Une France schizophrène

La schizophrénie, c’est, entre autres, l’impression qu’a un individu d’être une marionnette, manipulé de l’extérieur par une puissance surnaturelle, contre laquelle il ne peut lutter. Cette volonté de se renfermer sur soi, afin de lutter contre ces forces de l’extérieur qui mettent à mal notre petit commerce, génère aujourd’hui, à l’approche des présidentielles, l’envie d’un protectionnisme exacerbé.
Les élections présidentielles approchant, chaque candidat sort de son chapeau, le mirage du lapin protectionniste, comme le dénoncent la plupart des experts en économie, tel Pierre-Antoine Delhommais dans les colonnes du « Point », évoquant ceux qui prônent la fermeture des frontières, françaises, ou européennes, faisant preuve de simplisme, d’opportunisme, voire de naïveté. lien
Pour bien comprendre les effets dévastateurs du protectionnisme, il suffit de retourner en 1929, après le krach boursier qui provoqua la débâcle financière que l’on sait. lien
A l’époque, le célèbre constructeur de voitures Henri Ford s’était fendu d’une visite à Edgard J.Hoover, le président américain, tentant en vain de le convaincre de ne pas signer cette « stupidité économique ». lien
Malgré la pétition signée par 1000 économistes américains pour tenter en vain d’empêcher le gouvernement de prendre la pire des décisions, le « Smoot Hawley Act », sera décidé. lien
Dès lors, les états visés par la mise en place du bouclier protectionniste ne mirent pas longtemps à réagir : les taxes à l’importation se mirent à pleuvoir, des quotas furent imposés, et chaque pays se replia sur son propre marché, aggravant encore plus la crise, et plongeant le monde entier dans une dépression encore plus profonde.
D’abord ce fut le Canada qui pratiqua la rétorsion contre les USA, suivi par la Suisse, et ce seront bientôt 35 pays qui prendront, vis-à-vis des USA, des mesures contraignantes, via les droits de douane, faisant chuter encore plus bas la Bourse, et aggravant le chômage et le pouvoir d’achat des consommateurs américains. lien
Or en France, à croire que les économistes de chaque parti n’ont plus beaucoup d’influence sur leurs candidats, de la gauche à la droite, tous, ou presque, se sont prononcés pour défendre, plus ou moins, le protectionnisme.
L’un des premiers à évoquer « des écluses douanières, pour passer du libre-échange au juste échange », était Philippe de Villiers en aout 2009. lien
Bayrou a lancé récemment le « made in France », qu’il aurait du appeler le « fabriqué en France » pour être cohérent, d’autant que cet éventuel futur président français roule en « Audi », qui n’est pas, rappelons-le, un produit typiquement français. lien
Hollande semble plus partagé puisqu’il avait déclaré en mars 2009 : « je crois qu’il y a une menace (…) c’est la menace du protectionnisme (…) il faut avoir une conception ouverte de l’économie ». lien
Il l’avait déjà affirmé le 22 avril 2008 (vidéo), mais les temps changent et depuis peu, le PS recommande ce qu’il appelle « des écluses douanières », qui ressemble beaucoup à un protectionnisme déguisé.
D’ailleurs il est clairement proposé dans le programme du PS : « l’augmentation des droits de douane sur les produits provenant de pays ne respectant pas les normes internationales en matière sociale, sanitaire ou environnementale » ce qui semble assez éloigné de la première position du candidat socialiste. lien
Du coté de l’UMP, la confusion règne : Entre un Laurent Wauquiez qui évoque « un protectionnisme moderne qui n’enferme pas mais qui protège » affirmant que celui qu’il prône doit être tout d’abord européen et que le mot « frontière » est devenu un « gros mot qu’il faut réhabiliter » (lien) et un Jean François Copé qui met les pieds dans le plat affirmant que « personne ne peut prétendre que le mot de protectionnisme est un mot moderne », (lien) ajoutant qu’il faut « laisser les partis d’extrême droite défendre cette idée du protectionnisme français qui consisterait, et ce serait suicidaire, à fermer les frontières françaises », pendant que notre autocrate président ne dit mot, puisque tout le monde sait qu’il n’est toujours pas candidat, il y a, et c’est le moins qu’on puisse dire, un manque singulier de cohérence dans ce parti.
A l’extrême gauche, le protectionnisme plait aussi, puisque Jean Luc Mélenchon est favorable à « un bouclier douanier sélectif » et propose un « protectionnisme européen » qui passerait par une « mise en place des visas sociaux et écologiques pour toute marchandise entrant dans l’union (européenne) et l’instauration d’une souveraineté économique qui interdise les délocalisations dans tous les cas où cela aboutit à la perte d’un savoir faire ou à la destruction d’une zone de production ». lien
Les Verts sont quasi à l’unisson puisqu’ils sont favorables à ce que « les produits entrant soient taxés à hauteur de ce qu’ils auraient coûté s’ils avaient respecté les clauses environnementales des accords multilatéraux sur l’environnement et les accords de l’OIT (organisation internationale du travail) ». lien
Ce qui ne semble pas faire l’unanimité de tous s’il faut en croire la contribution de Caroline Boin et Alec Van Gelder (directeurs de projet à l’I.P.N (international Policy Network)) qui pensent que « ces idées (de protectionnisme) menacent le commerce international, la croissance et la reprise », comme on l’a vu en 1929. lien
Quant au Front National, inutile de s’étendre sur sa farouche volonté de fermer les frontières autant à l’immigration, qu’aux produits étrangers qui, d’après la « marine nationale », seraient la cause de tous nos malheurs. lien
Pour convaincre, elle n’hésite pas à détourner une photo de mode, « made in USA », signée par une photographe de mode américaine, Lisa F. Young, montrant un pseudo « sans abri ». lien
Portée par une haine immodérée de l’étranger, béret vissé sur la tête, baguette de pain sous les aisselles, elle s’en prend entre autres aux entreprises automobiles, en réclamant « vous vendez en France, alors vous produisez en France ». lien
Devant la quasi unanimité des candidats présidentiels, on ne peut que s’étonner de leur manque de perspicacité, et de méconnaissance de l’histoire, même si l’on peut comprendre leur préoccupation de ne surtout pas déplaire à l’électorat.
