude viable et responsable de ne pas parler du passé ? Individuellement comme au niveau d'une société ?
Car les faits historiques dont il est question, personne ne les conteste.
- Maquette d’un navire négrier (musée d’Aquitaine)
Pour ce qui concerne l'esclavage, son fait-même n'a rien d'une affabulation, d'une exagération. L'un des points particuliers de ce débat, et qui est d'ailleurs indirect, évoque l'indemnité que la France a imposée à Haïti "pour lui accorder" son indépendance en 1824, et que le nouvel Etat a mis plus d'un siècle à payer. Quelle que soit la justification de cette indemnité (perte d'exploitation esclavagiste ?), il parait plus que probable "que cette rançon imposée par le fort au faible a hypothéqué le devenir haïtien"[1]. L'île la plus riche des Caraïbes au début du XIXème siècle, s'est enfoncée doucement dans la misère et le despotisme. Hasard du destin ou ébauche de causalité, certains ne semblent plus se poser la question ?
Quant à la répression du 17 octobre 1961, elle n'a rien de fantaisiste, c'est un fait.
Si je ne vois pas là les arguments intellectuels des outragés c'est qu'il est sans doute seulement question de politique, d'idéologie ou de principe. Ce qui empêche naturellement toute réflexion. La Gauche sur ce point-là me semble moins bornée. Et la Droite tient en l'occurrence une posture de coq gaulois bien ridicule.
A l'opposé du manque de limite de la Droite que je viens de rappeler, il y a celle que la Gauche ne manquera pas de se donner. Je ne sais si François Fillon pensais à la même chose que moi lorsqu'il a dit : "Soit on met tout sur la table, soit on ne le fait pas". Car sous le dernier long gouvernement de Gauche (que ce soit sous une cohabitation ou non), celui de Mitterrand, il s'en est passé des drames. Le plus important : Celui du Rwanda en 1994. Je ne reviendrais pas sur ce désastre. Et même si l'on cherchait à exempter la France du génocide commis par des rwandais sur d'autres rwandais en omettant le contexte, il me parait impossible de fermer les yeux sur les conséquences de l'opération Turquoise, qui participent aussi des catastrophes encore d'actualité dans l'Est de la République du Congo.
En 2010 Nicolas Sarkozy avait reconnu une certaine "responsabilité" de la France dans les évènements rwandais, mais aucune faute volontaire[2]. Il est vrai qu'à l'époque des faits, en 1994, il était déjà dans le gouvernement. Il lui était donc bien plus aisé de dénoncer le génocide arménien. Et bien plus rentable.
Donc non, finalement le sous-entendu de Fillon ne devait pas être celui-là. Fort probable qu'Hollande n'y pensera pas non plus.
Ces politiciens prêteraient à rire s'ils étaient inoffensifs. Malheureusement, bien que manipulés ils tiennent encore quelques rênes. Malheureusement ou heureusement peut-être.
A l'opposé.
Un mot bantou employé en Afrique du Sud serait le bienvenu dans le landernau politique français. C'est le mot "ubuntu". Il signifie plusieurs choses. D'abord le respect et le partage[3]. Mais aussi la reconnaissance du passé. Pas dans le sens négatif de repentance. Ce terme a été "médiatisé" en Afrique du Sud lors de Commission "Vérité et Réconciliation", commission qui a donné lieu à de nombreuses amnisties individuelles pour les auteurs ayant commis des violations des droits de l'homme durant le régime raciste. En échange, ces derniers s'engageaient à révéler l'intégralité de leurs actions. Cette procédure est inscrite dans à la Constitution Sud-Africaine de 1993, qui énonce le « besoin d'ubuntu et non de victimisation".
L'Afrique du Sud s'en porte-t-elle mieux ? Impossible de le savoir naturellement. Mais il est certain que la chute de l'Apartheid aurait pu se transformer en une grande tragédie. Cela ne s'est pas produit.
Les tribunaux "Gacaca" au Rwanda se sont aussi inspirés de cette conduite. Le silence aurait-il été plus utile aux rwandais ? Je n'en suis pas sûr.
SylvainD.
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