Une proposition pas si anodine...
A en croire certains, permettre au Président de se rendre devant le Parlement, ou le Congrès, serait une proposition anodine. Il n’en est rien.
Cet article, inscrit dans le projet de loi de révision de la Constitution est issue de la vision « présidentielle » d’élus et du Président lui-même : ne s’appuie t il pas sur l’exemple américain pour soutenir sa proposition ? Or, c’est nier, là encore, les particularités du régime de la V République, son essence même. Selon la Constitution, ce n’est pas le Président qui « gouverne » mais bel et bien le Premier Ministre. Et dans les faits, c’est très exactement ce qui se passe. Le Président, sous la V République, ne commande pas l’administration, il ne commande pas l’appareil, et s’il est le chef des armées, il n’en est pas le commandant (un peu comme sous l’Ancien Régime : le roi était le commandant, et le « connétable » le « chef des armées »)
Informé de tout, le Président n’est pas un acteur, selon notre Constitution, mais un arbitre. Il ne peut rien entreprendre sans le contreseing du Premier Ministre, et du Gouvernement. Sans le Premier Ministre, il ne peut absolument rien accomplir…Quinquennat ou non. Le Chef de l’Etat est un visionnaire, un conseil, un guide, un garant, un témoin, pas un acteur directement engagé. Nous sommes sous la V République…Pas sous la II ! Ni sous le régime de Vichy !
De son coté, le Premier Ministre n’est pas un « collaborateur ». Un collaborateur n’est pas un collègue, il n’est pas Ministre ; c’est un subordonné proche, qui n’a aucune autonomie. Un collaborateur, c’est un subordonné qui peut avoir de nombreux collègues alors que le Premier Ministre est un personnage singulier qui, responsable devant le Parlement, à son domaine de compétences propre et son autonomie. (Il n’a pas besoin du Président pour agir, puisqu’il a une « majorité » au Parlement) Il n’est pas plus le « collègue » du Président qu’il n’est, à proprement parler, son subordonné. (Tout simplement parce que son investiture nécessite une double confiance : présidentielle, mais aussi parlementaire (vote de confiance)) Le Premier Ministre a une responsabilité qui lui est propre : elle comprend la direction de l’équipe gouvernementale et la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée, le Parlement en général.
Expliquer dès lors que le Président va expliquer la « politique » du Gouvernement, devant le Parlement, est donc une ineptie, sinon un viol de la Constitution, puisque, et qu’il le veuille ou non, la Constitution ne donne pas au Président le soin de « déterminer » la politique de la Nation, ni de la « mettre en œuvre ». Celui a qui elle confie une telle mission, c’est le Premier Ministre. Il n’est donc d’utilité pour le Parlement de voir Monsieur Sarkozy, ou l’un de ses successeurs, ajouter une tribune supplémentaire à ses discours. Simplement, et c’est de la logique, parce que le Président est irresponsable, et que sa présence n’est sollicitée en un tel lieu (Hémicycle ou Congrès) que lors des cas de crise (et donc d’utilisation de l’article 16 de la Constitution) ou quand par ex le pays subit une crise politique ou d’instabilité telle qu’elle nécessite un discours « apaisant » venant du « médiateur » en titre de la Constitution (le Président), ou le recours à la dissolution. (Le Président, en cette circonstance, étant légitime, dans sa demande d’intervention, pour expliquer son choix, qui lui est propre)
Il semble que cette proposition n’ait pas d’autre visée que celle d’humilier le Premier Ministre, et de nuire à la stature du Chef d’Etat, même si celui-ci ne s’en rend pas compte. Le Président de la République n’a en effet pas le droit d’être le Président de quelques uns pour faire plaisir à quelques autres. Il n’a pas le droit non plus de marginaliser ceux dont on se sert pour accomplir des tâches difficiles. Le problème ici dépasse même le cadre constitutionnel. C’est une question de respect de l’Homme. Le Président semble ne pas le comprendre, mais sa capacité d’intervention, son « pouvoir » relatif, la possibilité de mise en œuvre de sa vision politique, dépendent essentiellement du Premier Ministre. Ce qui donc exige de lui un minimum de courtoisie…D’effort…Et de respect, envers le Premier Ministre. Il appartient en effet à ce dernier de décider jusqu’où il est prêt à partager ses attributions gouvernementales, avec le Président. La « générosité » de François Fillon est en soi un pacte de confiance particulièrement précieux. D’autant que les deux hommes ne semblent pas s’apprécier particulièrement. Rien n’oblige le Premier Ministre à partager. Les articles 20 et 21 lui garantissent son « bon droit ». Il est donc susceptible « d’enfermer » le Président dans son palais. N’a-t-il pas de « majorité » ? N’est-il pas plus populaire que le Chef d’ Etat ? Et n’a-t-il pas les outils nécessaires pour diriger le pays ? Le Président devrait peut être s’en souvenir, plutôt que de le rabaisser constamment.
