Une Gauche contre l’ultra-libéralisme sociétal
Le 23 avril 2013, issus des différents groupes parlementaires de gauche, dix députés votèrent contre la loi autorisant le mariage pour tous et cinq se sont abstenus.
"J'aurais voté pour sans le volet sur la filiation. Je suis contre le fait qu'un enfant puisse avoir deux pères ou deux mères.", expliqua Jérôme Lambert, petit neveu de François Mitterrand, qui vota contre, au même titre que Bernadette Laclais (Savoie), Patrick Lebreton (Réunion) ou encore Gabrielle Louis-Carabin (Guadeloupe). Quant à Marie-Françoise Bechtel (Aisne), Jean-Luc Laurent (Val-de-Marne), tous deux chevènementistes, Dominique Potier (Meurthe-et-Moselle) et Jean-Philippe Mallé (Yvelines), exprimèrent leur désaccord en s'abstenant, tous étant membres du groupe SRC (socialiste, républicain et citoyen).
Les élus martiniquais de gauche de la GDR (Gauche démocrate et républicaine)Alfred Marie-Jeanne, Jean-Philippe Nilor et Bruno Nestor Azerot votèrent contre, tandis que le Guyanais Gabriel Serville s'abstint. Très applaudi sur les bancs de la droite, Bruno Nestor Azerot, député autonomiste de Martinique, rappela que "c'est parce qu'[il était] un homme de gauche qu'[il] préférai[t] l'humain et l'humanisme à ce que sous-entend ce texte". Patrice Carvalho (Oise), membre du Front de Gauche et du groupe GDR, vota aussi contre de même qu'Ary Chalus (Guadeloupe) et Thierry Robert (Réunion) du groupe RRDP (radical, républicain, démocrate et progressiste) .
Alors que la position officielle du Parti socialiste était favorable au projet de mariage des homosexuels depuis au moins 2007 et constituait la proposition n° 31 du candidat François Hollande, certains cadres socialistes émirent des réserves sur le projet, voire une franche opposition.
Le 7 février 2013, Michel Rocard expliqua son opinion sur le projet de loi de mariage homosexuel. S’estimant « pas du tout expert […] sur le problème juridique lié à la situation des enfants », celui-ci n’en porte pas moins un jugement hostile sur l’adoption : « Tout ça me paraît dangereux. Pour l’adoption, il me semble que ce n’est pas souhaitable, donc je ne suis pas pour. »
Lionel Jospin, ancien premier ministre, ne goûta guère l’expression "mariage pour tous" : "Il faudrait employer une expression plus précise", et reste attentif au fait que "l’humanité est structurée entre hommes et femmes".
Bernard Poignant, proche conseiller de Hollande, orphelin de père, écrivit sur son blog : "A mes yeux et quoi qu’il arrive, [l'enfant] se construit dans l'altérité des genres, masculin et féminin, père et mère. Un enfant doit toujours savoir qu’il a ou a eu un père et une mère." "J'ai dit à François (Hollande) ce que je pensais, tout en me gardant de sonder ses convictions personnelles", confia-t-il à L'Express.
L'ancienne ministre socialiste Georgina Dufoix, protestante, se déclara contre le projet de loi au motif qu'il « bouleverse en fait la conception du mariage pour tous les citoyens, détruit la notion de filiation, institue corrélativement un droit à l'enfant et, in fine, introduit la théorie du genre au sein de la société ». Elle fur la seule ancienne ministre socialiste à manifester le 13 janvier 2013.
Le maire socialiste de Cherbourg, Jean-Michel Houllegatte déclara à La Presse de la Manche "On ne doit pas changer le sens du mot mariage qui repose sur l'union d'un homme et d'une femme".
Le sénateur-maire PS de Lyon Gérard Collomb expliqua sur Europe 1 : "Ce contre quoi je mets en garde, ce sont les dérives qui peuvent exister à l'avenir (...) l'industrie des mères porteuses pour autrui". Il conclut en affirmant qu'il votera le projet de loi, même s'il concéda "un certain nombre de réserves".
Au-delà du Parti socialiste, de nombreux hommes et femmes de gauches se montrèrent opposés à la loi sur le mariage homosexuel.
Jean-Pierre Chevènement, dirigeant du Mouvement républicain et citoyen, ancien ministre, se prononça contre le projet de loi : « Avec ce projet de loi, nous brouillons complètement le droit de la filiation. Des couples homosexuels pourront adopter ensemble des enfants. GPA et PMA ne sont pas dans le texte, mais vous savez très bien que c’est une hypocrisie et qu’en réalité tout cela va ensemble, petit à petit, quels que soient les hommes politiques. […] je pense qu’un enfant a le droit à avoir un père et une mère, ou au moins, l’idée d’un père et l’idée d’une mère ».
Pour Jean-Jacques Rateau, conseiller du Parti radical de gauche à l'Assemblée des Français de l'étranger, « le projet de mariage pour tous va à l’encontre de la réalité biologique de l’espèce humaine et menace les fondements de la famille (un père, une mère, des enfants). » Il appela à la Manifestation pour tous de janvier 2013.
