VGE, splendeur de l’excellence française
« Je me demande si l’on n’en a pas trop fait pour les obsèques de François Mitterrand. Je ne me souviens pas qu’on en ait fait autant pour Giscard. » (André Santini, prix de l’Humour politique 1998).
L’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing fête ses 90 ans ce mardi 2 février 2016. Cet âge canonique ne lui a rien ôté de sa superbe intellectuelle et on se demande comment un homme aussi intelligent a pu gagner l’Élysée alors que la prime est désormais à celui qui crie le plus fort les slogans les plus simplistes.
Valéry Giscard d’Estaing n’est pas seulement doté d’une puissante intelligence mais il a aussi cette prétention de vouloir la partager et transmettre ses analyses. Le côté négatif de cet aspect de sa personnalité, c’est qu’il y a une condescendance très naturelle chez lui, presque à son corps défendant car sa sincérité n’est pas mise en doute, surtout depuis son retrait de la vie politique en 2004 et son élection à l’Académie française, mais il ne peut éviter de faire ressentir sa grande supériorité intellectuelle sur celle de ses interlocuteurs.
VGE, un monstre sacré du paysage politique français
J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer abondamment son septennat en 2014 (lire ici et là), j’ai évoqué ses dernières propositions sur l’Europe, car rappelons qu’il est, avec Jacques Delors, l’un des Pères de l’Europe français encore en vie, certes pas fondateur mais presque puisqu’il fut, avec le Chancelier allemand Helmut Schmidt, à l’origine de la monnaie unique européenne (l’euro) et surtout, de l’élection au suffrage universel direct des députés européens.
J’ai aussi rappelé l’absurdité de la focalisation d’une certaine partie du web français sur la loi du 3 janvier 1973 qui n’a absolument pas renforcé la dette publique. Déjà auparavant, la France faisait appel à des prêts à des taux d’intérêts non nuls et les vrais responsables de cet endettement massif sont évidemment tous les gouvernements qui ont proposé sciemment des budgets en déficit hors des périodes de crises exceptionnelles. C’est assez étonnant d’ailleurs de rendre responsable son banquier du fait de dépenser plus qu’on ne gagne. Loi de 1973 qui d’ailleurs a été abrogée en 1993 par Édouard Balladur avec sa réforme de la Banque de France.
Le besoin de boucs émissaires de la situation financière de la France rendrait-il donc responsables Valéry Giscard d’Estaing et Georges Pompidou encore pendant un demi-siècle voire un siècle ? Peut-être qu’en 2073, on se dirait plus sagement que les gouvernements plus récents auraient une part de responsabilité de l’endettement de la France, qui sait ?
Je voulais plutôt m’appesantir sur un entretien très intéressant que le Président Giscard d’Estaing a accordé en décembre 2015 à Frédéric Mitterrand qui a retrouvé là son rôle d’homme de télévision. Ancien Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand a cette petite particularité d’être aussi le neveu du seul réel rival politique de Valéry Giscard d’Estaing, et du rival qui l’a battu le 10 mai 1981 dans un sentiment de profonde injustice.
L’amère expérience de la défaite
Cette amère expérience de la défaite pour celui qui n’avait eu jusqu’alors que des succès a évidemment été très difficile à avaler à l’âge de 54 ans. Comment devenir retraité si jeune ? Il a donc eu pendant une vingtaine d’années des velléité de revenir sur le devant de la scène, tant comme Premier Ministre potentiel en mars 1986 que Président de la République en mai 1988. Finalement, malgré une accumulation extraordinaire de mandats postprésidentiels (conseiller général, député, conseiller régional, président de conseil régional, conseiller municipal, député européen, président d’un groupe politique important au Parlement Européen, président d’un grand parti de France), sa dernière utilité politique a été de présider la Convention européenne pour aboutir au Traité constitutionnel européen (TCE), une bien mauvaise appellation puisqu’il était un traité comme n’importe autres traités européens précédents.
On aura beau rappeler la victoire du non au référendum du 29 mai 2005, on ne m’ôtera pas l’idée d’un certain masochisme du peuple français à rejeter un traité qui avait été négocié pour garantir à toute l’Europe les valeurs de la France et surtout le modèle social français. Plus jamais, dans le futur, un texte qui avantagerait moralement et politiquement autant la France ne pourrait être signé en Europe…
Confidences politiques
Mais tout cela, je l’ai déjà évoqué dans le passé et je reviens donc sur cette interview intimiste qui a lieu chez lui, chacun assis face à face autour d’une table qu’on pourrait croire de billard par la couleur verte de la nappe. Valéry Giscard d’Estaing, homme comblé et un peu ennuyé, n’hésitait donc pas à lâcher quelques petites confidences sur sa longue carrière.
