Antisémitisme et Théologie chrétienne
Quand on évoque l’antisémitisme dans certains milieux chrétiens, il est courant d’entendre que c’est un problème du passé : désormais, les chrétiens - et les catholiques en particulier - ne persécutent plus les juifs, Vatican II a supprimé l’épithète infamante de « peuple déicide » attribuée aux juifs et qui a été la toile de fond de tant de persécutions. Pourtant le problème de fond lié à la perception très différente de la personne de Jésus par les Juifs et les Chrétiens reste. Seul un Christianisme qui comprendra pleinement la dimension juive de Jésus et un Judaïsme réalisant clairement sa dimension messianique permettront d'aller plus loin dans la voie de la réconciliation.
Un problème du passé ?
Pour beaucoup de chrétiens, la bonne entente prévaut aujourd’hui entre Juifs et Chrétiens, nous vivons dans une époque de droits de l’homme, toutes les religions sont reconnues et respectées, l’antisémitisme existe peut-être encore dans certains groupes musulmans ou fascisants mais pas chez les bons chrétiens.
Pourtant, l’actualité semble régulièrement réveiller d’anciennes blessures et à diverses occasions, une certaine incompréhension semble ressurgir entre juifs et chrétiens.
Ainsi, la proposition de canonisation du pape Pie XII a suscité de vives réactions de la part de la communauté juive pour son rôle au cours de la deuxième guerre mondiale. Ceci fait suite aux réactions face au retour dans le giron de l’Eglise d’un évêque révisionniste, Mgr Williamson. Auparavant un film, « La Passion » de Mel Gibson a été très bien accueilli par de nombreux chrétiens et a même suscité des expériences de conversion tout en étant perçu par certains juifs comme une œuvre réveillant les divisions entre juifs et chrétiens en mettant l’accent sur la responsabilité des juifs dans la passion et la crucifixion du Christ. Bien sûr, on ne peut demander aux chrétiens de renier leur foi et quand des juifs font allusion à l’antisémitisme supposé de certains passages du Nouveau Testament, ils touchent un terrain très sensible et heurtent de nombreux chrétiens pour lesquels les écrits du Nouveau Testament sont inspirés par Dieu.
Dans les années précédentes, l'installation du Carmel à Auschwitz, et spécialement d’une grande croix dominant le camp de la mort, a été une source de tensions importantes jusqu’à ce que Jean-Paul II demande de retirer la croix pour calmer la situation. « Après tout, disaient les catholiques polonais, les sœurs du Carmel prient pour les morts et la croix est un symbole essentiel du christianisme. » Mais les milieux juifs percevaient l’installation de cette croix comme une désacralisation d’un lieu où un million de juifs étaient morts.
Il faut aussi noter dans les années 90, la tentative de canonisation par des milieux catholiques espagnols d'Isabelle Ire la Catholique, reine d'Espagne qui avait décidé d'expulser les juifs d'Espagne ou de les forcer à se convertir avec l'aide d'inquisiteurs sous l'influence de Torquemada. Cette tentative montrait un manque de sensibilité flagrant de certains milieux catholiques à l'égard des juifs.
Un point important pour avancer sur ce sujet : reconnaître que l’antisémitisme chrétien a été une source majeure de l’antisémitisme en Occident. Entre autres l’historien juif Jules Isaac, co-auteur des célèbres manuels scolaires « Mallet et Isaac », a montré dans son Histoire de l’antisémitisme combien cet antisémitisme était présent chez les pères de l’Eglise et le clergé tout au long du Moyen Age.
Aux sources de la division entre les communautés juives et chrétiennes
Pour mieux comprendre les causes de l’antisémitisme chrétien, il nous faut retourner aux origines, à la mission de Jésus et aux débuts du christianisme.
Le message de Jésus n’était pas en rupture totale avec l’enseignement de l’Ancien Testament. Jésus ne paraissait pas être un extra-terrestre pour ses contemporains mais se situait bien dans la lignée des grands prophètes quand il dénonçait l’hypocrisie des pharisiens et des responsables du Temple, et qu’il annonçait la venue du Royaume de Dieu.
