Une chanson de Noir Desir, des propos de Chevènement, la période actuelle et d’autres plus anciennes : étonnantes consonances
Avec ses 70 ans et ses cheveux blancs coiffés par une raie sur le côté, sa courtoisie et l'élégance à l'ancienne de sa parole, sa gestuelle guindée et ses moues bourgeoises, ses références presque obsessionnelles aux instituteurs de la IIIème République et son attachement à la « France » et à la « Nation », Jean-Pierre Chevènement n'est pas par son style, ce qu'on fait de plus « rock-n'roll » comme homme politique. Il y a bien des gens qui l'appellent parfois « le Che », mais c'est au moins autant par gentille dérision, que parce qu'en un sens, ses idées sont parmi les plus radicales qu'on puisse trouver dans l'espace politique français. Il y a quand même, bizarrement, une vieille chanson du groupe phare de rock français des années 1990, Noir Désir, qui rentre en consonance avec de récents propos de Chevènement, par lesquels il présentait une idée importante de son dernier livre.
La chanson de Noir Désir parlait plutôt de la décennie qui suit 1992, dernière ligne droite du passage à l'euro. Les propos de Chevènement concernaient plutôt la période du « tournant de la rigueur » de 1983, premier pas de la France dans ce passage à l'euro. Et cette chanson et ces propos sont encore en consonance avec la période actuelle, où l'essentiel des dirigeants politiques et du système médiatique se préoccupe surtout de « sauver » l'euro. Tout cela sur fond de chômage de masse et autres formes de pauvreté qui persistent et se creusent depuis la fin des années 1970 en France, alors aussi que le FN monte au fil des sondages et des élections.
Dans ses récents propos, Chevènement proposait une explication de ce choix fait par Mitterrand, du « tournant de la rigueur », auquel il avait pu assister de très près, puisqu'il était alors placé au cœur du pouvoir. Pour Chevènement, ce choix de Mitterrand est celui de la construction européenne telle qu'il la fera avancer, au détriment en France de l'industrie, et de la lutte contre le chômage et contre les inégalités. C'est le choix de s'engager, comme le lui conseille Jacques Delors, dans un long chemin de dérèglementations et de privatisations, de politique monétaire restrictive et de taux de change élevés pour la monnaie locale, de restrictions des revenus du travail et des recettes de l'État, de liberté de circulation des capitaux et de libre-échange, long chemin jalonné de traités européens où seront gravées ces politiques, et conduisant finalement à la création de l'euro puis à la période actuelle. Chevènement décrit ce choix comme un « pari pascalien », par lequel Mitterrand veut tendre vers cet « au-delà » des Nations qu'est pour lui l'idée « Européenne ». A ce pari, Mitterrand joue le plein emploi et l'équité de la répartition des richesses en France. Mais s'il perd, comme pour le pari de Pascal, il ne perd « rien » à ses propres yeux, c'est à dire qu'il ne perd que la réalisation des conditions du bonheur des français, cette chose très terrestre qu'il leur avait promis par son slogan de campagne de 1981, « Changer la vie ». Et s'il gagne, comme encore pour le pari de Pascal, il gagne « tout » à ses propres yeux, c'est à dire une réalisation de l'idée « Européenne » à laquelle il tient plus qu'à tout, quand bien même la seule réalisation qu'il parviendrait à en faire serait non démocratique et néo-libérale comme l'est l'institution européenne d'aujourd'hui. Comme pour le pari de Pascal donc, Mitterrand parie une chose terrestre qui n'est rien à ses yeux, pour gagner une chose qui est tout à ses yeux, un « au-delà » vers lequel il faut tendre (en fait Chevènement n'en dit peut-être pas tant : c'est peut-être selon lui, la Nation française plutôt que le bonheur des français, qui est la chose terrestre que Mitterrand parie ; mais il y a peut-être un lien entre terrestre, bonheur et Nation, qui s'opposeraient à céleste, gloire et Europe).
Par ailleurs, on raconte aussi à droite que Mitterrand, qui était un grand stratège, stimula à certains moments la montée du FN, par d'astucieuses modifications des scrutins électoraux, afin de gêner la droite libérale ou gaulliste qui devrait alors partager ses voix avec le FN. Ragots ?
Comme dans une dimension parallèle, mais aussi pendant les années 1980 dans le même pays, se forme et émerge Noir Désir. On pouvait aimer ce groupe, parce que c'est comme si chacun de ses albums, à chaque fois très différent, « révélait » à celui qui l'écoute « la vérité » sur son époque, comme il ne l'avait pas sentie lui-même avant, et comme elle lui paraissait évidente ensuite. Les mélodies, les paroles, la voix de Bertrand Cantat, qui étaient toutes ensemble, un peu comme un chaman en extase, qui disaient des choses dont le sens était parfois obscur dans les détails, mais dont le sens global, le sentiment global étaient saisissants de force et de vérité. En 1997 donc, quelques années avant le passage à l'euro, quelques années après le référendum sur le traité de Maastricht auquel s'était opposé Chevènement (et alors d'ailleurs que le « vieux lion » sort sur ce sujet un Bêtisier de Maastricht, frappante compilation de propos de partisans du « oui » au passage à l'euro), Noir Désir se fait connaître d'un plus large public en empoignant les cœurs juvéniles, par une chanson qui se termine par ces paroles criées, hurlées, gémies par Cantat :
« FN, souffrance, qu'on est bien en France,
C'est l'heure de changer la monnaie !
On devra encore imprimer le rêve de l'égalité
On n'devra jamais supprimer celui de la fraternité
Restent des pointillés... Yeah, yeah, yeah !!! »
Aujourd'hui 15 ans après, le FN qui dans la chanson de Noir Désir était à 15%, est peut-être à 25%, et il doit aujourd'hui arriver à biens des jeunes de l'époque d'être stupéfaits par la candeur des paroles de cette chanson, après la montée d'un grand pessimisme sur la cohésion sociale en France, qui navigue peut-être en terres proches de la xénophobie. Le chômage est encore plus massif et les inégalités sont encore plus profondes, et pendant la crise des « subprimes » la France a encore perdu 500 000 emplois industriels. Chevènement est toujours là, et propose un programme politique pour les prochaines élections, qui donne la priorité absolue à la relance de la croissance en France, à la lutte contre le chômage, à la ré-industrialisation, à la réduction des inégalités. Pour cela Chevènement est prêt à tout, et même à envisager si l'Allemagne n'accepte pas une réforme en profondeur de l'euro, un « plan B » par lequel l'euro « monnaie unique » soit transformé en un euro « monnaie commune ».
Mais pour l'essentiel des dirigeants politiques et du système médiatique, ce n'est toujours pas l'heure de donner la priorité à la réalisation des conditions matérielles et affectives du bonheur des français : c'est surtout l'heure de sauver la monnaie unique, « sauver l'euro » tel qu'il est, cette chose matérielle qui a des effets désastreux sur l'emploi et l'équité de la répartition des richesses dans la zone euro, et par ricochet sur la cohésion sociale, mais qu'ils ont « talismanisée », comme le dit magistralement le philosophe chrétien Paul Thibaud.
Et « le Che » ne récolte toujours que des regards amusés et quelques quolibets...
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