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Une critique de l’État moderne aux convergences des tempéraments anarchiste et conservateur

Dans un article du 7 mai 2001 pour le journal en ligne libertarien (1) Lewrockwell, Daniel McCarthy, diplômé en lettres classiques et fondateur d’un autre site The American Conservative, prend quelques exemples de personnalités conservatrices anglo-saxonnes ayant, au fil des années, développé une certaine fibre anarchisante (usage non péjoratif) afin d’étoffer leur critique de l’État moderne. Cette critique contient, selon moi, quelques aspects intéressants. Nous trouvons ainsi dans cet article :
– un mot de l’auteur conservateur puis libertarien Albert Jay Nock (1873-1945) : « Tout le monde sait que l’État détient le monopole du crime […]. Autrement dit, l’assassinat privé est interdit mais n’empêche pas l’État d’organiser un assassinat à l’échelle colossale. En outre, il punit le vol privé mais pose ses mains peu scrupuleuses sur tout ce qu’il veut, notamment sur la propriété, du citoyen ou de l’étranger. » (Anarchist’s progress, 1928) Là-dessus, malgré les normes modernes, et dites universelles, des Droits de l’Homme (2) (en allusion à la déclaration du même nom), McCarthy ajoute que « le contrôle des assassinats et des vols était plus efficace dans les sociétés anciennes, que ce soit par la chrétienté médiévale (du XI au XIIIème siècle) ou par la polis (la communauté de citoyens d’une cité grecque au temps de l’Antiquité) » ;
– l’évocation du célèbre romancier britannique John R.R. Tolkien (1892-1973), auteur du Seigneur des Anneaux et du Hobbit. Conservateur et apostolique, il écrit en 1943 à Christopher, un de ses fils : « Mes opinions politiques penchent de plus en plus vers l’anarchie (au sens philosophique, désignant l’abolition du contrôle, non pas des hommes moustachus avec des bombes) – ou vers la Monarchie « non constitutionnelle ». » Le journaliste Auberon Waugh dit de cet écrivain qu’il était « dur, très dur à propos de la police, avis que peu de conservateurs auraient partagé ». Par ailleurs, il « détestait toutes les formes de l’activité politique » et « se méfiait de tous les politiciens » des deux principaux partis anglais.

L’État moderne, par ses représentants libéraux intégraux flattant le droit individuel égoïste, a été destructeur sans relâche des législations favorisant l’épanouissement et la protection de la famille traditionnelle et assurant un rôle politique et moral plus ou moins important aux institutions religieuses. Ainsi :
laïcité et développement du communautarisme religieux (ne rassemblant plus l’ensemble des citoyens d’un État autour de valeurs communes promues par un clergé en particulier) sont l’émanation de l’État moderne.
– comme nous dit McCarthy : « L’Internet développé par le gouvernement fédéral américain a fait plus pour la pornographie qu'une armée de Larry Flynt ne pourrait jamais faire. » De plus, « l’État moderne fournit une protection juridique à la pratique assassine de l’avortement de masse ».
D’où ces précédents conservateurs du siècle dernier qui « ont embrassé l’étiquette d’anarchiste non pas pour s’opposer à toute autorité mais spécifiquement à celle, artificielle, de l’État moderne ».
McCarthy dénonce la corruption de ce dernier, « résultat inévitable de la concentration du pouvoir dans les mains de l'homme ». Il développe ensuite (je continue de traduire ses propos) : « Sans l’État, les hommes seraient toujours dangereux, mais n'auraient pas à leur disposition une institution dont le pouvoir est si concentré et incontrôlé. (3)  » Il fait bien de pointer l’absence de contre-pouvoirs. Il poursuit : « Réformer l'État est impossible et utopique : à réformer l'État, il faudrait réformer la nature humaine. En revanche, l'anarchie et la quasi-anarchie (par diverses formes médiévales et classiques d'organisation humaine) ont des précédents historiques (4). Et aujourd’hui encore, il existe des communautés indépendantes – plus heureuses et prospères que tout État-nation – comme Monaco et le Liechtenstein, Singapour et Hong Kong. » Il nous rappelle alors le positionnement du philosophe grec Aristote (384-322 avant Jésus-Christ) pensant « que l’organisation humaine la plus naturelle est la cité-État, déjà beaucoup plus humaine par son échelle que l'anonyme société de masse » (la société contemporaine occidentale et industrialisée) soumise à l'État-nation moderne (5).