En fait l’annonce de la venue du Royaume des Cieux par Jésus, loin d’abolir la Loi, requérait une plus grande exigence, une intériorisation de cette Loi. Ainsi, Jésus nous dit qu’il ne faut pas se contenter de ne pas commettre l’adultère, mais ne pas commettre « l’adultère dans son cœur », qu’il ne faut pas simplement ne pas tuer, mais ne pas se mettre en colère et maudire son frère, qu’il ne faut pas simplement jurer en vain mais ne pas jurer du tout « Que votre oui soit un oui, votre non un non, tout le reste vient du malin ».
Toutefois, après la crucifixion, le Christianisme et le Judaïsme vont suivre des chemins toujours plus divergents.
En effet, si l’annonce du Royaume par Jésus était difficile à accepter, un messie crucifié était simplement, selon Paul, « un scandale pour les juifs » (1 Co 1.23). Pour eux, le Messie était celui qui devait libérer Israël, monter sur le trône de David et mettre fin à la domination du mal. Un messie crucifié qui laissait Israël sous la domination romaine avant que Jérusalem et le Temple ne soient rasés en 70 par les légions de Titus semblait contraire à une certaine attente du « Jour du Seigneur ».
De plus, avec la mission de Paul, « l’apôtre des païens », des tensions vont rapidement s’élever entre les juifs convertis au christianisme respectant les traditions juives comme la circoncision, le refus de manger des mets impurs (animaux consacrés aux idoles, étranglés ou considérés comme impurs par la Bible) et les païens ou gentils convertis qui, suivant l’enseignement de Paul, ne se considéraient pas comme soumis à ces obligations. Les Actes des Apôtres et les Épîtres de Paul retracent ces tensions ou conflits qui opposaient d’une part Paul, et d’autre part, Pierre et les chrétiens de l’Église de Jérusalem, Église dirigée par Jacques, « le frère du Seigneur ».
Au-delà des questions soulevées par la loi juive, la bonne nouvelle selon Paul reprenait des concepts bibliques juifs en leur donnant un nouveau sens. Ainsi, le salut, le sens de l’histoire d’Israël ou la mission du Messie étaient éclairés par Paul selon un angle différent de celui sous lequel ces mots étaient traditionnellement compris.
On peut dire que le christianisme de Paul était plus difficile à accepter par un juif religieux que celui des chrétiens de l’Église de Jérusalem ou que le message de Jésus qui, bien sûr, à cause de son aspect prophétique et messianique pouvait être une « occasion de chute » pour beaucoup mais était néanmoins dans la continuation des textes prophétiques vétérotestamentaires.
Cette distance accrue entre le christianisme de Paul et le judaïsme aide à comprendre, sans les justifier, les persécutions dont Paul a été l’objet de la part des communautés juives à travers l'Empire Romain, persécutions retracées aussi bien dans les Actes des apôtres que dans les lettres de Paul. Ainsi Paul a 3 fois été condamné à être battu par les verges, été une fois lapidé sans compter des arrestations et emprisonnements divers. Dans l'une de ces lettre, l'épître aux Thessaloniciens, considérée comme l'une des plus anciennes, Paul exprime son amertume face aux communautés juives qui le persécutent parlant des « juifs qui ont fait mourir le Seigneur Jésus et les prophètes, qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu et qui sont ennemis de tous les hommes » (I Thess. 15-16). Le Christianisme à ses débuts a ainsi eu le double privilège d’être persécuté par les juifs et les romains montrant ainsi qu’il était bien au centre de la providence de Dieu. En effet, celui qui persécute, montre par son usage de la force physique qu’il préfère utiliser les armes de la chair (pour reprendre la terminologie de Paul) à celle de l’Esprit, l’amour et la vérité et ainsi témoigne de son infériorité face à celui qui est persécuté. C’est pour cette raison que l’on a qualifié de témoins, en grec martyrs, les chrétiens persécutés jusqu’à la mort.
Le rôle de Saint Paul
Certains historiens juifs comme Hyam Maccobby , auteur de « Paul et l’invention du christianisme » (titre originel en anglais « The mythmaker Paul and the invention of Christianity ») font des critiques très virulentes à l’égard de Paul qu’ils voient comme un pharisien, ce qu’il a d’abord été à l’école de Gémaïel, qui s’est éloigné ou a trahi le judaïsme de ses pères. Maccoby insiste sur l’opposition entre l’Église de Jérusalem dirigée par Jacques et Paul. Selon lui, Jésus était plus proche des pharisiens que Paul sur la question du respect du Sabbat. Il rappelle aussi que c’est Jacques, « le frère du seigneur », et non Pierre qui a pris la tête de l’Église, selon lui dans une optique de famille royale juive.
