Doit-on accepter l’insoutenable parce qu’il émane de certains responsables de Eglise catholique et qu’il concerne des affaires de pédophilie ?
Il n’est plus contestable aujourd’hui que dans le monde, au cours des cinquante dernières années, plus de 6.000 prêtres catholiques ont violé et maltraité sexuellement des dizaines de milliers d’enfants. Il est vrai que les papes Jean Paul II et Benoît XVI se sont publiquement excusés de ces atrocités. Est-ce pour autant suffisant de la part d’une religion qui prétend représenter la « lumière du monde » et être dépositaire des valeurs humaines ?
Le problème n’est pas qu’il ait existé ou qu’il existe encore des prêtres pédophiles, il y en a malheureusement partout.
Par contre, la seule question qui se pose réellement est de savoir si la hiérarchie catholique, y compris Jean Paul II et Benoît XVI, était informée de ces agissements et si elle les a couverts au lieu de les dénoncer. Il ne fait aucun doute que la réponse est oui.
Il faut savoir que le 16 mars 1962, la Sacrée Congrégation du Saint Office, avait transmis aux archevêques, aux évêques et aux autorités diocésaines y compris celles du rite oriental une instruction écrite, intitulée « Crimen Sollicitationis », détaillant comment devaient être abordées les « fautes » commises au sein de l’Eglise, dans le domaine sexuel incluant les actes de pédophilie.
Il y était mentionné en préalable que « ce texte doit être scrupuleusement classé dans les archives secrètes de la Curie comme strictement confidentiel, il n’a pas à être publié ni joint à aucun commentaire ».
Pourquoi le Vatican a-t-il estimé nécessaire de garder strictement secrètes des consignes qu’il donnait aux évêques ?
Cette instruction, approuvée et confirmée par le pape Jean XXIII le jour de sa diffusion, indiquait dans le paragraphe 13 de ses préliminaires les procédures à suivre en cas d’accusations contre des prêtres pouvant s’être livrés à des abus sexuels :
« Dans ces cas, les accusateurs, ou les dénonciateurs (du prêtre) et les témoins doivent prêter serment de garder le secret. »
La formule E de cette instruction décrivait dans le détail la manière d’enregistrer les dénonciations. Au début de son audition, le dénonciateur devait prêter serment de dire la vérité « en touchant la Bible avec sa main ». Cette mention n’est absolument pas critiquable, par contre, il est pour le moins contestable qu’il soit précisé qu’à la fin de son audition, le dénonciateur devait « prêter serment d’observer le secret en touchant à nouveau la Bible », et que ce serment devait être écrit et signé par lui. Il était également indiqué que si le dénonciateur n’était pas capable de signer, il devait le faire avec une croix.
Il faut également savoir que cette instruction imposait le secret à tous ceux qui étaient chargés et informés de ces affaires sous peine d’excommunication immédiate (latae sententiae), peine la plus lourde du Droit Canon. La personne chargée de l’audition du dénonciateur devait transmettre les procès verbaux à l’autorité qui l’avait déléguée et avait pour obligation de ne conserver aucun document.
Le Vatican considérait donc que les viols d’enfants par des prêtres étaient une affaire strictement interne à l’Eglise et qu’il fallait mettre en place des procédures rigoureuses pour empêcher qu’elles ne soient dévoilées. Il faut savoir que dans la grande majorité des cas, la seule sanction qu’ont eu à subir ces prêtres pédophiles fut une mutation dans une nouvelle paroisse.
A partir de 1981, le cardinal Ratzinger, futur pape Benoît XVI, fut nommé préfet de la Congrégation pour la Doctrine et la Foi, département du Vatican ayant pour objectif de promouvoir et de protéger la doctrine et les mœurs. Il a donc été l’homme chargé d’appliquer cette directive pendant 24 ans. Il est difficile d’imaginer qu’il n’était pas informé des pratiques pédophiles de milliers de prêtres dans le monde entier.
En effet, il était clairement précisé dans les articles 67 et 74 de cette instruction, que la Congrégation pour la Doctrine et la Foi devait être informée de toute procédure interne contre un prêtre ou un religieux et être destinataire des documents judiciaires et administratifs des décisions concernant les cas les plus graves. Ses excuses sont-elles suffisantes alors qu’il a eu connaissance des milliers de procès verbaux réalisés dans les évêchés concernant les actes de pédophilies de membres de l’Eglise ?
Peut-on être étonné qu’il ait pu affirmer lors d’un voyage aux Etats-Unis en avril 2008 ? :
« Il est difficile pour moi de comprendre comment les prêtres ont pu ainsi trahir leur mission…Je suis profondément honteux…Un pédophile ne peut pas être prêtre. »
On ne peut que constater que sous sa direction jusqu’à la fin des années 1990, des milliers de prêtres, que l’Eglise savait être pédophiles, ont été simplement mutés et n’ont même pas été déchargés de leur fonction.
Cette instruction « Crimen Sollicitationis » est-elle admissible quand on sait que des milliers d’enfants ont continué à être maltraités et violés à cause d’elle ?