Pourquoi appuyer la critique de l’État dans le cadre historique de la modernité ? Parce que l’État moderne, avec ses élites ayant beaucoup moins organisé la démocratie que la ploutocratie, a permis d’accélérer le processus hégémonique du capitalisme. En d’autres termes, un État moderne est un État qui s’adapte aux mutations du capitalisme, justifiées par une philosophie de la liberté trouvant ses origines dans le libéralisme.
C’est bien une fédération d’États modernes qui a :
– organisé la libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes ;
– mis en place un système institutionnel pyramidal dépouillant les citoyens de leur souveraineté, de leur capacité à faire eux-mêmes leurs lois ;
– fait naître des organisations mondiales sur lesquels le citoyen n’a aucun contrôle.

La notion de modernité est insidieuse : ce n’est pas parce que c’est moderne que c’est mieux. L’est également celle de libéralisme – confusion entretenue entre les adjectifs « libéral » et « pro-liberté » comme si la précédente philosophie avait le monopole des visions réellement émancipatrices. Ainsi, comme nous le dit Jean-Claude Michéa, les politiques libérales sont – et c’est faussement paradoxal – « constamment amenées à intervenir sur la société civile, ne serait-ce que pour y enraciner les principes du libre-échange » avec « soutien permanent au marché dit « autorégulé » » et « « socialisation des pertes » (les classes populaires étant régulièrement invitées à éponger les dettes des banquiers imprévoyants ou des spéculateurs malchanceux) ». Ajoutons à ceci qu’un « pouvoir libéral est également tenu de développer sans cesse les conditions d’une « concurrence libre et non faussée » ». D’où « toute une politique particulièrement active de démantèlement des services publics et des différentes formes de protection sociale » (A contretemps, juillet 2008).
En voulant relier les notions de libéralisme et de modernité, nous pouvons dire que le libéralisme est l’essentiel instrument théorico-pratique de mise en place de l’esclavagisme moderne. Pour faire passer la pilule auprès des peuples et comme nous le dit encore Michéa, « l’État libéral est logiquement contraint d’impulser une révolution culturelle permanente dont le but est d’éradiquer tous les obstacles historiques et culturels à l’accumulation du capital ». Ainsi, l’État est devenu – à l’heure de la modernité – la succursale d’une oligarchie libérale mondialisée mettant en coopération acteurs économiques ou exclusivement culturels ; « spécialistes » des questions économiques, sociales, familiales, qui ont pour rôle de soit mettre directement en œuvre la précédente politique soit expliquer et justifier celle-ci auprès des populations.

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(1) Il ne s’agit pas pour moi, en citant une revue libertarienne, de cautionner l’idéal de la mouvance en question. Si je suis en accord avec l’ant-impérialisme des libertariens et leur sensibilisation à toujours plus de confédéralisme, je ne souscris pas, par contre, à leur anarcho-capitalisme et à leur vision superindividualisée de l’éthique.

(2) Il est bien beau d’établir une longue liste de droits dits fondamentaux qui, pour la plupart des êtres humains encore aujourd’hui, ne se vérifient pas et restent ainsi purement théoriques. En outre, nous pouvons considérer que ce qui est fondamental n’est pas long à déterminer. Il vaut mieux, enfin, pratiquer peu de droits qu’en étaler beaucoup sur du papier. D’où l’intéressante différenciation opérée par l’école marxiste entre les droits réels et les droits formels.

(3) La centralisation positive de Pierre-Joseph Proudhon
Le non-contrôle en question doit, à mon avis, être entendu comme celui du peuple qui, dans tous les États du Monde actuel, est relativement peu souverain. Une exception peut être faite avec la Suisse.
Sinon, notre confédéraliste français Pierre-Joseph Proudhon a, en son temps, beaucoup critiqué la concentration des pouvoirs nationaux par le centralisme étatique.
Or, voyons ici que, dans ses Confessions d’un révolutionnaire, il associe ce centralisme au despotisme et à l’insidieux processus de représentativité en défendant en contrepartie un autre « mode » (mot qu’il emploie) de centralisation. De cette façon, Proudhon oppose deux types de centralisation :
– celle des États « despotiques et représentatifs » qui est « l’autorité, héréditaire ou élective, qui du Roi, Président ou Directoire descend sur le Pays et absorbe ses facultés » ;
– celle reposant sur le contrat, celle des sociétés « d’hommes libres, qui se groupent suivant la nature de leurs industries ou de leurs intérêts, et chez lesquels la souveraineté, collective et individuelle, ne s’abdique ni ne se délègue jamais ».

Dans le second cas, « l’unité sociale, au lieu de résulter [comme dans le premier cas] du cumul et de la confiscation des forces par un soi-disant mandataire du peuple, est le produit de la libre adhésion des citoyens. En fait et en droit, le Gouvernement, par le suffrage universel, a cessé d’exister ».
D’où la centralisation proudhonienne s’effectuant « de bas en haut, de la circonférence au centre », avec autonomie de toutes les fonctions administratives se gouvernant, en effet, « chacune par elle-même ».

