Un premier tour et puis s’en vont...
« Je viens de faire de faire une grande découverte politique mon père...
Savez-vous ce qui se passe en ce moment en Italie ? Absolument rien ! »
Le Prince Salinas commentant la prise de Palerme et le renversement de la monarchie des Bourbons en Sicile par les troupes de Garibaldi. (27 mai 1860) in Le Guépard ; Luchino Visconti (1963)
Depuis 48h les media ne bruissent que des commentaires faussement effrayés ou sournoisement ravis concernant les résultats du premier tour de l'élection présidentielle.
Deux surprises, en particulier, occupent tous nos éditocrates, politologues, éditorialistes et professionnels du commentaire : la soi-disant très considérable percée de Marine Le Pen (17,9% chiffre officiel ministère de l'intérieur) que les derniers sondages n'avaient prévue qu'aux alentours de 16%, et la déception corrélative des partisans de Jean-Luc Mélenchon, hier encore gratifié de 15% voire 16% ― Certains partisans exaltés avançaient même 19%... Ou, pourquoi pas, qualifié face à François Hollande pour le deuxième tour...― et qui n'obtint qu'un maigre 11,1%.
Les langues vont bon train, les analyses s'entrechoquent, toutes aussi passionnées que savantes, qui de nous prédire un proche avenir repeint en brun ; qui de se gausser de la grenouille rouge qui s'est vue plus grosse que le bœuf...
Mais qu'en est-il vraiment ?
Assistons-nous réellement à l'irrésistible ascension de la nouvelle Arturo UI ? Le Front de Gauche, en dépit de sa déception d'un moment, est-il en train, à l'autre bord de l'échiquier politique, de recréer, malgré tout, la grande force de subversion dont feint de s'épouvanter Mme Parisot ?
Au risque de décevoir tout le monde, une étude un peu minutieuse des résultats électoraux depuis 1995, montrent plutôt, qu'à rebours de toute cette glose passionnée, en France...Rien de nouveau...
« Ce n'est qu'un début, le combat continue ! »
(Marine Le Pen 22 avril ; Antenne 221h 30)
Ces résultats sont au centre de toutes les convoitises et de toutes les inquiétudes, Marine Le Pen, secrétaire générale d'un Front National New-Look, dont une large partie des analyses et du programme économique paraissent étrangement empruntés aux séminaires d'ATTAC ou aux éditoriaux de serge Halimi dans le Monde diplomatique, obtient 6 421 802 voix soit 17,9% des suffrages exprimés.
Résultat très considérable, ses partisans ne manquant pas de souligner qu'elle obtient ainsi un million de voix de plus que son père en 2002, jour de son fugace triomphe, et que donc, désormais, l'avenir leur appartient.
Voire...
Car, certes, Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret, que l'on oublie très injustement, avaient bien réalisé un score global de 5 471 739 voix au premier tour de 2002 (5 525 032 au 2ème tour pour Jean-Marie Le Pen seul) mais ce résultat est à mettre en regard du nombre de suffrages exprimés à l'époque, soit 28 498 471, contre 35 885 801 cette année, c'est à dire sept millions de votants supplémentaires, et réalisa donc un pourcentage de... 17,79%.
Dix ans plus tard sa fille obtient... 17,90%... C'est à dire 0,11% de plus !
Pour ce qui concerne les chiffres bruts, le Front National retrouve donc, tout simplement, son étiage de 2002, récupérant ses électeurs, un temps captés par le joueur de flute Sarkozy.
D'autant que si, remontant plus loin dans le temps, nous additionnons, en 1995, les scores de Jean-Marie Le Pen et de Philippe de Villiers, dont presque tous les lieutenants, et en tous cas le brillant second Paul-Marie Coûteaux, ont rejoint le staff présidentiel bleu Marine, nous obtenons un score impressionnant de 6 014 373 voix. Soit 19,74% des suffrages exprimés !
Ah oui... Quand-même !
Si nous rapportons ce pourcentage au nombre d'exprimés en 2012, pour égaler celui-ci, Marine Le Pen aurait du obtenir 7 083 857 voix.
Soit 500 000 de plus que son résultat soit-disant extraordinaire...
1995... C'était il y a 17 ans... Ainsi donc, en 17 ans, la Droite Nationale, pour la nommer comme elle le désire, puisqu'il est effectivement ridicule de feindre de croire que le Front National soit un avatar actuel du NSDAP, aurait, depuis, perdu 500 000 voix ?
Sophisme, m'objectera-t-on, de Villiers et Le Pen sont deux personnalités très distinctes et c'est additionner choux et carottes que de compter leurs électeurs comme in-différentiables.