N’est-ce pas pourtant l’occasion pour les prétendants présidentiels de faire preuve de courage, prenant le contrepied de l’opinion du plus grand nombre, (lien) qui aujourd’hui, est persuadé à 80%, que la panacée est la fermeture de l’Europe au commerce extérieur, en pénalisant les importations ? lien
Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’une majorité de citoyens se tromperait dans ses choix, comme on a pu le constater par le passé, lors d’élections présidentielles.
Si l’on met en perspective la provocation d’un Frédéric Bastiat, si hostile au protectionnisme en 1846, qu’il avait lancé avec humour, la « pétition des fabricants de chandelles », c’est comme si Areva, le célèbre promoteur du nucléaire, s’en prenait au soleil, redoutable concurrent, grâce à la lumière et chaleur gratuite qu’il procure, prônant la fermeture des volets de nos fenêtres en plein jour, afin de lutter contre cette concurrence déloyale. lien
Alors plutôt que de s’engouffrer dans l’impasse séduisante d’un protectionnisme suicidaire, ne faut-il pas chercher d’autres solutions ?
Est-il logique de subventionner une entreprise française qui va installer ses usines à l’étranger ?
Qu’il s’agisse de Peugeot, Renault, et bien d’autres, ce n’est pas la première fois qu’une entreprise, après avoir été subventionnée par l’Etat, décide de délocaliser. lien
En 1994, Peugeot et ses sous-traitants, c’est encore 27 000 emplois s’étendant sur 400 hectares pour le seul centre Belchamp, avec un hall de montage final long de 1200 mètres, les chaines parallèles atteignant 10 km de long, très souvent robotisées, et les taxes professionnelles récoltées étaient largement utilisées pour financer les infrastructures qui profitaient à Peugeot et à ses salariés. lien
Peugeot, et d’autres, ont souvent profité des subventions de l’Etat, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas la « reconnaissance du ventre ». lien
Alors même si l’autocrate président à menacé Renault en janvier 2010 « nous ne mettons pas tant d’argent pour soutenir nos constructeurs pour que la totalité des usines aillent à l’extérieur », les délocalisations n’ont pas cessé pour autant. lien
Un exemple parmi tant d’autres : Michelin est en train de construire une usine en Inde, et une pétition est en ligne sur ce lien.
Et quid de ces entreprises qui, non seulement délocalisent, mais vendent en même temps les technologies qu’elles ont mis au point, se tirant du même coup une balle dans le pied ?
C’est pourtant ce qu’à fait Emix, en vendant sa technologie solaire photovoltaïque aux espagnols de FerroAtlantica. lien
Quant à ceux qui veulent limiter le protectionnisme aux frontières européennes, ce serait oublier les écarts énormes de salaires qu’il y a entre tous les pays européens, allant de 92 € pour la Bulgarie, à 1570 € pour le Luxembourg. lien
On a bien compris que la préoccupation de chacun des belligérants, outre de s’attribuer les faveurs du public, vise le géant Chinois, et pourtant, a y regarder de plus près, le déficit français en terme de balance commerciale est en faveur de l’Allemagne, puisque l’excédent commercial allemand n’a cessé de progresser (154,5 milliards en 2010) alors que le déficit français s’est creusé de 54 milliards en 2009. lien
N’y-a-t-il pas d’autres pistes à creuser, comme lutter contre l’obsolescence programmée, réfléchir à la décroissance, le « travailler moins pour gagner tous », voire le « travailler moins pour gagner plus », en réduisant l’écart des salaires, en redistribuant plus équitablement, la manne financière, en contrôlant mieux le coût de la vie, (lien), en refusant le gaspillage inadmissible de l’Etat, plutôt que de s’engouffrer dans la brèche populiste du protectionnisme, des « écluses douanières » et autres miroirs aux alouettes, qui précipiterons le pays dans une misère encore plus grande ?
Est-il nécessaire de mettre à la diète notre pays déjà réduit en partie à la famine, puisque comme disait Jacques Généreux : « je crois que nous sommes gouvernés par des fous » (vidéo) et mon vieil ami africain ajoutait : « il vaut mieux allumer une bougie que de maudire l’obscurité ».
L’image illustrant l’article provient de « lexiophiles.com »
Merci à Corinne Py pour son aide efficace.
Olivier Cabanel
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