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Accueil du site > Actualités > Politique > Yann Piat, la Jeanne d’Arc du Var

Yann Piat, la Jeanne d’Arc du Var

« J’ai aimé Jean-Marie, j’ai détesté Le Pen. » (Yann Piat).



Ce fut une véritable tragédie pour une femme de 44 ans et ses enfants (elle est née il y a à peine soixante-dix ans, le 12 juin 1949 à Saigon). En effet, il y a vingt-cinq ans, le 25 février 1994 à Hyères, dans le Var, Yann Piat fut sauvagement assassinée, les poumons transpercés de deux balles, lors du retour de sa permanence d’élue vers son domicile. Ce fut l’un des très rares cas d’assassinat de personnalité politique depuis le début des années 1980 en France (hélas pas le seul, notamment en Nouvelle-Calédonie).

Yann Piat s’appelait à sa naissance Yannick Marie (Piat fut le patronyme de son second mari en 1977) et était orpheline de père (ou plutôt, son père était inconnu). Sa mère était dans l’armée française en Indochine (où la fille est née) puis a milité à l’OAS en Algérie où elle a été incarcérée. Comme sa mère était une amie de Jean-Marie Le Pen, Yann Piat fut sa filleule. Les relations entre les deux n’étaient donc pas seulement politiques, elles étaient presque filiales.

En quelques sortes, le Front national est devenu la seconde famille de Yann Piat. Après avoir été secrétaire fédérale du FN dans les Landes, elle retourna dans le Var où elle avait passé son enfance, et, placée à la tête de la liste du FN dans le Var, elle fut élue députée du Var le 16 mars 1986 à l’âge de 36 ans, grâce au scrutin proportionnel mis en place par François Mitterrand. Elle ne fut pas la seule élue du FN puisque 35 candidats FN furent élus, ce qui leur a permis de créer un groupe politique à l’Assemblée Nationale présidé par Jean-Marie Le Pen (à l’époque, il fallait au moins 30 députés, maintenant, 15 suffisent). Pour l’anecdote, le nom exact des listes FN et du groupe FN était "Front national Rassemblement national".

Le gouvernement de Jacques Chirac (de la première cohabitation) a rétabli le scrutin majoritaire, si bien que la plupart des députés FN sortants furent battus aux élections législatives de juin 1988. La plupart : en fait, aucun …sauf Yann Piat qui fut la seule réélue du FN le 12 juin 1988 avec 53,7% des voix au second tour face à un candidat socialiste. Étant la seule élue du FN, elle n’a pas pu former de groupe politique et s’est assise parmi les non-inscrits dans l’hémicycle.

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Quelques mois plus tard, elle a vivement réagi lorsqu’elle a entendu Jean-Marie Le Pen faire son jeu de mot vaseux sur Michel Durafour alors ministre ("Durafour-crématoire"), prononcé le 2 septembre 1988 au Cap d’Agde, si bien qu’elle et son compagnon, le médecin François Bachelot, ancien député FN de 1986 à 1988 et ancien directeur de campagne de Jean-Marie Le Pen pour l’élection présidentielle de 1988, furent exclus du FN en octobre 1988. François Bachelot, ancien membre du RPR, a rejoint CNI tandis que Yann Piat s’est rapprochée du PR (Parti républicain).

L’une des grandes qualités de Yann Piat, qui lui a sans doute permis d’être réélue, fut sa lutte sans complaisance contre la corruption. Elle fut même surnommée Yann d’Arc pour l’occasion. Elle enquêta au sein d’une commission parlementaire sur la pénétration de la mafia en France et elle a rapidement dénoncé des liens équivoques entre le milieu du grand banditisme et le paysage politique varois.

Il faut rappeler qu’à l’époque, il y avait, pas si loin, la mise en place d’une politique de lutte active contre la corruption en Italie (plus ou moins avec succès, avec l’opération Mains propres mais aussi avec des assassinats de juges dont Falcone). De plus, dans le Var, régnait politiquement un maître incontesté (on l’appelait le "parrain du Var"), Maurice Arreckx (1917-2001), maire de Toulon de mars 1959 à mars 1985, président du conseil général du Var de mars 1985 à mars 1994, député de mars 1978 à septembre 1986 et sénateur de septembre 1986 à septembre 1995.