Toutefois, il convient de rendre justice à Paul. A la suite de la révélation qu’il a reçue, il a transmis le message du christianisme au monde païen de façon à le rendre acceptable ou même simplement compréhensible par les habitants de l’Empire romain, ce qui n’est pas un mince accomplissement. Derrière la critique de Paul, il semble que l’auteur, qui ne représente pas un cas isolé, en veut au christianisme de s’être développé en dehors du judaïsme. Or, si le christianisme était resté basé à Jérusalem dans le respect des traditions juives, il n’aurait ni gagné pacifiquement l’Empire romain ni eu l’extraordinaire rôle civilisateur et l’impact historique et providentiel qui a été, et reste, le sien. Un rabbin comme Jacquot Grunewald, auteur de « Chalom Jésus ! » (Éditions Albin Michel) rappelle dans ce livre que, par l’intermédiaire du christianisme et malgré les erreurs et crimes commis par des chrétiens au cours de l’histoire, « les paroles entendues dans le désert du Sinaï ont été diffusées dans le monde entier ».
Le symbole de la croix
Cet éloignement entre les communautés juive et chrétienne ira en s’accentuant au fil des ans au niveau théologique et des symboles et pratiques religieuses. Ainsi, un symbole fort comme celui de la croix, qui est étranger au judaïsme, n’était pratiquement pas représenté par les premiers chrétiens où l’on représentait plutôt Jésus en gloire ou ressuscité un peu dans le genre du grand Christ qui domine Rio les bras ouverts. On retrouve dans les catacombes remontant au début du christianisme ou dans les tombes des premiers siècles des symboles comme le poisson indiquant qu’il s’agit de tombes chrétiennes, mais pas de croix. La croix prend de l’importance avec Constantin qui lors de sa bataille avec son rival Maxence eut selon le théologien Eusèbe une vision d’une croix portant l’inscription « Par ce signe, tu vaincras » (In hoc signo vinces) alors qu’il n’était pas encore converti (Constantin ne se fera baptiser que sur son lit de mort) puis gagnera en importance tout au long du Moyen Âge pour finir par dominer la plupart des édifices religieux du christianisme.
Le Royaume de Dieu et la vallée de larmes
Progressivement, le christianisme se spiritualisera, repoussant l’espoir d’un monde idéal dans un au-delà atemporel ou dans un éternel présent bien que Jésus demande de prier, avec le Notre Père, pour que la volonté de Dieu soit faite « sur la terre comme au ciel » et ce monde-ci sera de plus en plus considéré comme « une vallée de larmes » alors que le judaïsme dans la diaspora attendait toujours le rétablissement d’Israël sur terre et la venue du Messie. Le messianisme judéo-chrétien, l’attente imminente du Royaume, sera graduellement remplacée par une religion de salut avec ses mystères et son attente d’un au-delà où les bons seront récompensés et les méchants punis. Bien sûr, il ne faut pas simplifier, l’attente d’un au-delà meilleur existait dès l’origine et l’attente messianique est toujours restée vigoureuse dans certains groupes chrétiens minoritaires comme le montrent les travaux de l’historien catholique Jean Delumeau (voir son intervention dans l'ouvrage collectif "Entretiens sur la fin des temps"). Mais on peut dire avec le théologien Hans Küng (« Christ sein ») que l’on est passé de la religion de Jésus à une religion sur Jésus.
Pour résumer en quelques mots, le centre du message de Jésus était l’annonce de la bonne nouvelle, « Repentez-vous car le Royaume des Cieux est proche » ; alors que le christianisme deviendra une religion prenant comme centre plutôt la crucifixion et la résurrection de Jésus que l’annonce du Royaume et nécessitant l’acceptation de divers sacrements (sept chez les catholiques) et d’un credo qui sera source de division entre les chrétiens d’Orient et ceux d’Occident suite à la querelle du « Filioque ». Bien sûr, la reconnaissance de la crucifixion et la résurrection est fondamentale, évènements sans lesquelles, sans même parler de foi, l’existence historique du christianisme est difficilement explicable mais il s’agit de montrer que d’une certaine façon l’attente pleine d’espoir du règne de Dieu avec le retour du Christ, règne qui a une dimension collective et dont il s’agit de hâter la venue, a été remplacée par la recherche d’un salut d’ordre individuel.