Sylviane Agacinski (philosophe et épouse de Lionel Jospin), qui s'était exprimée sur la question bien avant la rédaction du projet de loi du mariage pour tous, estima que la question du mariage homosexuel est indissociable de la question de l’homoparentalité à laquelle elle était hostile.
Jacques Testart, père médical du premier bébé éprouvette français et ancien militant trotskyste, émit l'idée que « la PMA est justifiée quand il s'agit de femmes stériles » mais affirma qu'il « résiste à la perspective de la PMA pour les homosexuels ».
Daniel Delaune, édile divers gauche de Grand-Camp (Seine-Maritime), fut l'un des "pères" de l'appel du Collectif des maires pour l'enfance militant pour annuler le projet et refusera de célébrer tout mariage homosexuel : « Au nom d’une prétendue égalité des droits, on est en train de créer un système injuste : certains enfants auront la chance d’avoir un père et une mère et d’autres en seront privés délibérément. »
Parmi les trois grands initiateurs de la "Manifestation pour tous" du dimanche 13 décembre 2012, se distingua Laurence Tcheng, une enseignante de gauche qui avait voté pour François Hollande. "Le mariage gay est un bouleversement majeur !" estima cette femme de 47 ans. Elle fut à l'origine de la page Facebook intitulée "La Gauche pour le mariage républicain", créée quatre jours avant le défilé du 17 novembre 2012.
Les Poissons roses/Conviction, forts de 800 membres, essentiellement des militants et des élus du Parti socialiste, apparurent en septembre 2011. Se revendiquant du personnalisme d'Emmanuel Mounier, ils réclamèrent des « états généraux sur le mariage républicain qui est actuellement en crise ». Parmi les élus qui leur apportèrent un soutien, on trouvait Chantal Berthelot, députée de Guyane, ou encore Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle. Ils sont par ailleurs hostiles aux projets actuels de modification de la loi de 2005 sur le fin de vie.
Pour faire entendre leur voix dissonante, les Poissons Roses / Conviction déposèrent une contribution thématique en juillet 2012 en vue du Congrès du PS tenu en octobre 2012. Ce texte mettait en avant les réflexions de Gaël Giraud et Bernard Perret, économistes, Jean-Claude Guillebaud, journaliste et écrivain, et Bernard Devalois, professeur de médecine. Parmi les signataires, on trouvait beaucoup de chrétiens de gauche, mais pas seulement : Philippe de Roux, Olivier Favereau, Pascal Ollive, Jean-Pierre Mignard (qui exprimait des réserves), Dominique Potier (député de la Meurthe et Moselle), Michel Rocard (ancien premier ministre). Au-delà du mariage homosexuel, l'adoption par les couples homosexuels était inacceptable pour les Poissons roses. « Faut-il, au nom d'un droit à l'enfant pour tous les couples, remettre en cause le principe fondamental du droit de l'enfant à connaître ses parents et être élevé par eu ? Peut-on, au nom du droit de l'adulte, priver délibérément certains enfants de cette altérité entre l’homme et la femme ? », interrogeaient ses membres dans leur contribution. Ils appelèrent à participer à la Manifestation pour tous en janvier 2013 "à condition que tout soit fait pour éviter les dérives homophobes". L'équipe dirigeante comprend quelques figures de la gauche.
Hélène Rat-Roy, pharmacienne, conseillère municipale PS à Dijon, est la présidente du mouvement depuis avril 2013.
Philippe de Roux, co-gérant d’une entreprise de réinsertion dans le bâtiment, fondateur d’une ONG mettant en place des projets d'adduction d’eau courante dans des pays en développement, est aussi le fondateur du mouvement des Poissons Roses et son secrétaire général.
Michel Simonnet, entrepreneur et créateur de sociétés de services en informatique, est le nouveau trésorier des Poissons Roses depuis le 13 avril 2013.
Nestor Dosso, responsable de la logistique d’un grand hôtel, est aussi co-fondateur d’une association pour le rapprochement des citoyens par la création d’événements culturels. Il est délégué général du mouvement des Poissons Roses.
Jean-Claude Guillebaud, éditorialiste au Nouvel Observateur, en passant par le Monde et le magazine la Vie, est au cœur de tous les débats d’idées des Poissons Roses.
Pascal Ollive, ancien président du Mouvement des Jeunes Socialistes, est pasteur à Nîmes.
Un appel intitulé « Pour un vrai dialogue sur l’essentiel, un appel de croyants de gauche », initié par Didier da Silva, enseignant, président de Chrétiens pour une Gauche Nouvelle, René Poujol, journaliste, Vincent Soulage, agrégé d’Histoire, Eric Vinson, enseignant-chercheur et journaliste, fut publié le 11 septembre 2012. Le 20 novembre 2012, le texte accompagné des 834 signatures fut transmis notamment au Président de la République. Signé aussi par les Poissons roses, cet appel invitait à ouvrir un dialogue approfondi sur le mariage pour tous.