Nicolas Sarkozy est sans doute habité par l’idée selon laquelle le « Président décide de tout ». Mais ce n’est pas vrai. Parce que rien n’oblige le Premier Ministre à obéir, à ne pas entrer en « rébellion ». D’autant qu’en général, quand le Président perd sa popularité auprès du Peuple, les parlementaires ont tendance à se rapprocher du Premier Ministre. On en a eu un exemple flagrant lors des municipales, et sur certains dossiers.
Nicolas Sarkozy veut être partout. Il veut être partout non parce qu’il croit que lui seul peut résoudre tous les problèmes, mais parce qu’il pense que, là où le problème est soluble, il faut qu’il soit présent, pour que la solution qu’il propose soit portée à son crédit. Pourquoi fait il cela ? Parce que Nicolas Sarkozy n’arrive pas à renoncer à être un chef de parti (en l’occurrence celui de l’UMP), un candidat perpétuel. Il considère dès lors son Premier Ministre comme un ennemi, et les parlementaires qui sont issus du même parti que lui, comme des adversaires.
Donner au Président la possibilité de venir s’exprimer devant le Parlement, le Congrès, est en soi un mauvais signe à envoyer. C’est le conforter dans cette idée, très louis-quatorzienne, que le Président peut tout, et que tout procède de lui. Et que c’est là ce qu’attendent de lui, les Français. C’est aussi l’empêcher de faire sa mutation en Président. « Le roi de France doit oublier les querelles du Prince d’Orléans » : le Président doit oublier celle du chef de l’UMP. Il y a des personnes intelligentes et elles sont nombreuses, pour s’occuper des questions partisanes. Les moyens mis à disposition de l’Etat sont faits pour servir la France…Non pour régler ses comptes avec ses anciens adversaires politiques.
Je pense, pour ma part, qu’un Chef d’Etat doit, sauf exception, rester au dessus. Il ne doit pas se précipiter sur l’événement. Se précipitant, il n’en a pas la vue d’ensemble nécessaire. Il faut qu’il observe, consulte, réfléchisse. Le pouvoir présidentiel est un pouvoir non d’autorité, mais de médiation, d’arbitrage. Pour pouvoir exercer ce pouvoir sereinement, il faut donner aux parties le moyen de s’exprimer, complètement, librement. Ce que Monsieur Sarkozy ne semble pas savoir faire.
S’ajoute à cela, que le Président détient le pouvoir de dissoudre l’Assemblée Nationale. Ce qui n’est, par ex, pas le cas du Président des USA. Nicolas Sarkozy s’étonne que le Président français puisse s’exprimer devant toutes les Assemblées étrangères, mais pas devant celle française. Peut être pourrait on lui rétorquer : avez-vous la possibilité de les dissoudre, ces Assemblées étrangères ? Non. Dès lors, l’interdiction faite au Président de s’exprimer devant le Parlement s’explique d’elle-même. Autrement dit, à moins que le Président renonce à son droit de dissolution…Qui disons le est une arme contre le Parlement…Il ne doit pas être admis qu’il s’exprime devant le Parlement, sauf en cas de crises ou justement de mise en œuvre de ce droit de dissolution. D’autant qu’il est irresponsable devant le Parlement. Cette revendication d’expression du Président est dès lors rendue caduque. Elle ne se justifie en rien.
