Villepin, entre stratégie de rebond et sondages
Dominique de Villepin était vendredi 29 janvier l’invité du Grand Journal de Canal Plus. L’occasion pour lui de peaufiner sa stratégie de rebond après l’annonce de l’appel du parquet de Paris, et ce à l’heure où les premiers sondages évoquent déjà l’éventualité de sa participation aux élections présidentielles de 2012.
L’ancien Premier ministre avait tout d’abord réagi avec une colère froide à l’annonce de l’appel du parquet, claironnée sur Europe 1 par le procureur de la République Jean-Claude Marin. Vendredi, c’est avec une volonté affichée de tourner la page qu’il s’est soumis aux questions de Michel Denisot et de ses chroniqueurs, appuyés pour l’occasion de Jean-Michel Aphatie, Thomas Legrand et Alain Duhamel.
Mais les choses ne sont pas si simples, et les téléspectateurs ont pu se rendre compte que malgré la conviction, le verbe et le talent de Dominique de Villepin, la page en question restait bien difficile à mouvoir : il demeurait fort difficile pour lui de quitter des yeux le spectre magnétique de son rival pour les diriger vers un avenir dont seuls les français décideraient, dans un isoloir où nul procureur n’a d’influence.
Sans doute conscient au fond de lui de cette réalité, Dominique de Villepin a toutefois tenu à façonner un nouveau personnage, celui d’un homme à la fois détaché des brouilles personnelles et attentif seulement aux réalités républicaines, dont ses partisans ne peuvent que regretter qu’il ne se soit pas imposé plus tôt. Et pourtant, même dans ces élans perce toujours une pointe d’amertume qui aplatit systématiquement un propos qui s’envolait enfin à la hauteur des ambitions de l’homme :
« Je tourne la page de cette affaire judiciaire et je veux aller à la rencontre des français parce que j’estime qu’on ne peut pas à la fois régler des comptes politiques, qu’on ne peut pas à la fois multiplier les coups bas, comme le fait aujourd’hui le pouvoir à mon endroit, et en même temps servir les français, donc pour moi la priorité est claire : c’est m’abstraire de tout cela. Et j’entends rassembler tous ceux qui veulent proposer une alternative à une politique dont je crains qu’elle n’apporte pas les résultats que j’espère. »
Ainsi en sera-t-il aussi lorsque Dominique de Villepin répondra à la prophétie de Jean-Michel Aphatie, prédisant de fait une nouvelle guerre des droites. Incapable de se détacher de son adversaire politique, c’est encore en faisant référence à Nicolas Sarkozy qu’il tentera de marquer sa capacité à dépasser la situation actuelle :
« Je refuse toute guerre fratricide. J’ai vécu, j’étais aux premières loges de la bataille entre Edouard Balladur et Jacques Chirac, et je ne veux pas revivre cela. Et je ne prêterai pas la main à cette division-là. Je sais, pour avoir vu hier sur les écrans de télévision quelques séides lâcher leurs munitions avec cette volonté de faire mal, avec cette volonté d’abattre – je ne ferai jamais cette politique-là. […] Entre l’indignation que j’exprime et l’attitude politique qui sera la mienne, croyez-moi, je ne ferai rien qui puisse nuire à mon pays, et qui puisse nuire à l’idée que je me fais de la politique. Ce n’est pas parce qu’on vous tire dessus, ce n’est pas parce qu’on vous hait que vous avez l’obligation de faire pareil. […] Je ne rendrai pas coup pour coup. Ce n’est pas parce que Nicolas Sarkozy veut me traîner dans la boue que je répondrai. Je crois que ce n’est pas cela la politique, et surtout je crois que c’est une image terrible que nous donnons aux français, et les français méritent mieux que ça, dans un moment qui est un temps d’épreuve pour eux, où nous devons, où nous avons le devoir d’apporter des réponses. »
Obsession, magnétisme, fascination, haine : autant de mots toujours incomplets sémantiquement pour définir le lien destructeur qui unit ces deux hommes, qui brouille leur raison, qui éclabousse leur avenir à court ou moyen terme. Comment Dominique de Villepin, grand orateur et homme politique rationnel s’il en est, peut-il dans une tirade consacrée au refus d’une "guerre fratricide" continuer à accuser Nicolas Sarkozy ? Comment ce dernier, dont le sens politique confine souvent au génie, peut-il mettre son adversaire de toujours sur une rampe de lancement pour les présidentielles 2012, alors qu’il lui suffisait pour l’en priver d’une part de ne pas rester partie civile dans ce procès, et ensuite de bloquer l’appel du parquet - puisque tout le monde s’accorde à dire qu’il avait (ou eut) son mot à dire sur la question ?