Sophisme ? Pas que tant que ça !
Outre que, comme je l'ai fait remarquer plus haut, l'essentiel des cadres de feu le Mouvement pour la France, ont rejoint Marine Le Pen, que tous ces braves gens qui votaient pour lui ne sont quand-même pas tous morts depuis, et qu'il serait curieux que les anciens électeurs du vicomte, nationaliste passionné, contempteur quasi hystérique de tout ce qui ressemble à de la gauche, admirateur de Jean Chouan, Cadoudal, et du très sacré-cœur de Jésus, votassent désormais pour Philippe Poutou, on est fondé à penser, que les deux tiers, au moins, de ceux-ci, se sont aujourd'hui rassemblés dans la nouvelle Force Bleu Marine. Le tiers restant, devenu sarkozyste par défaut.
D'autant que Mr de Villiers avait obtenu un peu plus de 800 000 voix en 2007, au plus haut de la vague sarkozyste attrape-tout.. On voit que notre calcul n'a rien d'arbitraire.
Et dans ces conditions, Marine Le Pen n'obtiendrait, avec ses six millions cinq cent mille voix, ni plus ni moins que le score de la Droite Nationale il y a dix-sept ans...
Tout ça pour ça ? En 1995, le Front National est encore un parti ouvertement libéral, qui veut supprimer l'impôt sur le revenu, privatiser EDF et la Poste, et dont le candidat se comparait, dix ans plus tôt à un Ronald Reagan français.
Était-ce bien la peine de tenter de kidnapper Serge Halimi, de lancer une OPA sur Jaurès et Georges Marchais, et d'en venir même à invoquer les mânes de Karl Marx !!! ― Si ! Si ! Dans son bouquin...
Soral, qui était au Front à l'époque, nous avait déjà fait le coup en 2007 sur une radio dirigée par Paul-Eric Blanrue : « Aujourd'hui Karl Marx voterait Le Pen ! » Et va-z'y donc c'est pas ton père !!― pour en arriver à faire jeu égal avec Papa d'il y a dix ans ?
Époque récente, d'ailleurs, où Papa Jean-Marie préconisait la retraite à 70 ans et la semaine de travail de 42h.
Un programme des plus « jauressien » comme il se voit.
Par parenthèse, sachant de surcroit que la grande majorité des électeurs de Marine Le Pen vont se reporter sans états d'âme, en dépit qu'elle en est, sur Sarkozy, on mesure mieux la densité d'imposture du discours de gauche extrême depuis peu tenu par le Front National relooké.
En effet, comme on le voit, que le leader en appelle à un reaganisme à la française, ou qu'il fasse ses emplettes au super marché de l'alter-Mondialisme, qu'il vente ou qu'il pleuve, son électorat lui reste toujours fidèle, la seule chose qui l'intéresse vraiment étant la détestation des hordes maghrébines qui nous submergent ― Halte à l'invasion !― et la stigmatisation des assistés ― Salauds de pauvres ! Le reste, ma foi...
Toujours fidèle, sauf en 2007, quand, indifférents au fait que Sarkozy allait faire passer le traité de Lisbonne, ces grands patriotes, qui avaient pourtant voté NON, se sont néanmoins précipités en masse pour le faire élire. Considérant que l'essentiel était bien à la chasse à l'immigré maintenant !
Marine où est ta victoire ? Ton tsunami n'est qu'une vaguelette.
Comme on le voit, pas de quoi s'imaginer qu'elle possède désormais l'Arche d'Alliance, et qu'il lui suffira de tourner sept fois au son des trompettes pour que les murailles de la Jéricho libéralo-mondialiste s'effondrent devant elle.
Mais par contre, les portes des arrières cuisines de l'UMP, elles, sont déjà grandes ouvertes.
Si l'on veut se faire une idée de ce qu'est la bassesse, lire, aujourd'hui, l'interview du grand chiraquien, chantre de la Corrèze, des valeurs républicaines, de l'Ovalie et du Terroir, Denis Tillinac, qui propose carrément la botte à Marine, avec un grossièreté parfaitement décomplexée...
"La rivière est sortie de son lit, et elle n'y retournera pas de sitôt"
(Jean-Luc Mélenchon ; Meeting de Lille ; 27 mars 2012)
Examinons, maintenant, en chaussant les mêmes lunettes, ce qu'il en est de ce « phénomène Mélenchon » qui tant a bouleversé la très émotive madame Parisot, et l'hebdomadaire britannique The Economist, au point de l'amener à titrer France:The Terror !
