Villepin se (re)prend pour un aigle
Une lettre aux juges, un ex-Premier ministre en rage, un président victime et une mystérieuse lettre C : l’affaire Clearstream est de retour. L’occasion pour le Galouzeau de rebomber le torse, en plein état de grâce déclinant, entre défaites au rugby, au football et au basket, le moment idéal de rebondir enfin pour le protégé du mystérieux Jacques C.
La seconde affaire Clearstream est en train de devenir une affaire Villepin. L’ancien Premier ministre, qu’on voyait naguère jaillir des flots torse bombé (aux côtés d’un petit homme robuste pas encore candidat déclaré) qui symbolisait avant encore l’élégance française, le parler fin et le port altier, l’énarque pas très avisé qui précipita Chirac dans une dissolution abracadabrantesque, l’ex-gendre idéal au sourire carnassier qui traitait allègrement l’ensemble des journalistes de « connards » quand ceux-ci ne lui servaient pas la soupe, se dit aujourd’hui victime d’une machination politique ourdie par son ex-ministre de l’Intérieur et de l’Economie, actuel (robuste) président de la République. Et tout cela met notre Galouzeau en « rage » comme il était venu l’expliquer, que dis-je, le pleurer, à PPDA, il y a quelque 20 heures de cela.
Les perquisitions à son domicile, les matelas de ses enfants retournés, les ordinateurs confisqués, Villepin a mal vécu cela. On le vivrait difficilement bien, il faut le dire, même si c’est le lot quotidien, ou hebdomadaire, d’un certain Denis Robert, journaliste de son état, depuis qu’il a mis le doigt, la tête et l’ensemble de son énergie dans la lessiveuse Clearstream. Et De Villepin serait apparu bien plus sympathique, bien plus audible, s’il n’avait ne serait-ce que mentionné notre ami Denis Robert en évoquant son cas. S’il avait dit, « maintenant je comprends ce que doit endurer le journaliste Denis Robert depuis qu’il a eu le courage, l’audace et le mérite de révéler ce scandale international et fondamental qu’est Clearstream, chambre de compensation basée au Luxembourg et dont certaines pratiques sont manifestement délictueuses ». Là, oui, le Galouzeau aurait d’un coup d’un seul basculé dans le côté clair de ceux, trop rares, qui recentrent l’affaire Clearstream en son noyau dur, c’est-à-dire le flou artistique autour des transactions financières planétaires, flou qui profite sans doute au crime organisé, aux narco-Etats, aux chefs d’entreprises véreux, aux terroristes de tous poils.
Mais Dominique De Villepin, qui, à l’époque ministre des Affaires étrangères, comme Denis Robert le rappelle sur son blog, avait « insisté sur le fait qu’il fallait contrôler les institutions type Clearstream et Euroclear », a depuis beaucoup changé de statut. Plus Premier ministre, condamné à ne pas se présenter contre Sarkozy, et à contempler donc son ennemi intime triompher, impuissant, l’homme est désormais rattrapé par la fameuse « seconde affaire Clearstream » sombre mic-mac politico-barbouzard, visant à discréditer l’homme fort de Neuilly, entre autres, à l’aide de listings grossièrement faussés. Pour cette affaire, Villepin est aujourd’hui mis en examen, pour « complicité de dénonciation calomnieuse, recel de vol et d’abus de confiance et complicité d’usage de faux ». La musique n’est pas la même. 200 000 euros de caution ajoutés en assaisonnement, et vous obtenez un napoléonien ex-Premier ministre transformé en grognard.
« Dominique de Villepin était, dans tout ce qui était relatif à l’affaire Clearstream, (...) celui qui informait, conseillait le président de la République et transmettait les instructions de celui-ci », déclare l’ancien vice-président d’EADS, Jean Louis Gergorin. « DDV avait une double conviction : d’une part de la réalité de l’implication d’un certain nombre de personnalités politiques de gauche comme de droite, y compris Nicolas Sarkozy, dans le réseau de financement occulte utilisant Clearstream, d’autre part de la capacité des mêmes personnalités politiques d’être informées immédiatement, par leurs amis au sein des services de renseignement, de toute investigation les concernant et donc de réagir immédiatement en criant à la manipulation politique ». Dominique de Villepin (DDV, donc) présente lui aujourd’hui une toute autre version : à la question : "Est-ce-qu’à un moment ou à un autre vous avez pensé que Nicolas Sarkozy était impliqué dans une dissimulation d’argent et dans la possession de comptes occultes ?", posée par un journaliste de RMC, il répond aujourd’hui « Jamais » d’un ton ferme et catégorique. Qui croire ? Ceux qui prétendent que Villepin voulait « plomber » Sarkozy et avait demandé au général Rondot de s’occuper de l’affaire ou Villepin qui prétend qu’il a agi en pensant à la « sécurité du pays », thèse qu’il défend depuis quelques temps dans les médias ? Thèse étrange, l’ancien Premier ministre évoquant certaines « menaces » sans préciser lesquelles.
Pour embrouiller le tout, Villepin est passé depuis hier, certes par le bureau des juges, mais aussi à une autre tactique de défense : l’attaque. Et quelle est sa cible ? Nicolas Sarkozy. Accusé de « privatiser » l’affaire Clearstream, voire la justice toute entière, le président de la République en prend pour son haut grade depuis quelques semaines par son ancien chef de gouvernement. Trop people, pas assez efficace, pas bon sur l’étranger, un peu faible sur le chômage, Sarkozy est devenu l’homme à abattre pour Villepin, son soleil noir qui l’empêche d’entretenir son bronzage. Il lui interdit même le statut de « victime », son droit à se présenter « partie civile », lui qui, selon la constitution, est le « premier magistrat » du pays. Bref, speedy Sarko a tous les torts, et Villepin est venu le rappeler aux juges. Sans modestie : "L’audition d’aujourd’hui a permis de faire un grand pas vers la manifestation de la vérité", a-t-il déclaré à sa sortie du palais de justice, avant d’ajouter : "Je fais confiance à la justice pour dire le droit, pour dire la vérité et la justice avec sérénité". Si ça, ce n’est pas mettre la pression... A l’Elysée, on réagit en faisant savoir que « le président n’a pas l’intention de renoncer à être une victime ». Il les aime tant, les « victimes »...
Dernier petit rebondissement de cette affaire à tiroirs, une note, dénichée parmi les documents saisis chez Villepin. Une note qui « demanderait un point sur l’avancée du dossier Clearstream », selon Le Figaro, une note datée de 2004 et signée d’une « mystérieuse lettre C ». On se croirait dans un roman de Gaston Leroux. Mais qui est donc ce C ? JC peut-être ? Mais avant ou après JC ? Ce retraité-là, vous croyez ?
A voir le ramdam républicain que n’a pas fini de provoquer celle qui n’est que la « seconde » affaire Clearstream, la première doit bien être de ces scandales qui vous changent la face d’un monde. Au moins. Denis Robert avait raison.
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