Ce qui est gênant, enfin, dans cette proposition, c’est qu’il s’agit là d’un monologue…Et non d’un dialogue. Symboliquement, l’effet d’une telle mise en scène est désastreux. Pourquoi ? Parce qu’automatiquement, le Président va apparaître comme un « maître » et les parlementaires comme des « élèves », c’est-à-dire qu’il va se créer un rapport hiérarchique (l’autorité du « maître » sur la « classe ») alors que par définition, les élus nationaux sont égaux en droit, la légitimité du Président valant celle du député, puisqu’ils sont tous les deux élus au suffrage universel direct. Dans un pays où l’on parle souvent du Président comme du « monarque républicain », il est évident que l’on ne manquera pas de remarquer la similitude de cette « rencontre » entre un Président et le Parlement, avec le discours prononcé par le roi devant les Etats Généraux, ou encore avec les Lits de Justice, où concrètement le roi « lisait » un discours aux membres du « Parlement » (Cour de Justice, Chambre d’enregistrement des Edits), pendant que ceux-ci, sans rien dire avant, pendant, et après, l’intervention du roi, étaient sommés « d’enregistrer » les édits, sans en débattre.
Faut il donner à penser au Président…Et aux citoyens…Que le Parlement n’est rien d’autre qu’une « Chambre d’enregistrement » ? Pour quelle raison enfin le Président devrait il avoir ce droit ? Autorise t on le Parlement (Les présidents de groupes de l’Assemblée par ex, et un représentant des « non inscrits ») à faire un discours devant le Président, à l’Elysée ? Non. Il faut rester cohérent.
Cet article n’est en rien anodin. La proposition du Président de la République de venir devant le Parlement, c’est-à-dire dans l’Hémicycle, ou bien devant le Congrès, rappelle le « droit » du Président américain, qui lui est dévolu par la Constitution des USA : « le Président informera périodiquement le Congrès de l’Union et recommandera à sa réflexion telles mesures qu’il estimera nécessaires et opportunes ».
Sous la V République, le Président n’a pas de contrôle de sa parole. En tant qu’arbitre, celle-ci n’est pas décomptée par le CSA, ce qui lui permet, dès lors, de s’exprimer quand il le souhaite. Au contraire du Président des USA qui n’a pas la possibilité de faire défendre devant le Congrès sa politique, les Présidents français, eux, ont un Premier Ministre et un Gouvernement….Qui peuvent s’adresser au Parlement…Et ont de précieux atouts constitutionnels ! Il n’y a donc nulle nécessité, utilité, à renforcer l’Exécutif, en octroyant une tribune supplémentaire au Président…D’autant que contrairement au Président des USA…Il n’a pas de pouvoir d’exécution. Ce dernier étant conféré au Premier Ministre, et à lui seul.
Le Président a toutes les tribunes diverses et imaginables pour « expliquer » sa « vision » (et non sa politique, puisque ce n’est pas lui qui la détermine) : TV, Radio, presse, Internet, etc. Je doute que les parlementaires ne prennent jamais le temps de lire les différentes allocutions du Président ! Pourquoi les Orléanais demandent ils à chaque Président de venir le 8 Mai pour faire un discours sur l’unité…Sinon parce que le Président est par définition celui qui doit incarner l’unité, bien avant l’action ? Et si symboliquement (et non politiquement ou juridiquement) le Président, dans notre pays, a une telle importance, c’est parce que la plus grande force de la France, réside dans son unité…Et sa plus grande faiblesse, dans la division.
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