La réponse est simple : aucun des deux ne parvient à garder la tête froide lorsqu’il s’agit de l’autre. Chacun son tour, ces deux personnalités symétriques et pourtant concurrentes pèchent soit par excès d’orgueil en sous-estimant l’adversaire, qui n’a pourtant depuis le temps plus de secret pour elle depuis bientôt deux décennies. Et tour à tour, Villepin et Sarkozy se déçoivent mutuellement, alternant chacun les périodes de volonté d’apaisement et de volonté d’en découdre, mais toujours à contre-temps l’un de l’autre.
C’est ainsi que ma mâchoire inférieure subit une attraction terrestre prononcée lorsque, après avoir vertement tancé le Président, en avoir précisé l’inhumanité et l’acharnement, Dominique de Villepin s’est ému avec sincérité de ce qu’il n’avait pas reçu, à l’énoncé du rendu du tribunal, d’appel de... Nicolas Sarkozy :
« J’ai reçu hier le coup de téléphone de Jacques Chirac. J’ai reçu hier le coup de téléphone d’Alain Juppé et de beaucoup d’amis de ma formation politique, de Ségolène Royal, et d’autres membres de la gauche. Je dois vous dire que je n’aurais pas trouvé tout à fait anormal de recevoir, après cinq ans d’épreuve, cinq ans de calomnie, cinq ans de suspicion, je n’aurais pas trouvé tout à fait anormal de recevoir de la part de Nicolas Sarkozy que j’ai bien connu et qui a été mon ministre, dont l’épouse est une amie de ma femme, que j’ai moi-même connue longtemps avant Nicolas Sarkozy, je n’aurais pas trouvé tout à fait anormal de recevoir un coup de fil en disant « voilà, la justice s’est prononcée, j’ai dit « que la justice fasse son travail », elle s’est prononcée sans aucune ambigüité, et bien tournons la page. » Je n’aurais pas trouvé cela anormal, et cela aurait grandi la politique. Il se trouve qu’au même moment je savais que c’était exactement la décision inverse qui se préparait. »
Evidemment et comme en écho, cette déclaration appela la citation par Jean-Michel Aphatie d’une phrase lâchée récemment par Dominique de Villepin à Raphaëlle Bacqué du Monde : "Le vrai problème de Sarkozy, au fond, c’est qu’il m’aime trop...", ramenant le duel judiciaire à sa portée affective - qui au vu des quelques lignes figurant ci-dessus pourrait bien en être le noyau. Comme pour nous donner raison, Dominique de Villepin appelé à réagir à ses propres mots les jugea "incongrus". Dont acte.
Mais quel que soit le fin mot de l’histoire, c’est bien en chiffres électoraux qu’elle est appelée à se traduire : La Provence publiait ainsi samedi une estimation intéressante des français prêts à voter pour Dominique de Villepin, qui plus est en les regroupant par tendance politique :
"48% des Français souhaiteraient que l’ancien Premier ministre soit candidat en 2012 (51% contre). 54% des électeurs de Ségolène Royal (PS) en 2007 et 46% de ceux de François Bayrou (MoDem) sont également favorables à sa candidature. Aux extrêmes, Dominique de Villepin séduit 46% des électeurs d’Olivier Besancenot (NPA) et 53% des partisans de Jean-Marie Le Pen. Le résultat le plus étonnant est au sein de l’UMP. 43% des personnes qui avaient voté en faveur de l’actuel président de la République sont favorables à la candidature de Dominique de Villepin. Un chiffre sans appel qui va bien au-delà du seul cercle des déçus du sarkozysme, même si 36% des UMP se déclarent totalement opposés à cette candidature."
L’intérêt provoqué par une telle candidature est donc bien réel, et - point important - il contamine toutes les composantes du paysage politique français. Par son entêtement à régler publiquement et aux yeux des médias une éventuelle affaire destinée à lui barrer la route des présidentielles 2007, et ce alors même qu’il les avait remportées, Nicolas Sarkozy est en train d’ouvrir un boulevard à Dominique de Villepin vers celles de 2012. Reste à savoir si cet acte manqué n’est pas dicté par le besoin affectif d’une fois de plus se confronter à lui : Bruno Le Maire ne rapporte-t-il pas dans Des Hommes d’Etat cette phrase de Nicolas Sarkozy, avoué à Villepin un jour de novembre 2006 : "D’ailleurs, c’est ce que j’aurais voulu : un mano a mano. Seul avec vous" ?
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