Il faut observer que ce n’est qu’à partir de la fin des années 90, que des milliers de prêtres ont été accusés de pédophilie par les justices civiles. Ils n’avaient pas été inquiétés pendant des dizaines d’années, sauf à de très rares occasions.
L’omerta a bien été réelle pendant plus de 30 ans, car comment expliquer autrement le sort réservé par la papauté au prêtre Mexicain Marcial Maciel, qui a créé et dirigé jusqu’en 2004 un des plus importants mouvements catholiques, la Légion du Christ. Cette congrégation possède 150 collèges, une trentaine d’universités et plus de 600 centres d’éducation dans une vingtaine de pays. Elle dépend directement de la papauté.
A sa création en 1941, ce prêtre rêvait « d’étendre le règne de Jésus dans la société, selon les exigences de la justice et de la charité ». Dès 1948, il est accusé de mensonges, trafic de drogues, alcoolisme, séquestration de jeunes séminaristes à qui il avait interdit de se confesser à un autre prêtre. Ce n’est qu’en 1956, qu’il fut suspendu de tout contact avec les légionnaires du Christ, pendant…deux ans et demi. Cet homme qui a été un proche du pape Jean Paul II, est accusé d’avoir abusé sexuellement plus de 200 personnes, tout au long de sa carrière ecclésiastique, soit pendant plus de 60 ans.
Le Vatican a mis des dizaines d’années avant de se décider à sanctionner à nouveau ce prélat. Ce n’est qu’en 2006, que Benoît XVI a décidé de le « punir » en l’invitant à « une vie discrète de prière et de pénitence » et à « renoncer à tout ministère public. » Après cette punition exemplaire, un communiqué des Légionnaires du Christ a fait savoir que le père Maciel avait accueilli cette décision comme « une nouvelle croix que Dieu, père de la Miséricorde, l’a autorisé à porter dans la souffrance et qui obtiendra de nombreuses grâces pour les Légionnaires ».
Faut-il ajouter qu’aux Etats-Unis, ces dernières années, l’Eglise catholique a payé des milliards de dollars aux victimes de pédophilie afin d’éviter des poursuites judiciaires ? C’est donc grâce à ses énormes moyens financiers provenant des dons des fidèles, qu’elle a permis à ses prêtres d’éviter la prison. Peut-on considérer qu’il s’agisse d’une utilisation morale des moyens de l’Eglise ? Tout cet argent n’aurait-il pas dû servir à financer l’instruction de millions d’hommes et de femmes illettrés si l’on estime que l’Eglise œuvre pour le bien de l’humanité ?
Les actes de pédophilie de certains de ses membres pendant des dizaines d’années ne méritaient-ils qu’une simple mutation ?
En mai 2009, a été publié le rapport d’une commission d’enquête irlandaise dénonçant des décennies d’abus sexuels sur des enfants dans des institutions dirigées par l’Eglise catholique. Il est question à ce jour de plus de 10.000 victimes pour des actes qui se sont déroulés jusqu’en 2000. On peut lire dans ce rapport :
« Les abus sexuels étaient endémiques dans les institutions pour garçons…Dans les écoles examinées, l’étude a révélé un niveau important d’abus sexuel sur des garçons allant d’attouchements déplacés et de caresses à des viols avec violence…Les auteurs des abus ont pu continuer sans être inquiétés pendant de longues périodes…
Quand le personnel religieux commettait des abus, le problème était plutôt traité avec des procédures internes et avec la loi canonique. La Gardai (police irlandaise) n’était pas mise au courant…Des hommes ayant déjà commis des abus sexuels quand ils étaient membres d’un ordre religieux continuaient à exercer en tant qu’enseignants. »
Le cardinal Sean Brady, numéro un de l’Eglise catholique irlandaise a réagit à ce rapport en déclarant :
« Je suis profondément désolé et j’éprouve une honte extrême… Je reste déterminé à faire tout le nécessaire pour faire de l’Eglise un lieu de sécurité, de vie et de joie pour les enfants. »
Il faut savoir qu’il était archevêque en Irlande depuis 1993 et numéro un de l’Eglise d’Irlande depuis 1996. Ce haut responsable était donc parfaitement au courant de ce qui se passait dans ses institutions religieuses.
Qui connait le parcours de Bernard Law qui fut nommé par Jean Paul II, archevêque de Boston aux Etats-Unis de 1984 à fin 2002 ? Ce haut-responsable de l’Eglise catholique a couvert pendant de nombreuses années près d’une centaine de prêtres pédophiles qui étaient sous sa responsabilité, se contentant de les muter dans de nouvelles paroisses où nombre d’entre eux continuaient leurs exactions. Doit-on ajouter que grâce à son « autorité morale », il arrivait à imposer le secret aux victimes de ces prêtres ?