Maurice Arrekx était le patron de l’UDF du Var, en tant que membre du Parti républicain, parti appartenant à l’UDF et présidé par François Léotard de 1982 à 1990 (secrétaire général puis président) et de 1995 à 1997 (et par Gérard Longuet de 1990 à 1995). François Léotard, député-maire de Fréjus, qui avait une activité politique nationale depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981 (et même une ambition présidentielle), avait renoncé à se mêler des affaires politiques du Var qui étaient laissées à Maurice Arreckx. À l’instar, par exemple, de Philippe Séguin, député-maire RPR d’Épinal, qui était actif au niveau national mais ne s’occupait pas des affaires politiques du département des Vosges (laissées à Christian Poncelet, également RPR, sénateur et président du conseil général des Vosges).

Quand j’écris "affaires", il s’agit bien des affaires politiques et de l’autorité politique, et en principe, en toute légalité. J’écris "en principe" car Maurice Arreckx fut justement par la suite arrêté et emprisonné en août 1994 puis de décembre 1987 à août 1998, condamné pour corruption à quatre ans de prison dont deux avec sursis par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en fin 1997.

Pourquoi Yann Piat s’est-elle rapprochée du PR alors qu’elle dénonçait des liens entre le milieu et la vie politique varoise dirigée par le PR ? Il faut imaginer aussi que les investitures de parti ont un sens (ou avaient un sens) pour les électeurs. Dans le Var, le parti dominant était le PR (entre 1988 et 1997, il y avait, sans compter Yann Piat, 5 députés PR sur les 7 que comptait le Var, le septième député était RPR). L’autre parti plus ou moins important dans le Var, dans l’opposition départementale, était le PS, laminé aux élections législatives de 1988 et de 1993.

En raison des consignes de Jacques Chirac et d’Alain Juppé (président et secrétaire général du RPR), le RPR était beaucoup plus ferme que le PR pour rejeter toute idée d’alliance avec le FN. C’était donc logique que, politiquement, Yann Piat, ex-FN, se tournât vers le PR pour trouver une nouvelle famille politique qui l’accueillerait.

Ce qui était moins logique, c’est qu’elle intégrait, au niveau départemental, une formation qu’elle accusait d’avoir des liens avec le milieu. Était-ce une ambition folle de vouloir assainir politiquement de l’intérieur un parti qu’elle pensait sali ? Ou était-ce simplement une téméraire imprudence ? C’est évidemment facile de se poser ces questions après son assassinat. Pensait-elle que le système varois provenait d’hommes et pas d’un parti ?

En tout cas, si elle voulait suivre une carrière "classique" d’élue, Yann Piat, députée de la 3e circonscription du Var (Hyères, Le Pradet, etc.), devait avoir une implantation locale. Elle a ainsi envisagé une candidature aux élections municipales à Hyères (environ 50 000 habitants) en 1995, et auparavant, elle voulait se présenter aux élections régionales de mars 1992 sur la liste UDF-RPR du Var (l’ensemble des listes de la région PACA était mené par Jean-Claude Gaudin, qui n’était pas encore maire de Marseille, mais président du conseil régional sortant).

Finalement, elle fut écartée de la liste UDF-RPR et elle renonça à monter une liste dissidente en échange de l’investiture de l’UDF et du RPR aux élections législatives de mars 1993. Ce fut ainsi que Yann Piat fut réélue députée du Var le 28 mars 1993, avec 42,4% des voix au second tour dans une triangulaire à laquelle participèrent un candidat divers droite (31,4%) et un candidat investi par le FN (26,2%). Il est à noter que Léopold Ritondale (1921-2008) était le maire PR d’Hyères depuis mars 1983 (mandat gagné face au maire sortant PS qui fut aussi l’opposant du second tour de Yann Piat en 1988) et qu’il a eu 74 ans aux élections municipales de 1995. Yann Piat aurait pu ainsi être sa successeure en le remplacement et mettant à la retraite (finalement, Léopold Ritondale est mort à 86 ans alors qu’il était encore maire, quelques jours avant les élections municipales de mars 2008).

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L’assassinat de Yann Piat a ému toute la classe politique, tant nationale que varoise, car c’est extrêmement rare qu’une personnalité politique soit assassinée (ce qui, d’ailleurs, peut être un des critères d’une démocratie avancée). Deux ans avant son assassinat, Yann Piat avait écrit une lettre où elle aurait mis en cause (sans aucune justification) trois personnalités politiques (Maurice Arreckx, Bernard Tapie et un ancien conseiller général) et deux membres du milieu (dont un "vrai parrain", Jean-Louis Fargette, assassiné en mars 1993 et proche de Maurice Arreckx au point que cela lui aurait coûté une carrière nationale).