Son score, le 22 avril, fut de 3 985 089 voix, quatre millions en gros donc, représentant un pourcentage de 11,10% des suffrages exprimés.
Ce résultat n'est pas mauvais en soi, et les partisans du Front de Gauche, dont je suis, auraient été fort satisfaits s'ils l'avaient connu en septembre de l'année dernière.
C'est que Mélenchon part de très loin, dirigeant d'un micro-parti de quelques milliers d'adhérents, rassemblant derrière lui quelques groupuscules presque tous dissidents d'une manière ou d'une autre du PCF ou de feu la LCR, l'essentiel de ses troupes militantes lui sont fournies par le Parti Communiste, dont il devient le candidat par défaut.
Et il se souvient que la candidate de celui-ci, Mme Buffet, avait superbement obtenu 707 268 voix au scrutin de 2007, soit un score accablant de 1,93%.
Non seulement accablant, mais humiliant au plus haut point pour un parti qui, au faîte de sa gloire passée avait flirté avec les 30% de suffrages, et avait tenu en respect pendant trente ans tous ses adversaires en comptabilisant régulièrement un français sur cinq parmi ses électeurs.
Grandeur et décadence...
Il n'est donc pas contestable que Jean-Luc Mélenchon, en fédérant derrière son nom la quasi totalité des forces disparates de la Gauche de gauche, ait réussi, à la force de son verbe et de son talent, un très réel exploit, en multipliant par plus de cinq le score obtenu cinq ans plus tôt par son principal soutien.
Indéniable.
Indéniable mais trompeur...
En effet, lorsqu'on considère les résultats électoraux depuis 1995, l'exploit se révèle très relatif. En effet, cette année-là, les scores totalisés de Robert Hue (PC) 2 632 936 voix (8,64%) et d'Arlette Laguillier (LO) 1 615 653 voix (5,30%) représentaient 4 248 589 voix soit 13,94% des suffrages exprimés.
Or, il y a trois jours, l'addition des voix du FDG, de Philippe Poutou et de Nathalie Artaud donne, certes, 4 598 832 voix, mais un pourcentage des exprimés égal à 12,81%.
En d'autres termes, pour simplement égaler le score de la Gauche de gauche d'il y a 17ans, Mélenchon et alli eussent du convaincre cinq millions d'électeurs, soit 500 000 de plus que le résultat réellement obtenu.
La comparaison est encore plus sévère avec les résultats de 2002.
Il y a dix ans,, les quatre candidats de gauche hors PS, à savoir : Jean-Pierre Chevènement (1 518 528 voix, 5,33%) Arlette Laguillier (1 630 045 voix 5,72%) Olivier Besancenot (1 210 562 voix, 4,25%) et Robert Hue (960 480 voix, 3,37%) obtenaient un résultat cumulé égal à 4 368 739 voix, c'est à dire 18,67% des suffrages exprimés.
A cette aune, le FDG et les deux candidats « communistes »... Auraient du obtenir les suffrages de…
6 699 879 électeurs, pour faire simplement jeu égal avec les résultats de la Gauche de gauche d'il y a dix ans.
Il manque donc deux millions et demi de voix...
Certes, et l'objection est très recevable, les électeurs plutôt souverainistes de Jean-Pierre Chevènement ne doivent pas tous être classés dans la Gauche de gauche. Ce, d'autant plus que son principal idéologue de l'époque, Henri Guaino, a depuis, migré, avec ses armes et son bagage, au service de Nicolas Sarkozy... Et que son fameux Discours de Dakar, ne fait guère l'unanimité (litote) chez les partisans de Mélenchon ou de Nathalie Artaud.
Reste que Mélenchon, alors que le Che se retirait de la compétition, lui fit un appel du pied très appuyé, et que le Front De Gauche aurait été ravi de l'accueillir en son sein. Donc, même en en retranchant la moitié, il manque quand-même près d'un million de voix à l'appel.
En réalité, la seule progression réelle n'est obtenue qu'en regard des résultats calamiteux de 2007 (3 300 254 voix 8,66%) obtenus par les quatre cavaliers de la petite apocalypse que fut cette élection consternante, totalement dominée par l'implacable machine de la démagogie sarkoyste.
Ainsi, nous voyons bien, qu'en dépit de l'apparence trompeuse de l'affluence populaire aux grands meetings en plein air, qui ont pu faire croire à une sorte de levée en masse d'un peuple de gauche ressuscité des morts, aucune rivière n'est sortie d'aucun lit.
En réalité, ces grands spectacles de rue qui ont égayé la campagne, montrent simplement la capacité résiduelle du PCF à rassembler toujours des foules conséquentes.