Face à de tels faits, on pourrait penser que cet archevêque a été condamné à de la prison. Il n’en a rien été. On pourrait aussi penser que le pape Jean Paul II l’a définitivement écarté de l’Eglise catholique. Il n’en a rien été non plus. Il faut savoir qu’il lui a effectivement demandé de renoncer à ces fonctions d’archevêque de Boston, mais c’était pour le nommer quelques mois plus tard, en 2004, archiprêtre de la Basilique Sainte-Marie-Majeure, qui est une des plus importantes de…Rome. Faut-il rajouter, qu’en 2008, il était non seulement toujours cardinal mais aussi membre de plusieurs congrégations dont celles pour l’Education catholique et l’Evangélisation des peuples et même du Conseil Pontifical pour la Famille ? Les croyants sont donc tenus de continuer à l’appeler « Eminence ».
On peut se demander pourquoi l’Eglise s’est contentée pendant des dizaines d’années de muter les prêtres pédophiles ?
Pour cela, il est nécessaire de se référer au Droit Canon, qui est le recueil des lois auxquelles sont soumis, selon son article 11, l’ensemble des « baptisés dans l’Eglise catholique ou ceux qui y ont été reçus ». Le clergé y est donc naturellement astreint et les évêques sont chargés de l’appliquer.
Les actes de pédophilies sont concernés par deux articles. Ils se réfèrent au sixième commandement qui est considéré comme englobant l’ensemble de la sexualité humaine (Catéchisme de l’Eglise catholique 2336) :
« Le prêtre qui, dans l’acte ou à l’occasion ou sous le prétexte de la confession, sollicite le pénitent au péché contre le sixième commandement du Décalogue sera puni, selon la gravité du délit, de suspense, d’interdictions, de privations, et dans les cas les plus graves, sera renvoyé de l’état clérical. » Article 1387
« Le clerc qui a commis d’une autre façon un délit contre le sixième commandement du Décalogue, si vraiment le délit a été commis avec violence ou avec menaces ou publiquement, ou bien avec un mineur de moins de 16 ans, sera puni de justes peines, y compris, si le cas l’exige, le renvoi de l’état clérical. » Article 1395-2
Compte tenu de ces articles du Droit Canon, on ne peut que constater que pendant des dizaines d’années, l’Eglise, en ne faisant que muter les prêtres pédophiles, n’a pas considéré que le viol d’un enfant faisait parti des cas les plus graves des délits sexuels.
Les délits sexuels commis par des prêtres sont donc punis au maximum du renvoi de l’état clérical qui n’est pas une excommunication comme on pourrait le penser. Ces prêtres ne sont pas exclus de la Communion de l’Eglise mais du clergé. Peut-on faire remarquer que si les prêtres pédophiles ne risquaient pas l’excommunication, ceux qui avaient participé aux auditions de son dénonciateur et qui rompaient leur serment de garder le secret la risquait ? Pour l’Eglise, il est donc plus grave de rompre un serment que de violer un enfant.
Il faut savoir que ce n’est que depuis le début des années 2000, en réaction aux scandales qui avaient éclaté précédemment, que les évêques se sont engagés à systématiquement condamner les prêtres pédophiles au renvoi de l’état clérical. Par contre, il n’a jamais été précisé que l’instruction « Crimen Solititationis » avait été abrogée et qu’il était question d’informer les justices civiles des agissements passés de ces prêtres. Il est nécessaire de préciser que, contrairement à ce que certains prétendent, le secret de la confession ne saurait être invoqué dans ces affaires.
Peut-on rappeler qu’il est question ici de dizaines de milliers d’enfants dont la vie a été détruite par des milliers de prêtres ?
Comment peut-on estimer faire le bien quand on demande à une victime de prêter serment de ne pas divulguer les sévices qu’elle a subis avec pour objectif d’empêcher l’auteur de ces sévices d’être poursuivi ?
Comment peut-on estimer faire le bien quand on ne demande pas l’emprisonnement de coupables de crimes sur des innocents afin qu’ils ne récidivent pas ?
Les papes Jean Paul II et Benoît XVI, destinataires de toutes les procédures internes conformément à l’instruction « Crimen Solititationis », ont été régulièrement informés de ces crimes pendant des dizaines d’années et les ont couverts. Ils avaient le pouvoir de faire cesser ces atrocités, ils ne l’ont pas fait et n’ont jamais été inquiétés.
Jean Paul II va être béatifié et Benoît XVI a pu dire :
« Il est difficile pour moi de comprendre comment les prêtres ont pu ainsi trahir leur mission…Je suis profondément honteux…Un pédophile ne peut pas être prêtre. »
Est-ce de l’intolérance envers l’église catholique d’essayer de faire en sorte que ces faits soient simplement connus de tous et surtout de ses fidèles à qui les responsables catholiques ont menti en leur faisant croire qu’ils n’étaient pas informés de cette triste réalité ?
Jean Paul II était aimé et avait du charisme mais on ne savait pas tout.
Doit-on s’extasier devant la capacité de l’église catholique à ne pas être déstabilisée par ces révélations ?
L’archevêque de Paris, président de la Conférence de évêques de France a pu écrire dans le Figaro du 20/12/2009 :
« Nous avons un potentiel de fidélité et d’engagement considérable dans toutes les générations. L’Eglise est la seule organisation à réunir des centaines de milliers de personnes chaque semaine...Une chose est sûre : Dieu n’abandonne jamais. »