Politique ou crapuleux ("ou" inclusif), cet assassinat a montré que Yann Piat gênait par sa présence politique et sa capacité à dénoncer les malversations dans la région de Toulon et d’Hyères. Il a même fait l’objet d’un film réalisé par Antoine de Caunes avec Karin Viard dans le rôle principal, diffusé le 16 avril 2012 sur Canal Plus.

Cet assassinat a fait aussi l’objet d’une enquête visiblement bâclée de deux journalistes qui ont publié en octobre 1997 chez Flammarion le témoignage d’un ancien militaire de la Direction du renseignement militaire qui a accusé presque nommément (avec des informations faciles à les identifier) François Léotard et Jean-Claude Gaudin ("Encornet" et "Trottinette"). Les deux élus nationaux du PR ont gagné leur procès contre les auteurs et l’éditeur pour diffamation et atteinte à leur honneur et ont obtenu le retrait des librairies du livre en question qui n’a pas été redistribué ensuite sans ce passage. Ces journalistes, lourdement condamnés par la justice, auraient été manipulés par ce militaire à la retraite.

Il a fallu attendre plus de vingt ans pour avoir le témoignage public de François Léotard, à l’époque de l’assassinat, Ministre d’État, Ministre de la Défense dans le gouvernement d’Édouard Balladur et l’un des plus fervents balladuriens. Dans l’émission "13h15 le dimanche" diffusé le 18 mars 2018 sur France 2, François Léotard a en effet déclaré que Jacques Chirac (concurrent d’Édouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995 mais qui, bien que vainqueur, avait gardé des rancœurs) l’avait convoqué avec Jean-Claude Gaudin au Fort de Brégançon pour leur dire qu’il n’était pas impliqué dans cette manipulation politique visant à les discréditer.

Totalement blanchi par la justice, François Léotard a affirmé ainsi : « Je pense que le milieu le plus élevé de la République était, à travers le Ministre de l’Intérieur de l’époque, tout à fait informé et peut-être à l’origine de cette démonstration de bêtise. (…) En tout cas, c’est une façon étrange de laisser faire. Étrange… ce qui est malheureusement conforme au personnage. » (entre 1995 et 1997, le Ministre de l’Intérieur était un fidèle chiraquien, Jean-Louis Debré, puis, sous la cohabitation avec Lionel Jospin, ce fut Jean-Pierre Chevènement). Au cours de la réunion au Fort de Brégançon : « C’était à la fois solennel et familier. Chirac nous avait convoqués pour expliquer que ce n’était pas lui. Je n’ai pas ouvert la bouche. C’était un mensonge. ».

Profondément secoué par cette fausse accusation et par un triple pontage coronarien, François Léotard, qui alors était président du PR et président de l’UDF, a définitivement abandonné la vie politique le 26 décembre 2001 après la mort de son frère Philippe Léotard (le 25 août 2001).

Le procès des assassins de Yann Piat a commencé le 4 mai 1998 devant les assises du Var et le verdict très lourd a été prononcé le 16 juin 1998 avec la condamnation des six auteurs et complices, dont le commanditaire (perpétuité, mort en 2010 d’une opération du cœur), le tireur (perpétuité, libéré après seize ans de détention, mort en 2013 d’une méningite foudroyante) et le conducteur de la moto (vingt ans de réclusion, libéré en 2007, mais de nouveau en prison quelques semaines plus tard à cause d’une agression à main armée et séquestration).

Au cours de ce procès, les vrais commanditaires de cet assassinat n’ont jamais été révélés. Le tireur a dit au juge qu’il se serait agi de voyous et d’hommes politiques mais qu’il ne voulait pas les dénoncer car ils étaient encore très puissants. Comme les deux premiers protagonistes de l’assassinat sont morts maintenant, ces noms risquent de ne jamais pouvoir être divulgués un jour. Comme dans l’affaire Robert Boulin


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 février 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Yann Piat.
Jean-Marie Le Pen.
Rassemblement national.
François Léotard.

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14 réactions à cet article    


  • kirios 23 février 2019 11:51

    l’assassinat de Yann Piat, son non élucidation  : un signe évident que la justice française est un attrape couillon !

    droite , gauche , autres , tout le monde s’est tût et a accepté le fait du prince ...

    les choses ont changé : maintenant Juppé fait partie de la « bande du conseil constitutionnel »....