Le 29 janvier 2014, l’hebdomadaire Marianne ouvrit ses colonnes à des professionnels de santé de sensibilité de gauche, et hostiles à l’euthanasie : Laure Copel, cancérologue, responsable des soins palliatifs à l’Institut Curie de Paris, Anne-Marie Dickelé, psychologue en soins palliatifs au CHU de Montpellier, Bernard Devalois, ancien président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, Martine Ruszniewski, psychologue et psychanalyste, Gérard Terrier, chef du service d’accompagnement et de soins palliatifs du CHU de Limoges.
« Impliqués professionnellement dans l’accompagnement de patients en fin de vie, nous sommes aussi des citoyens engagés, qui nous reconnaissons dans un grand nombre des valeurs incarnées sur la scène politique par la gauche. Aujourd’hui, nous voulons dire notre indignation vis-à-vis de la proposition de loi visant à légaliser les injections létales et le suicide assisté, signée par de nombreux sénateurs « de gauche ». Nous l’avions été tout autant il y a un an par la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par le groupe socialiste. Nous sommes également choqués de retrouver ces propositions dans le texte de la convention « égalité réelle », validée par le Parti socialiste comme base programmatique pour la future élection présidentielle. (...) De telles lois nous paraissent incompatibles avec les valeurs traditionnelles de la gauche qui demandent à l’Etat de protéger les plus vulnérables, comme le sont les patients en fin de vie. Nous sommes surpris que soit mis en avant par des parlementaires appartenant à la gauche un principe aussi fondamentalement ultralibéral que la prééminence absolue de l’autonomie individuelle. Une telle démarche génère toujours une majoration de l’inégalité entre forts et faibles.(...) Il est parfois de bon ton de laisser croire que les adversaires d’une légalisation de l’euthanasie seraient tous des réactionnaires, intégristes et conservateurs, et que, si l’on se situe dans le camp du progrès, on se doit d’être favorable à cette évolution législative, comme on l’était sur la question de l’IVG. Nous nous inscrivons fermement contre cette idée fausse et nous affirmons avec force que s’engager dans un droit à la mort provoquée est une impasse dont nous redoutons les dérives. »
Dans la Croix du 4 mars 2014 parut une tribune de Philippe de Roux, Pierre-Yves Gomez, Olivier Favereau et des Poissons roses, intitulée « Une guerre perdue à gauche ? », violent réquisitoire contre la dérive sociétale du gouvernement de gauche.
« (...) Mais on voudrait convaincre que ce tournant économique est « moderne » parce qu’il ressemble au virage libéral négocié dans le champ éthique. C’est une deuxième défaite pour une authentique conscience de gauche. Ainsi, vouloir faire de l’IVG un acte médical « banal » en niant la notion de détresse ne changera rien à la réalité que vivent les femmes au moment de ce choix difficile ! Alors qu’on avorte en France deux fois plus qu’en Allemagne, la libéralisation tous azimuts de l’IVG sera-t-elle notre seule réponse à une femme pressée par son entourage d’avorter parce qu’elle n’a pas assez de moyens économiques, parce qu’elle porte un enfant handicapé ou parce que son entreprise n’accepterait pas sa grossesse ?
Une même dérive libérale guette la prochaine loi sur la famille, pour l’instant reportée, avec un amendement octroyant de manière automatique la nationalité française pour les enfants nés de GPA pratiquées à l’étranger. On contournera ainsi l’interdiction du commerce de la grossesse sur le sol français au grand bénéficie des entreprises internationales spécialisées dans le portage d’enfants.
A l’autre bout, la fin de vie inspire aussi les sirènes du « laisser-faire » encouragées par l’ambiguïté du « panel » citoyen et une recomposition du Conseil national d’éthique. Avons-nous envisagé sérieusement les conséquences sur nos libertés d’une légalisation de l’injection létale à des patients en situation de précarité psychologique, alors que la pression financière fait de plus en plus forte sur notre système de santé ?
De nombreux électeurs de gauche s’opposent à la puissance du calcul économique qui s’impose même à la vie humaine, mais ils sont relégués, par de pseudo-progressistes, dans le camp des réactionnaires. Ils continueront pourtant d’être aux avant-postes de la lutte contre l’injustice. Car notre époque oppose désormais deux conceptions de l’être humain : soit il se pense maître de son existence, de son corps, du début de la vie jusqu’à la mort, confiant en sa seule puissance et liant son bonheur à l’accumulation de richesses. Qu’il le veuille ou non, il deviendra alors un objet de marché et de calcul, de performance ou de rebut. Soit l’homme se considère comme une personne reliée aux autres, déployant sa liberté dans l’interdépendance, assumant ses compétences mais aussi ses fragilités et ses faiblesses, et trouvant son épanouissement dans une organisation sociale fondée sur la bienveillance volontaire et l’initiative au service du bien commun. Il peut alors fonder une société où le calcul économique n’a pas le dernier mot.
Il reste donc à promouvoir à gauche un projet social reposant sur le respect de la dignité de toute personne humaine comme socle de la justice et de la liberté. Tel est le vrai pacte de responsabilité, le nôtre. »
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