« Un bon coup de règle sur la main invisible »
Plaidoyer pour un nouveau capitalisme
Lorsque le retour sur fonds propre excède sans mesure le rendement de l’économie réelle, alors il faut être grave. En marge de toute rationalité, s’est développé un marché parallèle, un monde virtuel dans la virtualité, où une jungle laissée seule a servi les beaux jours de procédés financiers complexes divisant moins les risques qu’ils ne les cachaient. En bref, un Casino où même la banque a perdu. Ceux que l’on dit coupables, les processus de titrisation, produits dérivés, CDS, CDO, CDD et autres acronymes ou escronymes, ont ainsi fleuri à l’abri de toutes les normes prudentielles, dans l’hologramme des comptes hors bilan des institutions financières. C’est ici le sens de la réalité que l’on a égaré, une réalité où le vrai et le faux se disputent à pile ou face. Debord ne le disait-il pas : « Dans un monde réellement inversé, le vrai est un moment du faux ».
Préoccupation majeure, les banques se prêtent encore peu aujourd’hui. En réalité, elles ne se prêtent plus confiance. « Le choc de confiance » est bel et bien là. La vrai menace de destruction massive s’est abritée chez nous et nous l’avons couvée. Faut-il pour autant répudier le marché ? Si le marché de libre échange doit être aussi fluide qu’on le peut, le système ne doit pas permettre que l’on puisse acheter, vendre ou spéculer sur des valeurs que l’on ne détient pas. Là, il ne s’agit plus d’échange mais de trafic. La pensée extrême et dominante a voulu imposer un marché libre de toute règle, un extrêmisme qui a voulu nous faire marcher aux « pas de lois ». Le temps est venu de le conjurer.
Faut-il donc changer de paradigme économique ? Ici comme en santé, l’échec d’une thérapeutique en impose-t-il pour l’échec de la médecine ? Affirmons avec Claude Bernard que « rien n’est poison, tout est poison, seule la dose fait le poison ». Ainsi, il ne s’agit pas de revenir sur la philosophie du capitalisme, mais de l’adapter, de l’encadrer, de lui donner des règles pour lui trouver un sens. Si le Marché est assurément l’enfant du siècle, il n’est précisément pas encore prêt, il n’est pas encore mûr. L’aversion aux règles, le goût effréné pour le risque et le gain signent bien le caractère adolescent de l’hystérie qui a animé les spéculateurs. Dans ce monde de bulles, spéculatives, la B.D. semble bien être l’acronyme que nous oubliions plus haut pour désigner le milieu dans lequel ils se meuvent. Le marché doit être accompagné, disions-nous. Ainsi, des mesures transitoires d’intervention de l’Etat sur le marché inter-bancaire ou directement au chevet des banques n’ont rien de choquant. L’étatisation doit se vouloir transitoire aussi bien que les pompiers peuvent sauver un immeuble du feu sans en exiger par la suite la propriété...Ce devrait être là des mesures nécessaires pour remettre le navire à flot. En procédant à une révision nécessaire de la place de l’Etat, on voit que se situe ici un risque considérable. En effet, l’on entend déjà l’extrême gauche ragaillardie, spéculant sur des idées marxistes aussi bien virtuelles et sur des actions cette fois-ci révolutionnaires, brandissant la crise et la dépouille du capitalisme en signe de victoire. Il y a là pour les responsables politiques un devoir de pédagogie pour éviter que l’inquiétude de tous ne se muât pas en le procés d’un seul, le marché, et pour qu’un modèle économique qui a su et qui saura extraire une partie de l’humanité de la misère ne devînt pas la victime expiatoire d’une extrême-gauche en mal de révoution.
L’Etat peut ainsi jouer le rôle de cellule de dégrisement d’un monde financier désemparé. Vient alors le temps du bilan, du diagnostic et des adaptations. Comment alors mettre à profit cette crise pour y trouver une source féconde de propositions et de changements ?
1)Tout d’abord, il convient de mettre l’accent sur l’importance du caractère préventif des moyens d’actions dont nous devrons nous doter. Dans cette crise, le plus absurde est qu’on la prévoyait et l’on avait pris la mesure des risques que les procédés de titrisation incontrôlée faisait peser sur notre économie. Pourtant, aucune alerte n’a été donnée, aucune réglementation n’est venue obvier à la difficulté.
