UMP : un boulevard pour Alain Juppé ?
L’avenir de l’UMP se joue-t-il à Bordeaux ? Telle est la question que l’on peut se poser à l’aube du printemps 2014 en observant la vie politique de notre pays. Alain Juppé sera-t-il le champion de la droite lors de l’élection présidentielle de 2017 ? L’avenir nous le dira, mais il est clair que le maire de Bordeaux aura une belle carte à jouer...
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Si l’on en croit Le Canard Enchaîné du mercredi 12 mars, Alain Juppé « pour l’instant (...) ne se mêle de rien. » On le comprend aisément : détourner la dernière semaine de campagne municipale des enjeux locaux par l’affichage d’une ambition nationale pourrait, sinon remettre en question l’évidente réélection du maire de Bordeaux, du moins le priver d’un succès spectaculaire dès le 1er tour du scrutin.
Or, Alain Juppé veut la victoire la plus large possible, de préférence dès le 23 mars, afin de conforter son image de leader, capable de rassembler sur son nom des gens venus d’horizons variés, séduits par ses qualités de gestionnaire et de fédérateur. Le maire de Bordeaux peut en outre s’appuyer sur la spectaculaire transformation de sa ville : d’une métropole régionale austère et peu appréciée naguère, il a fait une ville attractive, à la fois moderne et superbement mise en valeur dans son centre historique, au point que près de la moitié de Bordeaux a été classée en juin 2007 au Patrimoine mondial de l’Unesco. Les Français ne s’y trompent pas : parmi les 10 plus grandes villes de notre pays, Bordeaux est désormais devenue la dauphine de la capitale, la ville préférée de nos provinces, devant Toulouse et Montpellier (sondage BVA réalisé entre le 23 février et le 5 mars).
Pour Alain Juppé, l’avenir proche est à Bordeaux. Et plus si affinités électorales entre les Français et lui dans la perspective des prochaines échéances nationales ! Mais le matois maire de la métropole girondine se garde bien, à quelques jours d’un important scrutin, de faire état d’ambitions plus élevées. Et pourtant, qui peut croire que celui qui était désigné comme « le meilleur d’entre nous » par Jacques Chirac ne caresse pas l’espoir d’une éclatante revanche sur un destin politique contrarié après sa sortie de piste de 1997 ? Qui peut croire qu’Alain Juppé ne rêve pas de revenir au sommet ? D’être celui qui, le moment venu, défendra les couleurs d’une UMP actuellement meurtrie, pour ne pas dire en capilotade, faute d’avoir voulu tourner la page des années Sarkozy, faute d’avoir su éviter la pantalonnade du fratricide duel Copé-Fillon pour prendre la direction du parti.
Encore faudrait-il que le contexte politique puisse servir les ambitions d’Alain Juppé. Or, c’est bel et bien ce qui, lentement mais sûrement, est en train de se dessiner : entre les affaires qui plombent les uns, et l’absence de profil d’homme (ou de femme) d’état qui handicape les autres en vue de 2017, l’horizon semble se dégager pour le maire de Bordeaux. À cet égard, l’enquête Ifop réalisée les 7 et 8 mars pour alimenter le « baromètre » de l’hebdomadaire Paris-Match est particulièrement instructive. Elle nous montre en effet que les principaux ténors de l’UMP sont tous tirés vers le bas par le climat né des affaires en cours, qu’elles aient pour origine les juteux « prix d’ami » consentis à l’UMP de Jean-François Copé par l’Agence Bygmalion, les peu ragoûtantes écoutes de Patrick Buisson ou les soupçons de trafic d’influence visant l’ex-président de la République. Tous tirés vers le bas, sauf un : Alain Juppé qui, tandis que ses rivaux potentiels dévissent nettement, enregistre une progression de 2 points, à 62 % de bonnes opinions. Tous derrière, et lui devant !
Un homme d’État sage et modéré
Dure semaine en effet pour la concurrence au sein de l’UMP : avec une chute de 6 points (à 44 %), Nicolas Sarkozy paie le prix, non seulement de ses nombreuses casseroles judiciaires, mais sans doute également de la confiance accordée à Patrick Buisson, placé de manière irresponsable par l’ancien président au cœur du pouvoir dans un rôle d’éminence grise aux allures de gourou. Et cela malgré un parcours sulfureux et un goût immodéré pour des pratiques barbouzardes déjà observées lorsque Buisson était directeur du journal d’extrême-droite Minute. On reste pantois devant le manque de lucidité de Nicolas Sarkozy. Comment un homme en charge de la 5e puissance économique planétaire a-t-il pu se laisser à ce point manipuler ? Nul ne connaît la réponse, mais à l’évidence, la question occasionne des dégâts qui pourraient bien se révéler irréversibles.
Des dégâts d’autant moins réversibles que les affaires judiciaires continuent de menacer l’ancien président, la dernière en date, le grave soupçon de trafic d’influence en relation avec l’avocat Thierry Herzog, n’étant pas la moins grave, comme viennent de le confirmer les transcriptions d’écoute révélées ce mercredi 19 mars par le site Médiapart. Et que dire de l’épée de Damoclès que les enregistrements de Buisson feront peser jusqu’en 2017 sur la tête de Sarkozy ? À tout moment pourra éclater un scandale d’État qui ruinerait définitivement ses chances, mais aussi celles de l’UMP, pour peu que l’on soit proche de l’échéance présidentielle. Un type de menace que connaissent bien les proches de Sarkozy, eux qui avaient, semble-t-il, eu connaissance des turpitudes de Dominique Strauss-Kahn au Carlton de Lille et comptaient bien, avec la complicité d’amis du parquet, dégoupiller la grenade après la probable désignation de DSK comme champion du PS pour la présidentielle de 2012. L’UMP peut-elle courir le risque de faire à nouveau confiance à Sarkozy dans un tel contexte ? Il appartiendra aux militants d’en juger le moment venu. À eux de voir alors s’ils sont des adeptes de la roulette russe !
Nicolas Sarkozy probablement hors-jeu, pas de chance pour les duettistes Jean-François Copé et François Fillon : eux aussi dévissent de 6 points dans l’enquête Ifop pour Paris-Match, le second limitant toutefois la chute avec un taux de bonnes opinions de 48 % tandis que le premier, avec 31 %, voit se profiler un désaveu cinglant qui devrait lui valoir des lendemains qui déchantent. Restent les quadras en embuscade, les François Baroin, Xavier Bertrand, Nathalie Kosciusko-Morizet, Bruno Le Maire ou Laurent Wauquiez. Ceux-là n’ont pas dit leur dernier mot, et la tenue d’une « primaire » à droite en 2016 – un processus acté par les militants et les cadres du parti – pourrait être favorable à l’un d’eux.
Encore faudrait-il que l’un (ou l’une) de ces ambitieux personnages puisse sortir vainqueur de la confrontation à Alain Juppé. Pas simple. Tout ou presque plaide en effet pour le maire de Bordeaux. Oubliée la faute stratégique du 15 novembre 1995 qui, en amalgamant les dossiers explosifs des retraites et de la Sécu avec l’annonce concomitante d’un calamiteux contrat de plan SNCF a jeté, des semaines durant, des millions de personnes dans les rues. Oubliée la non moins calamiteuse dissolution de l’Assemblée Nationale en avril 1997 qui, toujours sur l’initiative d’Alain Juppé, a permis à la gauche de reprendre le pouvoir en contraignant Jacques Chirac à une cohabitation avec Lionel Jospin. Tout cela est de l’histoire ancienne, et Juppé s’est progressivement débarrassé de l’image d’un personnage psychorigide « droit dans ses bottes » pour se glisser peu à peu dans la peau d’un homme d’État considéré, chez les électeurs et les sympathisants de droite, comme sage et modéré, mais néanmoins capable de détermination et d’opiniâtreté. Seul handicap, son âge : né en 1945, Alain Juppé sera âgé de 72 ans en 2017.
Gageons qu’après la tentation inaboutie de Venise, la tentation de l’Élysée pourrait se révéler un puissant moteur de l’ambition retrouvée d’Alain Juppé, surtout s’il se confirme que Nicolas Sarkozy, englué dans des affaires aux relents mafieux, est définitivement mis hors course.
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