Les conciles du IVe siècle, en faisant une synthèse entre des concepts hérités de la philosophie grecque et l’Évangile avec les notions d’essence et de personne vont encore plus éloigner les juifs du message chrétien.
Le Moyen Âge et le développement des persécutions contre les juifs
On arrivera ainsi au Moyen Âge à une double incompréhension, les catholiques considérant les juifs comme bien endurcis et bornés pour ne toujours pas accepter Jésus et les juifs considérant l’Église catholique, le pape, les saints, le culte des reliques et finalement l’Inquisition comme appartenant à un monde éloigné de la Bible telle qu’ils la comprenaient.
Une série de discussions entre juifs et chrétiens, discussions qui étaient motivées à l’origine par une vraie recherche de dialogue de part et d’autre, éclaire cet éloignement réciproque.
Il s’agit des rencontres de Tortose (petite ville au sud de Tarragone) entre érudits juifs (des érudits et rabbins d’Espagne) et chrétiens (des dominicains et autres membres du clergé) en 1414, rencontres qui partaient d’un bon désir de dialogue de la part des catholiques mais qui finalement ont abouti à exiger des juifs une série de conditions tout à fait inacceptables pour eux telles que :
1) Le Messie devait naître d'une vierge ;
2) Le Messie doit être Dieu véritable et Homme véritable ;
3) Le Messie devait mourir pour sauver le genre humain ;
4) Le Messie devait donner une nouvelle Loi ;
5) Les juifs ne retrouveront jamais leur terre.
Cette dernière condition a une saveur ironique quand on considère l’histoire récente. Ces conditions ne pouvaient qu’être rejetées par des juifs fidèles à leur foi et n’étaient acceptées que sous la peur de la persécution ou du bûcher.
Illustrant ce désir de dialogue, toujours en Espagne, à l’époque de la Reconquista (la reconquête du territoire espagnol sur les musulmans culminant avec la prise de Grenade en 1492), des milieux catholiques ont commandé à Moïse Arragel, un rabbin renommé, de faire avec la coopération d’autres érudits juifs, une Bible pour la famille d’Albe dans laquelle Arragel mettrait côte à côte l’interprétation juive et chrétienne de différents passages clés de la Bible et choisirait les illustrations ce qui lui permettait de faire passer le point de vue juif. Cette Bible a été conservée comme un témoin de cette volonté de dialogue entre les deux communautés mais on n’est pas allé plus loin dans cette direction et, bien au contraire, les conversions forcées et persécutions ont succédé à ces tentatives.
Les persécutions contre les juifs à travers l’Europe au temps des croisades, les pogroms, massacres lors de la semaine sainte ou au début d’une croisade sont des faits bien connus sur lesquels nous ne nous étendrons pas.
La diminution de l’antisémitisme chrétien
Une lecture optimiste de l’histoire pourrait faire penser que la séparation entre juifs et chrétiens après avoir atteint son point culminant au Moyen Âge s’est réduite au fil des siècles.
Ainsi la Réforme protestante suscita un regain d’intérêt pour les études de l’hébreu, une nouvelle approche de l’Ancien Testament et une meilleure compréhension du Jésus historique avec le renouveau des recherches sur la Bible allant du XVIIIIe siècle à notre époque. On peut citer dans ces travaux entre autres « À la Recherche du Jésus historique » d’Albert Schweitzer, écrit au tout début du xxe siècle, les écrits de Dietrich Boenhoffer et jusqu’aux travaux d’Hans Küng pour le monde catholique qui tous allaient dans le sens d’un rapprochement entre le judaïsme et le christianisme même si le but était simplement de mieux comprendre le message biblique dans son contexte historique.