Des cellules de veille économique, sur le modèle des établissements de veille sanitaire devrons assurer un rôle de supervision et d’alerte sur les pratiques potentiellement dangereuses de certains financiers. Ces cellules doivent être capables d’identifier toute difficulté et apporter une réponse coordonnée dans les délais les plus brefs. L’accès à l’information relative aux opérations d’investissements en dehors des marchés organisés est aujourd’hui vitale.
2)Par ailleurs, il nous faut réfléchir aux règles à établir. Si l’augmentation du capital réglementaire des produits structurés complexes, et l’encadrement plus sévères des lignes de liquidités pour les véhicules hors bilan tombent sous le sens, la difficulté consiste à établir de bonnes règles en évitant tout phénomène pro-cyclicité. On voit bien comment les exigences prudentielles en matière de ratios fonds propres-endettement ou les normes comptables de « fair value » agissent aujourd’hui en précipitant les défaillances de certaines banques.
3)L’Europe est sans doute l’échelle la plus pertinente de résolution des difficultés. Il faut alors renforcer le processus de Lamfalussy, afin de développer une supervision et une régulation de dimension européenne. L’Europe doit afficher des objectifs politiques clairs et doit veiller à établir une coordination des politiques menées. L’Europe serait alors un partenaire essentiel du dialogue qui doit se nouer avec les Etats-Unis et l’ensemble des puissances émergentes afin d’établir des normes internationales appliquées par tous, faisant ainsi deviner un embryon de gouvernance économique mondiale.
4)Enfin, cette crise doit être le moment opportun, le kaïros pour modifier en profondeur nos orientations économiques afin de développer une véritable politique de l’offre et de rétablir la compétitivité de notre pays. Il s’agit donc de changer d’échelle, de dévier le cours d’une économie traditionnelle, peu dynamique, supportant difficilement la concurrence prédatrice des pays émergents, pour la faire basculer vers une économie du savoir, à haute valeur ajoutée technologique. Deux prescriptions urgentes : l’économie durable au service de l’environnement et l’économie du numérique et ses nouvelles technologies. Parmi les 15 premiers leaders mondiaux du secteur numérique, ne se trouve pas une entreprise française. Bien entendu, il faut assurer le finacement de ces entreprises. Pourqoi alors ne pas créer un grand fond de capital développement auquel l’Etat apporterait sa contre-garantie, qui aurait pour mission de developper des fonds de capital investissement. Ceci contribuerait à l’établissement d’ un Mittlestand à la française, ce fameux tissu de PME de 100 à 500 salariés, qui s’emparerait des nouveaux domaines clés de l’économie et serait ainsi notre principal vecteur de développement stratégique et un pourvoyeur d’emplois.
Il convient ici de rappeler que le bilan de cette année de mandature est bien maigre et que le chômage en France était, bien avant la crise, scandaleusement élevé malgré la montée en charge des départs en retraite. A titre d’exemple, le chômage des jeunes est en France deux fois plus élevé que celui de la moyenne de la Zone Euro. Notre conversion économique vers un modèle résolument tourné vers l’innovation est sans aucun doute la source d’un gisement d’emplois et de croissance quasi-inépuisable. C’est donc toute une économie du savoir, une économie de l’intelligence qu’il nous faut bâtir - ce qui nous permettra ainsi d’aller chercher ce fameux point de croissance avec la tête plus qu’avec les dents.
Nous pensons que l’avenir est encore à notre portée. La main de l’homme peut encore parfaire l’édifice fragile de notre économie pour peu que nous acceptions de ne pas être idéologue. Une lecture rapide mais diachronique de l’évolution des peuples montre la force des croyances et des superstitions qui ont couvert la voix de la raison pendant des siècles. Par exemple, en glorifaint une main, qui plus-est invisible...Permettons-nous cette tautologie : La main invisible n’existe pas et voyons dans notre économie en crise, et dans les nécessaires réglementations qui viendront l’encadrer l’acte définitif d’émancipation de la raison qui saura fonder notre économie sur une base plus rationnelle et plus solidaire.
Mehdi Benchoufi.
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