    • Paul Leleu 23 février 2019 19:03

      @kirios

      Yann Piat... Bérégovoy, de Broglie, Boulin, Juge Renaud, François de Grossouvre... et combien d’autres ?

      Les USA font mieux... assassinat de Kennedy... la « plus grande démocratie du monde » n’a toujours pas élucidé l’affaire, et ça ne dérange personne !!!


    • Francis, agnotologue JL 23 février 2019 12:02

      ’’ Le procès des assassins de Yann Piat a commencé le 4 mai 1998 devant les assises du Var et le verdict très lourd a été prononcé le 16 juin 1998 avec la condamnation des six auteurs et complices, dont le commanditaire ’’

       

       Et

       

      ’’Au cours de ce procès, les vrais commanditaires de cet assassinat n’ont jamais été révélés. ’’

       

       ?


      • Drougeok Drougeok 23 février 2019 13:48

        @JL
        Les commanditaires de l’assassinat : « Trottinette » : Jean Claude Gaudin, et « l’Encornet » François Léotard, Livre : l’Affaire Yann Piat. Des assassins au coeur du pouvoir, de André Rougeot et Jean-Michel Merle.
        Une femme courageuse qui s’est opposée aux spéculations immobilières sur la presqu’île de Hyères. Elle l’a payé de sa vie.


      • Francis, agnotologue JL 23 février 2019 14:00

        @Drougeok
         
         merci.


      • Drougeok Drougeok 23 février 2019 17:10

        @JL
        Il n’y a pas, voir aucun homme politique aussi couillu que cette femme. Ils sont tous aplatis devant les sémites pas musulmans, et quand on sait que près de 75% des hommes des parlements, gouvernement et justice sont des sodomites, que voulez-vous obtenir comme politique pour les Français.
        J’avais une très grande admiration pour Yann Piat. Pied noir de surcroit, et du bon côté.


      • Paul Leleu 23 février 2019 19:05

        @Drougeok

        Gaudin et Léotard des sémites ??? ... vous perdez les pédales, si j’ose dire !


      • Drougeok Drougeok 23 février 2019 19:57

        @Paul Leleu

        J’ai pourtant écrit clairement : Gaudin et Léotard sont les commanditaires de l’assassinat. Quand aux hommes politiques etc , ils s’aplatissent devant les sémites. Pour dire que ce sont les juifs qui mènent la France. Понимаеш ?


      • Paul Leleu 23 février 2019 20:46

        @Drougeok

        et alors ? Poutine et ses copains oligarques Moshé Kantor, Lev Leviev, Roman Abramovich, Victor Vekselberg, ou encore les frères Rotenberg (qui ont financé le Pont de Crimée) ... ça veut dire que le juifs mènent la russie ?

        vous êtes juste pitoyable.

        vous croyez que nos politiciens ne sont pas assez grands pour être des ordures tous seuls ? vous êtes naïfs sur la nature humaine à ce point là ??

        par contre, faudra venir expliquer à mon garagiste juif, dans ma petite ville de province, qu’il « mène la France »...


      • Distreizant Sutaredom 24 février 2019 07:19

        @Paul Leleu

        Je n’ai pas besoin de ton garagiste, je suis juif moi-même. Mais si tu en es réduit à parler comme un gamin, alors reste dans ton coin, essuye toi ou fais toi essuyer ta morve.


      • jef88 jef88 23 février 2019 12:11

        Il est évident qu’il y a deux justices en France !

        Celle qui concerne le bas peuple : rapide, sévère, sans cachoteries .....

        Celle qui concerne la caste des politicards : secrète, lente bienveillante ....



        • JPCiron JPCiron 23 février 2019 16:46

          Boulin, Piat, ... Voilà qui n’est guère rassurant !

          Si le ’fromage’ est bien verrouillé, que faire ?

          Se taire, ou être suicidé ?


          • Paul Leleu 23 février 2019 19:08

            @JPCiron

            parfaitement résumé... vous savrez même le Président des USA (Kennedy) ou le Secrétaire Général de l’ONU (Hammarskjöld) sont assassinés sans que ça soit jamais élucidé ! ... et ça dérange personne...

            ou alors Christophe de Margerie (Total) et Enrico Mattei (ENI) dans le pétrole...

            et la liste est interminable ... mieux vaut se taire... et parfois c’est même pas suffisant (hélas !)

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