La conversation entre VGE et Frédéric Mitterrand n’est d’ailleurs pas très structurée, tout se mêle et l’idée est d’encourager les anecdotes. Je vais donc en citer six qui m’ont apparu intéressantes. Le chuintement de l’ancien Président de la République était cependant assez difficile à suivre, assez peu audible, en raison de la permanence d’une certaine préciosité qui voudrait donner à ses phrases certains effets comme celui de la fausse modestie. Mais cet orgueil semble compenser par une certaine bonification par le grand âge et par une réelle humilité. Oui, orgueil et humilité peuvent cohabiter, orgueil de connaître sa propre valeur, humilité face à l’Histoire que tout efface et qui impressionne même les plus grands hommes d’État.
1. La peur au ventre. C’est ce que craignait Valéry Giscard d’Estaing en s’engageant dans l’armée. Il a fait la campagne d’Allemagne à la fin de la guerre (il était trop jeune pour s’engager auparavant). Il avait surtout peur d’avoir peur face à l’ennemi. Et lors d’un incident de guerre, il s’est exposé face à l’ennemi et s’est rendu compte qu’il n’avait finalement pas eu peur. Et Président de la République, il a complété en disant qu’il n’avait pas non plus eu peur.
2. Le courage. Ne pas avoir peur ne signifie pas forcément être courageux. Le courage est plus politique que physique, celui de faire avancer des idées, des projets, mais en évoquant la loi Veil, il a estimé qu’il n’avait pas eu besoin de beaucoup de courage politique car il avait toujours voulu aller au bout de ce qu’il comptait comme essentiel pour la France. Il a d’ailleurs rappelé, non sans une certaine malice, que les sondages donnaient alors à l’époque entre 50% et 60% de satisfaction sur la manière d’être gouverné, très au-dessus des cotes d’aujourd’hui !
3. Pierre Mendès France. Valéry Giscard d’Estaing a reconnu la grande valeur morale de celui qui fut Président du Conseil pendant une année mais s’est dit convaincu que s’il avait eu la possibilité de gouverner bien plus longtemps, quatre, cinq ans, il aurait eu forcément plus d’impopularité, des déceptions dans l’opinion publique, et il n’aurait pas eu peut-être cette si belle popularité posthume.
Croustillante, cette rencontre que Valéry Giscard d’Estaing a racontée avec Pierre Mendès France le jour même où le Général De Gaulle a quitté la France pour Baden Baden sans rien dire à personne, en pleine crise de mai 1968. Pierre Mendès France était en train de composer un gouvernement où il avait inclus les communistes qui, eux, ne voulaient aucun gauchiste afin de contrôler tout le mouvement social. Même l’huissier croyait à la réalité du pouvoir de PMF alors que Valéry Giscard d’Estaing lui rappelait qu’il y avait encore un gouvernement et un Parlement !
4. De Gaulle. Petite fierté d’avoir été le Ministre du Budget (très jeune) du Général De Gaulle qui, selon lui, se moquait assez de la situation financière de la France. De Gaulle écoutait cependant studieusement Valéry Giscard d’Estaing car il avait le sentiment qu’il lui fallait connaître ce sujet, mais après l’exposé de VGE, De Gaulle, comme à chaque ministre qu’il voyait en particulier, lui posait quelques questions politiques, histoire de savoir ce que son interlocuteur imaginait de sa propre pensée !
5. Raymond Barre. Valéry Giscard d’Estaing lui décerna de nouveau le label de meilleur Premier Ministre de la France (je suis aussi de son avis) et rappela ses grandes qualités intellectuelles, son excellence dans l’économie …tout en mettant un bémol : il n’était pas un bon politique. Pour preuve, le 4 novembre 1980, au cours d’une intervention mineure au Conseil Économique et Social, Raymond Barre a annoncé que les Français allaient voir leur pouvoir d’achat diminuer pour les prochains mois. À cinq mois de l’élection présidentielle, la réaction présidentielle fut une grande colère ! À partir de cette boulette, entre les deux hommes, les tensions se firent plus régulièrement, d’autant plus que c’étaient deux fortes personnalités.
6. Michel Houellebecq. Il a lu son dernier livre "Soumission", et l’a trouvé excellent. D’abord parce qu’il est bien écrit, et ensuite, parce que c’est un livre d’anticipation politique très intéressant qui aide à faire réfléchir sur la société actuelle.
VGE, un retraité alerte
Partir du jeu politique national à 54 ans, c’est particulièrement jeune et frustrant, et malgré sa capacité à cumuler fonctions et honneurs, cet homme visiblement s’ennuie. Il l’avait d’ailleurs expliqué à propos des séances de l’Académie française qui l’ont beaucoup déçu par leur ennui. À 90 ans, il est toujours en état de raconter ou de conseiller le monde. Les responsables politiques français et européens feraient bien de s’inspirer un peu de sa réflexion et pourquoi pas ? de l’écouter…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (2 février 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Propositions de VGE pour l’Europe.
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1).
Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing (2).
Loi n°73-7 du 3 janvier 1973.
De Gaulle.
François Mitterrand.
Raymond Barre.
Helmut Schmidt.
Jacques Chirac.
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