Web politique 2.0 : une nouvelle mutation
Dans un récent article sur AgoraVox, Natacha Quester-Séméon s’inquiétait de l’émergence de la vidéo sur Internet comme méthode de lutte politique. Il s’agit pourtant d’une mutation intéressante, irréversible et potentiellement enrichissante. Analyse.
Si le Web politique existait déjà avant 2005,
c’est avec la campagne référendaire qu’il a commencé à jouer un rôle de
premier plan. Sur ce terrain, le camp du oui s’est trouvé débordé par
des réseaux motivés et efficaces qui ont porté de rudes coups au texte
proposé. En tête d’affiche, deux anonymes, Etienne Chouard et Thibaud de la Hosseraye,
sont devenus de véritables stars nationales, le bouche à oreille
contribuant à faire crouler leurs sites personnels sous les visiteurs
(25 000 par jour pour le premier, au plus fort de la campagne). Ceux-là
et d’autres auront une influence non négligeable sur le résultat final.
Mais à cette époque, les immenses possibilités du Web ne sont pas
encore exploitées. On s’en tient au texte, à l’hypertexte, et de façon
marginale à l’image fixe. C’est l’ère du Web politique 1.0.
Quoi qu’il en soit, l’épisode du référendum a sonné comme un coup
de semonce, un avertissement pour une classe politico-médiatique qui,
malgré des moyens énormes, a perdu le contrôle de la propagande. Les
grandes écuries en sont désormais conscientes : sans la maîtrise de cet
outil, c’est la défaite assurée. La précampagne présidentielle se
profilant à l’horizon, il va falloir s’organiser rapidement.
Cette fois, c’est Ségolène Royal qui tire son épingle du jeu. Alors que
ses adversaires ne sont pas des débutants en la matière, c’est elle qui
va le mieux exploiter l’interactivité que fait l’essence du Web. Son
idée : mettre en pratique la fameuse démocratie participative dont elle
est une fervente zélatrice. Le site Désir d’avenir,
conçu comme un monde idéal où chacun peut contribuer au projet de la
candidate, donne l’image d’une Ségolène Royal à la pointe de la
modernité. Peu importent les polémiques sur la mise en pratique : la
madonne des sondages possède une longueur d’avance et en joue.
Mais dans le même temps, une nouvelle révolution se prépare : le Web politique 2.0. Désormais, l’écrit n’est pas la seule arme de
propagande. Il y a le son, qui permet les montages les plus cocasses
pour moquer la parole d’un Sarkozy.
Mais surtout, il y a la vidéo. Des sites où chacun peut publier ses
documents audiovisuels sont devenus de véritables hits sur le Web : Myspace, YouTube, DailyMotion... Dans un premier temps, il s’agit pour le musicien amateur de populariser ses oeuvres : c’est ainsi que Kamini, le rapeur des campagnes, va connaître un succès sans précédent en quelques jours.
Rapidement, les militants s’emparent de l’outil, qui va devenir une
véritable arme de destruction massive contre le gouvernement à
l’occasion de la crise du CPE. La bataille de la Sorbonne, en
particulier, est filmée par des étudiants qui publient un JT amateur tous les jours,
au plus fort de la crise, sans avoir peur de prendre parti. La
propagande gouvernementale est démontée dans les blogs ; le ministre de
Robien est tourné en dérision par une nouvelle génération qui maîtrise
les nouveaux outils mieux que lui.
Ségolène Royal va faire les frais de cette nouvelle mutation qu’elle a mal anticipée. La candidate devient cobaye malgré elle d’une nouvelle méthode de combat politique, le scoop vidéo diffusé anonymement sur le Web. Trois vidéos vont créer un tel buzz que les médias mainstream finissent par s’en emparer ; trois vidéos qui illustrent trois angles d’attaque spécifiques. Dans la première, il s’agit de divulguer les propos assassins d’une autorité morale à gauche, morte il y a peu : Pierre Bourdieu. La deuxième utilise le créneau de la dérision, montrant les outrances d’un certain culte de la personnalité. La troisième est la plus meutrière : l’angle d’attaque est celui de l’investigation ; il s’agit de divulguer des propos non relayés par les médias et qui peuvent nuire à leur auteur.
Récemment, Natacha Quester-Séméon s’inquiétait de cette nouvelle pratique. Quant à Hollande, il réclame une "sanction morale" contre les initiateurs d’une vidéo "pirate". J’avoue que je vois dans cette polémique un aspect jouissif : le petit monde politico-médiatique qui pousse des cris d’orfraie semble terrorisé
à l’idée de perdre le contrôle de la propagande. Mais après tout, y a-t-il tollé lorsque Le Canard enchaîné fait les poubelles du microcosme politique ? Et sans l’hebdomadaire du mercredi, existerait-il encore un journalisme d’investigation en France ?
Ces nouvelles techniques auront-elles un réel impact ? On va le savoir très prochainement, avec le vote des militants socialistes le 16
novembre. Mais même si l’essai n’est pas concluant, on aurait
tort de sous-estimer ce qui risque de devenir une arme politique de
premier plan dans un futur proche. Car si le fruit n’est pas mûr en
cette fin d’année 2006, il risque d’être à point au moment de la vraie
campagne présidentielle. Les différents candidats devront se préparer à
subir cet élément nouveau qui introduit du chaos dans le système -
voire à anticiper la prochaine mutation : tout va très vite dans ce
domaine. Car celui qui n’aura pas pris le tournant du Web politique
2.0, celui-là aura bien du mal à remporter la plus rude bataille
électorale depuis des années.
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