Vers une nouvelle hiérarchie des contre-pouvoirs ?
La vie politique française fut longtemps rythmée par des alternances politiques à l’échelle nationale, lors des élections présidentielles comme des élections législatives. La configuration institutionnelle actuelle semble avoir verrouillé ces élections majeures. Se pose alors la question des contre-pouvoirs indispensables à la respiration démocratique. De nombreux indicateurs portent à penser que, dorénavant, les contre-pouvoirs se structurent de façon « verticale », entre les différents échelons de compétences politiques que comporte le pays. A la droite, l’Etat ; à la gauche, les responsabilités régionales et locales.
La gauche peut-elle espérer un jour gagner une élection présidentielle ou influer de façon déterminante sur le législatif, qu’il s’agisse de l’Assemblée ou du Sénat ? Les élections de 2002 et 2007 tendraient à prouver que non. Accident de parcours résultant d’une mauvaise préparation ou plus profondément inaptitude structurelle à répondre aux exigences très particulières de ces scrutins ? Plusieurs raisons plaident dans le contexte institutionnel actuel à faire pencher la balance vers la seconde de ces propositions.
La première résulte de la mécanique spécifique de l’élection présidentielle française. Relation directe entre un homme et le peuple, telle que théorisée par le général de Gaulle dans le discours de Bayeux du 16 juin 1946 et mise en œuvre dans la tourmente de la guerre d’Algérie. Le lien direct s’étant trouvé renforcé par le référendum d’octobre 1962 qui devait permettre l’élection du président au scrutin universel direct. La gauche a initialement exprimé les plus extrêmes réserves à l’encontre d’un système qui lui semblait pouvoir dériver vers le régime personnel. Ses vœux allaient davantage vers un régime de type parlementaire, dominant en Europe, où le chef de l’Etat joue davantage le rôle d’arbitre, de garant des institutions.
La deuxième provient de la relation particulière avec le parti. L’UMP a besoin d’un chef. Lorsqu’elle le trouve, elle le soutient avec toute la puissance et l’efficacité de sa machine. Le Parti socialiste préfère les débats internes, les confrontations démocratiques, les programmes plutôt que les hommes (ou les femmes) qui les incarnent. Ceci est louable mais devient totalement contre-productif dans le système actuel. La logique voudrait que dans cette nouvelle configuration institutionnelle il devienne un instrument destiné à forger un présidentiable, une sorte de Parti démocrate à la française. Ce qui heurte viscéralement toute sa culture politique, les fondements sur lesquels il s’est construit depuis J. Jaurès.
La troisième résulte de la relation entre l’élection présidentielle et l’élection législative. Cette dernière se retrouve dans le sillage de la première. Qui gagne la présidentielle emporte dans la foulée la législative. Il ne s’agit que d’une formalité, d’une confirmation. La victoire du parti présidentiel pouvant être plus ou moins atténuée, mais non inversée. L’élection législative qui, dans la plupart des grands pays démocratiques constitue l’épreuve majeure, est ravalée dans le cas français à un rang subalterne.
Pour conclure, la gauche est moins apte que la droite à gagner la présidentielle et par voie de conséquence ne peut espérer emporter la législative. Le plus comique dans cette affaire étant que cette infernale machine à perdre n’ait pas été mise en place par la droite, mais conçue en toute inconscience par le Parti socialiste lorsqu’il était au pouvoir. Qui a, en cours de mandat, revendiqué puis imposé le quinquennat ? J. Chirac ? Non, son adversaire de l’époque, L. Jospin. Le référendum du 24 septembre 2000 fut certes validé avec 73 % de oui, mais il enregistra également un record d’abstentions, 70 %.
Le piège étant définitivement abouti lorsque le calendrier institutionnel fut remis dans le « bon sens », le 3 avril 2001, c’est-à-dire, la présidentielle avant la législative. Cette arme donnée à son adversaire fut fatale à L. Jospin en 2002. A-t-on entendu beaucoup de leaders du Parti socialiste s’émouvoir du piège dans lequel il était en train de se fourvoyer, en toute inconscience ? J. Delors peut-être, mais sinon, étrange silence... Le premier secrétaire de l’époque, F. Hollande, approuva résolument cette réforme qui visait à éviter une nouvelle cohabitation. Il est donc pour le moins curieux de l’entendre affirmer dans Le JDD du 10 février 2008 : « Nous refusons vigoureusement l’idée d’une cohabitation d’un nouveau genre : à gauche les responsabilités locales, à droite celle du pays ». Pourtant, c’est bien la mécanique que le Parti socialiste a lui-même construite qui le condamne à vaincre dans le seul espace qui lui demeure, le local.
Ceux qui parient aujourd’hui sur l’impopularité de N. Sarkozy, pour spéculer sur une victoire à la présidentielle de 2012, se méprennent. Ils pensaient de même en 2002 de J. Chirac, il est vieux, impopulaire, jugé peu compétent et assez corrompu. Certes, mais ils oubliaient qu’il était aussi un redoutable adversaire lors des campagnes électorales, sentant très finement les attentes de l’opinion, prêt à lancer les promesses les plus improbables. Peu importe, les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent... Dans ce domaine, N. Sarkozy est le brillant héritier de J. Chirac. Il a donc de solides chances de l’emporter de nouveau en 2012, il lui suffira d’inventer les promesses adéquates, celles qui feront mouche auprès de l’opinion.
Dans une telle situation de verrouillage démocratique demeurent quatre solutions :
1) se désintéresser de la chose politique et laisser cela aux gens sérieux, ceux qui, génétiquement, sont programmés pour exercer le pouvoir, autrement dit, la droite ;
2) chercher à participer d’une manière ou d’une autre en obtenant les bonnes grâces du prince, ce que font à leur manière des E. Besson, des B. Kouchner, des J.-M. Bockel, etc. ;
3) abattre le système par une improbable révolution ;
4) contourner les blocages en vigueur par la conquête d’autres lieux de pouvoir.
Là est sans doute, n’en déplaise à F. Hollande, la principale perspective de son parti. Gagner des municipales, gagner des élections régionales, gagner des cantonales pour contrôler des départements. Autrement dit, acquérir les pouvoirs intermédiaires, gérer au quotidien et laisser le pouvoir national errer dans un monde de plus en plus déconnecté de la réalité. Cette perspective est peut-être moins glorieuse que la victoire à l’élection présidentielle, certes, mais il aurait fallu réfléchir avant aux conséquences envisageables de la réforme imparfaite de 2000.
Dans le système actuel, les contre-pouvoirs sont totalement insuffisants. Cette situation inhérente au système institutionnel français a été renforcée, par l’impréparation du passage au quinquennat. Son caractère partiel a déstabilisé des institutions dans lesquelles les pouvoirs présidentiels étaient déjà disproportionnés. Ceux qui sont peut-être en train de s’inventer ne sont plus des contre-pouvoirs horizontaux, à l’échelle nationale, mais des contre-pouvoirs stratifiés, verticaux, en dessous du pouvoir national. Il y a fort à parier que ne s’instaurent rapidement des relations tendues entre Etat à droite et contre-pouvoirs infra-nationaux, à gauche.
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