Il faut aussi noter dans cette période moderne, l’intérêt des pères fondateurs de la jeune République des États-Unis pour l’hébreu, plusieurs des auteurs de la Déclaration d’indépendance américaine connaissant l’hébreu et se nourrissant dans leurs réflexions de textes de l’Ancien Testament ainsi que le retour des juifs en Angleterre sous l’influence des puritains qui accompagnaient Cromwell, de nombreux puritains ayant étudié la Bible en Hollande en bénéficiant des explications de rabbins.
Bien sûr l’antisémitisme restait vivace chez de nombreux chrétiens, protestants ou non. Luther a fait des déclarations tonitruantes contre les juifs. Luther insistait sur l’opposition entre le salut par la foi et la loi entre l’ancienne et la nouvelle alliance alors que Jean Calvin a développé une théologie plus philosémite, mettant l’accent sur la continuité entre l'Ancien et le Nouveau Testament, la continuité des alliances et la continuité de l'élection du peuple juif en se basant sur les passages de St Paul dans le chapitre 11 de l’épître aux Romains qui vont dans ce sens. Certains historiens expliquent que de ce fait, les protestants français qui sont plus les héritiers de Calvin que de Luther, ont fait beaucoup d'efforts pendant la guerre pour protéger les juifs contre la persécution et qu’il y a eu en France des liens privilégiés entre protestants et juifs. En Angleterre, l’arrivé de Cromwell a permis le retour des juifs après un long exil forcé remontant aux croisades et en Hollande, l’étude des textes bibliques a rapproché des responsables protestants de rabbins. Du côté catholique, l’évolution sera moins sensible et Pascal, dans les Pensées, explique que les juifs sont un peuple spécialement choisi par Dieu à cause de sa nuque raide et de sa fermeture aux choses spirituelles pour qu’ainsi ils rejettent le sauveur et que le salut soit transféré aux Gentils.
Que ce soit dans le catholicisme ou le protestantisme, il restait, et reste des points de friction. Ainsi, comme lors des discussions de Tortose, lorsque les chrétiens insistent que la vie, la crucifixion et la résurrection de Jésus sont clairement et intégralement prédits par les prophètes, ils placent les juifs dans une position difficile. Soit ces derniers, qui étudient ces prophéties de plus près que la majorité des chrétiens depuis plus de vingt siècles, sont bien bornés, soit ils font preuve de mauvaise volonté à ne pas reconnaître ce qui, selon les chrétiens, est clair comme de l’eau de roche. Mais on peut dire qu’après la Réforme, on s’éloigne en Europe occidentale des sommets de l’antisémitisme chrétien sous l’Inquisition.
Nouvelles formes d’antisémitisme
Toutefois, alors que, particulièrement dans le monde protestant, l’antisémitisme chrétien perdait de sa vigueur, on voit apparaître à partir du XVIIe siècle d’autres formes d’antisémitisme. Cette fois-ci les attaques ne viennent pas de milieux religieux mais de milieux rationalistes, des philosophes des Lumières (en particulier Voltaire) ou même au XIXe siècle de milieux athées, socialistes et nationalistes. On atteint un degré supplémentaire avec l’antisémitisme d’inspiration raciste des nazis (socialistes -nationaux) qui mènera à la Shoah.
Ainsi, pour ne citer qu’un exemple significatif, on ne peut qu’être surpris de la vigueur des attaques de Karl Marx contre les juifs dans son ouvrage « La Question Juive ». Marx explique dans cet opuscule que le Dieu qu’adorent les juifs n’est pas un esprit mais est bien matériel et qu’il s’agit en fait de l’argent, du capital, de Mammon.
De telles phrases sous la plume d’un auteur français actuel lui vaudraient immédiatement des poursuites pour antisémitisme mais Marx étant lui-même juif, on peut difficilement lui faire un tel reproche.
De même, on peut voir dans « Moïse et le monothéisme », ouvrage du docteur Sigmund Freud, lui aussi juif, un véritable brûlot contre le judaïsme. Selon cet ouvrage, la Loi mosaïque correspond au complexe de culpabilité résultant du meurtre du père (Moïse), prince égyptien massacré par les juifs dans le désert du Sinaï, selon les schémas de la psychanalyse. Ces idées du père de la psychanalyse ne reposent sur aucune base historique et ne peuvent que choquer des religieux, juifs ou chrétiens.