Le vieux lion édenté n'est pas encore cacochyme, et il est toujours capable, faute de mordre, de pousser, du moins, un rugissement qui impressionne.
Par parenthèse, on ne peut qu'être admiratif devant la tartuferie des représentants du patronat et de la droite, qui, alors qu'ils ont mené, impavides, pendant quarante ans, une guerre implacable à ce grand fauve, réellement dangereux à l'époque pour leurs intérêts, font mine, aujourd'hui que fourbu d'arthrose et infesté de puces, il se survit péniblement, de s'épouvanter parce-qu'un feulement éraillé est venu troubler l'atmosphère feutrée d'un conseil d'administration...
Pour filer la métaphore hydraulique, Jean-Luc Mélenchon, plutôt que, tel Moïse, d'avoir gonflé les eaux, a tout simplement asséché les deux ruisseaux trotskystes qui se sont cette fois déversés dans le lit principal de la rivière Front de Gauche.
Ce que constatant, les deux fontainiers concernés, dans un sursaut de dépit, ne purent se retenir de consacrer leur dernière semaine de campagne à concentrer leurs tirs sur leur voisin de droite...
Effet délétère du fameux narcissisme des petites différences, cher à Freud...
Pour la Gauche de gauche, la situation électorale n'est guère réjouissante...
Dans les faits, en dépit des gesticulations et des Tartarinades, sa lente et implacable érosion continue.
Si, de surcroît, nous remarquons qu'au fil du temps qui passe, ses propositions sont de moins en moins radicales ― Qu'est ce donc que ce Pôle Public de la Finance appuyé sur la Caisse de Dépôts et la Banque Postale et dont le système mondial de la Finance ne fera qu'une bouchée, quand on se souvient, qu'il n'y a pas 20 ans, c'était tout le système des banques de dépôt qui était nationalisé ? Qu'est-ce donc que ce Pôle Public de l'Energie ? Alors qu'il n'y a pas vingt ans que Total, ELF et GDF ont été bazardés au privé pour une bouchée de pain ; que l'on voit assez mal ce que le peuple y a gagné, puisque les 20 milliards d'euros des privatisations Baladur ne représentent que deux ans des bénéfices du seul groupe Total, et que cet argent n'a même pas servi à abaisser la charge de la dette ! Ce, alors que personne à gauche n'envisage, même en rêve, de revenir en arrière...― il ne semble pas que ces dirigeants aient motifs à tirer des feux d'artifices.
Ainsi donc, en dépit des discours apocalyptiques, des surprises annoncées, des tables que l'on va renverser, des vagues bleues et des rivières qui débordent, la France vient de connaitre un premier tour électoral des plus ordinaires.
En 1995, Jacques Chirac et Edouard Balladur, les siamois ennemis recueillaient à eux deux douze millions de suffrages, en 2007 Nicolas Sarkozy en a obtenu onze et demi...
Et Dimanche soir un peu plus de dix millions.
En 2007 Ségolène Royal obtenait 9 500 000 voix... Cinq ans plus tard le père de ses enfants reçoit les suffrages de 700 000 électeurs supplémentaires...
C'est Tout ?
C'est tout !
Quant à Bayrou, l'insubmersible, tel un bouchon au centre du bassin, il monte et descend au gré des vagues électorales quinquennales...
Deux millions en 2002... Sept en 2007, date à partir de laquelle, comme il se doit :
« Plus rien ne sera plus jamais comme avant ! » Un peu plus de trois millions cette année...
Il monte... Il descend... Mais toujours au milieu.... Toujours sentencieux et « mettant en garde » !
Les élections aux élections ressemblent...
Avec ses onze millions de pauvres, ces cinq millions de chômeurs, ses industries en voie de disparition, son déficit abyssal du commerce extérieur, sa dette, la France, gangrenée de scandales d'État dont le dixième d'un seul d'entre eux lançait nos pères à l'assaut des pouvoirs la fourche à la main ; cette France qui voit, d'un regard bovin, les panzerdivisionen de la Haute finance se masser à ses frontières, les classes populaires espagnoles acculées à la misère, les précaires allemands trimer pour un euro par jour, cette France qui est de tous les pays européens le pays avec le moins de jours de grève, cette France totalement avachie donc, a voté Dimanche soir....
Comme d'habitude !
Á l'instar du Prince Salinas, l'observateur désabusé peut , en le parodiant, déclarer :
« Savez-vous ce qui se passe en ce moment en France ? Absolument rien ! »
Et c'est ça qui est vraiment inquiétant !
1 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON