Arrêt des soins d’Eluana Englaro, diversion parfaite
Eluana Englaro, la femme de 38 ans plongée dans le coma depuis 1992, est décédée ce lundi 9 février 2009 à 20 h 10. Eluana, dont le cas a provoqué une crise politique en Italie sur fond de débat entre partisans et opposants de l’euthanasie.
Drôle de calendrier pour le pouvoir et l’Eglise catholique en Italie.
L’affaire de la jeune femme sous alimentation artificielle, plongée dans un coma profond depuis 17 ans, dont la Justice après dix ans d’instruction a autorisé l’arrêt des soins intensifs, a fait couler non seulement beaucoup d’encre, mais aussi descendre dans la rue des milliers de manifestants des deux camps philosophiques opposés en quelques jours. Il est singulier de voir le Président du Conseil, Silvio Berlusconi prendre fait et cause pour empêcher par décret le décès officiel programmé de Eluana Englaro, à toute vitesse. Las, le temps leur a manqué.
Eux, nos amis transalpins, qui aiment l’invective mais n’aiment pas les coups-de-boule et ne descendent quasiment jamais dans la rue. Eux qui, par exemple, ne furent pas tenus au courant de la signature du Traité Constitutionnel Européen il y a quelques années, ont foulé le pavé cette fois-ci, bravant le froid pour le sort de la malheureuse accidentée, dont il n’était plus raisonnable de laisser dégénerer le corps dans un coma dépassé.
Les partisans “pro-life” italiens croient aux miracles et Silvio Berlusconi qui a leur écoute, a demandé une minute de silence au Sénat. Le sulfureux avocat Carlo Taormina porte plainte pour “homicide” (contre la Cour d’Appel ?) et a adressé au Seigneur une requête concernant la demoiselle décédée, puis a imploré le pardon “pour ceux qui l’ont amenés à ce point”.
Vous avez dit laïcité ? Pour des gens attachés aux valeurs chrétiennes de la Famille, il n’aurait pas été étrange qu’ils déclarent ”Si tel est le souhait de la famille, alors nous ne pouvons que nous incliner, etc.”...
Non, Silvio Berlusconi a justifié cette hâte législative sans précédent dans l’histoire parlementaire italienne par la volonté de ne pas "être accusé de non-assistance à personne en danger". On vit moins de compassion contrite lorsqu’il s’est agi d’envoyer des milliers de soldats Italiens en Afghanistan...
Le pouvoir italien sous-entend que les juges, les médecins, la famille de la jeune femme, ont pris une décision contre "la Vie", entendez contre l’Eglise Catholique Apostolique et Romaine. Eglise qui n’est vraiment pas à une contradiction près, et ne trouve pas mieux -pour faire diversion à ses querelles intestines peut-être- que de soutenir ce qui reste de plus matériel chez une personne, son corps, après que la pensée l’ait quittée !
Drôle de combat spirituel, drôle de pensée chrétienne, ne trouvez-vous pas ? Pour l’Eglise catholique, la décision de justice ne vise pas à éviter l’agonie interminable et les complications qui sont à la clé de cette survie artificielle, non, il s’agit d’un “meurtre”... Sans commentaire.
Pour le gouvernement, il vaut mieux 100 manifestants pro-life sur le pavé que 50 contre la vie chère ou les délocalisations accélérées, voire sur les affaires de corruption, d’exploitation du travail clandestin dont toute l’Italie s’indigne, sauf les pouvoirs en place. Mobiliser pour les valeurs de l’Eglise fait oublier les maux ordinaires et place le débat à un niveau philosophique qui revigore la gauche endormie et la droite bien-pensante, dans un état totalement comateux, elles aussi. Diversion qui tombe bien au calendrier des avanies ordinaires des pouvoirs usés. La Rai Uno consacrait une soirée spéciale au non-événement, c’est dire si les questions d’éthiques sont sensibles en Italie...
La question que je me pose est : comment se réveille une personne dont le cerveau n’a pas fonctionné depuis 17 ans ? Le site ieb-eib.org (chrétien) donne des renseignements : "En moyenne, un patient en EVP présente une longévité de 2 à 5 ans ; mais dans certains cas, cette dernière peut s’élever à 10, voire à 20 ans. Le degré de dépendance d’un patient en état végétatif est comparable à celui d’un nourrisson : il concerne les fonctions d’alimentation, d’hygiène et de prévention de maladies ou de complications, notamment l’apparition d’escarres.“ (lire sur ce pdf le cas de Madeleine de Launoit pourtant restée seulement 8 mois dans le coma, c’est édifiant.)
On aurait pu penser que dans un pays développé ou soi-disant développé comme l’Italie, la vox populi eut fait confiance à la Science ou au moins en sa Justice. C’est peut-être de là que vient le tourment. Ni la science ni la justice ne sont plus des repères dans cette société post-industrielle.
Le Vatican, secoué en ce moment par des scandales de pédophilie en son sein, des réintégrations de dirigeants catholiques déviants, redore son blason. Comme l’a dit le pape Benoît XVI hier soir : “Je veux être seul”. Pour sabler le champagne ou pour méditer sur les contradictions explosives de son clocher ?
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