(4) La cité-État nous ramène non seulement à l’Antiquité mais également (on l’oublie davantage) au Moyen-âge. Sur les cités médiévales, je vous conseille de lire cet article : http://populaction.com/l-assemblee-d-habitants-au-pouvoir-dans-les-villes-de-france-au-moyen-age-ou-l-on-se-demande-si-nos-predecesseurs-n-avaient-pas-bien-plus-de-pouvoir-politique-que-nous-memes/

(5) Pour appuyer cette dernière idée, j’ajouterais que je ne crois pas à la pratique effective de la démocratie une fois qu’est dépassé un certain nombre de citoyens sur un même territoire. D’ailleurs, la défense de la démocratie réelle conduit forcément, d’après moi, à la solution confédéraliste. Prenons l’exemple de la France, avec ses 66 millions d’habitants. Compte tenu de ce chiffre, il semble évident que la souveraineté populaire à l’échelle nationale n’est pas parfaitement applicable. Pour décider réellement en groupe, le groupe en question ne peut pas contenir plus qu’un certain nombre d’individus. Ainsi, les assemblées populaires ne peuvent raisonnablement pas dépasser quelques milliers d’individus – nous pouvons imaginer des amphithéâtres avec une taille et un nombre maximal de places retrouvables dans les plus grands stades de football actuels. Pour organiser ces assemblées, nous pourrions utiliser les stades eux-mêmes. Dans tous les cas, réunir des milliers de personnes une fois par mois par exemple afin de prendre des décisions communes ne me semble vraiment pas impossible à réaliser. Par ailleurs, les grandes villes se découpent déjà en quartiers. Si, au niveau des villages, les décisions prises en assemblées peuvent concerner le village dans sa totalité, nous verrions s’organiser, dans les villes, des assemblées de quartier dont les décisions seraient relayées dans des assemblées à l’échelle de la ville, comprenant des hommes et des femmes démarchant en suivant un mandat impératif, local et populaire.

Pour qu’il y ait bien confusion entre souveraineté nationale et souveraineté populaire, il ne faudrait pas, dans l’absolu, se contenter du fédéralisme, dans lequel l’autorité des administrations d’échelons supérieurs de la fédération ne serait pas rigoureusement et continuellement définie et délimitée par les administrations d’échelons inférieurs. D’où, pour éviter qu’à un échelon supérieur les décisions soient prises seulement par « quelques uns », la nécessité d’institutions réellement, et le plus possible, décentralisées. La souveraineté populaire, ne devient effective qu’en tant que résidu du consentement des souverainetés régionales, elles-mêmes effectives comme résidus du consentement des souverainetés départementales, etc.


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4 réactions à cet article    


  • Clark Kent M de Sourcessure 13 octobre 2015 09:36

    J’apprécie particulièrement que la modération de ce site refus mes articles et publient ça !


    • zygzornifle zygzornifle 13 octobre 2015 11:52

      il ne faut pas voler...... l’état ne supporte pas la concurrence .......


      • egos 13 octobre 2015 14:36

        Enfin 1 article percutant la pseudo neutralité de l’Etat et de ses administrations,


        air connu au temps des colonies et de la collaboration.

        Qqs réserve s a ce projet engageant et utopique.

        La proposition anarcho-proudhonienne ne contribuerait qu’a rétablir les modes de servage correspondant aux phases primitives -féodales- du pouvoir monarchique,
        ce qui est déjà en voie de rétablissement aux niveaux communal, cantonal et régional consécutivement à la réforme instruite par Mitt et son acolyte Gaston.

        Le nombre ne représente à ce jour aucun obstacle incontournable (internet, transports, concentration urbaine) 
        juste une erreur d’apréciation ou 1 alibi à un redéploiement de type arborescent du maillage politico administratif.

        Suivant cet argument, qu’en serait il alors d’un avenir démocratique pour les populations de Chine, d’Inde ou du Brésil ?

        L’introduction de principes participatifs,à divers échelons, de procédures établissant la transparence des décisions, budgets, dépenses constituerait une première étape.

        Les comités participatifs auraient à recruter, hormis des citoyens élus et membres d’assocs (également élues) de simples citoyens tirés au sort sur des listes électorales, 
        idem jurés des procès d’assises ... 

        En attendant, ns pouvons tjrs rêver de décrocher la Lune.







        • CN46400 CN46400 14 octobre 2015 13:28

          « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires de la bourgeoisie toute entière »

           K Marx- Le Manifeste du parti communiste (1848)

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