Concernant la religion, le premier de ces deux auteurs a écrit qu’elle était « l’opium du peuple » et le second « la névrose obsessionnelle de l’humanité » (Freud, « Malaise dans la civilisation »). Ils faisaient ainsi tous deux preuve d’une même incompréhension du rôle civilisateur des religions et en particulier du courant judéo-chrétien concernant le respect de la dignité humaine, la recherche de fraternité universelle et de liberté vis-à-vis des différentes formes d’oppression en incluant les plus subtiles, celles qui proviennent du mal en l’homme lui-même et non de l’extérieur.
On peut faire ici une remarque. Certaines formes d’antisémitisme moderne, en tant qu’opposition au judaïsme en tant que religion, ne sont pas spécifiquement tournées contre les juifs en tant que peuple, mais correspondent à une attaque plus générale contre les valeurs judéo-chrétiennes visant tout autant les chrétiens que les juifs. Déjà Pascal dans les Pensées montrait l’opposition entre le Dieu des philosophes et le Dieu des prophètes (le sien). Les conceptions rationalistes, matérialistes, nationalistes et racistes vont s’opposer à la fois au judaïsme et au christianisme, ces attaques provenant de personnes indifféremment d’origine juive ou chrétienne ayant rejetées ou n’ayant pas compris leur tradition spirituelle respective.
Ainsi, on ne peut oublier que le communisme a terriblement persécuté les chrétiens tout en s’attaquant aux juifs religieux, de nombreux intellectuels juifs, pour la plupart athées, ayant pris part aux mouvements révolutionnaires communistes du début du 20ème siècles, et que le nazisme, s’il s’est particulièrement attaqué aux juifs, a aussi persécuté les minorités chrétiennes (témoins de Jéhovah, adventistes, évangélistes) et plus particulièrement tous les chrétiens qui avaient le courage de dénoncer cette idolâtrie de la race et de la nation, au premier rang desquels il faut citer, en Allemagne, Dietrich Boenhoffer, pasteur tué par ordre personnel d’Hitler en 1945, responsable de l’Eglise Confessante qui refusa de prêter serment de fidélité à Hitler.
Voies pour une authentique coopération entre juifs et chrétiens
Pour conclure cette présentation rapide de 2 000 ans de relations entre juifs et chrétiens, nous allons explorer quelques pistes de réconciliation entre juifs et chrétiens.
Premièrement au niveau théologique et religieux, les chrétiens doivent s’efforcer de redécouvrir le vrai Jésus historique et ne pas se satisfaire de concepts théologiques remontant au haut Moyen Âge qui ont justifié un rejet et une incompréhension du monde juif. De plus, ils doivent faire preuve de plus de sensibilité dans leurs relations avec les juifs en ayant clairement à l'esprit l'histoire de 2 000 ans d'antisémitisme.
Il faut voir que les relations entre juifs et chrétiens ne se résoudront pas par la conversion des juifs au christianisme ou l’inverse. Ainsi, quand en 2000 Jean-Paul II est allé en Israël, il a clairement fait comprendre qu’il ne s’agissait pas de convertir des juifs au catholicisme mais de chercher en commun les voies de la paix. En fait, il faudrait une conversion mutuelle, les chrétiens doivent se ressourcer dans l’espérance messianique du judaïsme et les juifs écouter la voix de Jésus sans s’arrêter aux persécutions de gens qui se proclamaient chrétiens mais dont les actions trahissaient l’Évangile.
Un autre terrain de coopération entre juifs et chrétiens est la défense des valeurs familiales et religieuses face aux attaques sans précédent qu’elles subissent, la dernière en date étant la volonté, des deux côtés de l’Atlantique d’instaurer des mariages entre homosexuels. Cela inclut la lutte contre la pornographie et le développement d’une véritable éducation sexuelle qui ne soit pas coupée des valeurs de fidélité, d'engagement et d'amour authentique. Cette coopération semble très prometteuse aux États-Unis mais reste encore à un niveau limité en France. Il s’agit d’une action essentielle pour le rassemblement des enfants d’Abraham car si nous voulons réaliser la grande famille des enfants de Dieu, encore faut-il que les valeurs familiales n’aient pas été corrompues dans nos différentes petites familles.
Nous arrivons à une époque pleine d’espoir pour la réconciliation interreligieuse mais les défis sont aussi grands que les espoirs suscités.
120 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON