Par cette encyclique, Benoît XVI se mérite une place dans l’Histoire. D’abord par l’importance de ce qu’il dit - qui permet de penser que l’Église va prendre enfin la part des déshérités - ensuite, par le courage de l’avoir dit de cette façon.
Car en disant que cette encyclique est le « Rerum novarum de l’époque contemporaine » qui éclaire le chemin de l’humanité en voie d’unification, il va aussi loin dans la voie d’une révision des positions de l’Église que peut aller une organisation qui se prétend infaillible. Ce faisant, il nous permet de penser qu’elle peut parfois avoir raison.
Laissons de côté ce qui est ronds de jambes pour dire que rien n’a changé, et acceptons ce message actuel de l’Église. Les casuistes nous dirons s’il est ou non novateur, mais seuls d’autres casuistes s’en préoccuperont. Je ne répéterai pas le texte,
il est ici pour consultation. Je vais vous dire ce que j’y lis.
1. Il faut repenser l’Économique L’activité économique ne peut résoudre tous les problèmes sociaux par la simple extension de la logique marchande. Une activité financière mal utilisée - et, qui plus est, spéculative - ne soutient qu’une croissance artificielle liée à une consommation excessive. Vouloir séparer la gestion de l’Économique, dont le seul objectif serait de produire la richesse, de celle de la Politique, dont ce serait la seule mission de rechercher la justice au moyen de la redistribution, est une cause de graves déséquilibres.
2. Il faut repenser le Politique L’État vient de faire la preuve de son utilité, en s’attelant à corriger les erreurs et les dysfonctionnements de l’économique. La crise actuelle nous oblige à créer de nouvelle règles du jeu et c’est l’occasion d’élaborer et de mettre en place de nouveaux projets. Non seulement ceux qui ont donné la gouvernance de l’État pour désuète ont-il eu tort, mais il serait temps de mettre en place un autre palier de gouvernance : une véritable autorité politique mondiale.
3. Il faut repenser la justice distributive. Même du point de vue économique, les pauvres ne sont pas à considérer comme un fardeau, mais au contraire comme une ressource. Pour fonctionner correctement, l’économie mondialisée a besoin de la logique du don sans contrepartie. Gratuité et don de soi sont des vecteurs de la prospérité et l’économie a donc besoin de l’éthique.
4. Il faut repenser l’entrepreneuriat À côté des entreprises dont les objectifs sont économiques, il faut concevoir des entreprises dont le but soit social. Il faut concevoir des microprojets. Il faut créer des coopératives de consommation. Il faut consommer de façon plus sobre et assurer à tous ceux qui travaillent une rétribution décente. On pourrait même penser à la « subsidiarité fiscale » qui permettrait aux citoyens de décider de la destination d’une part de leurs impôts versés à l’État, de façon à aider les pays en voie de développement.
5. Il faut soutenir les réseaux de protection sociale Benoît XVI suggère de favoriser davantage la liberté syndicale. « Plus pertinente encore aujourd’hui qu’hier », dit-il, car il faut « se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail ». C"est l’amende honorable pour Rerum Novarum.
Je ne croyais pas voir le jour où j’applaudirais une encyclique papale. Pourtant, non seulement suis-je d’accord avec tout ce qu’elle propose - même si le rôle dévolu aux syndicats parait aujourd’hui dépassé – mais, si je n’avais peur de rendre ce texte illisible, je pourrais faire un lien de chacune des phrases vers un texte soutenant la même idée, que j’ai écrit il y a 5, 10 ou 20 ans ! Dire que je suis d’accord est en-deçà de la vérité.
Je sais que beaucoup de ceux qui mènent les mêmes combats que moi y verront in piège, une manœuvre pour avancer l’agenda néolibéral de mondialisation. Mais je ne veux voir qu’à sa face même le message qui est ici livré : ce qui est ici écrit restera écrit et c’est un gain net pour la justice sociale.
L’Église a son propre agenda, qui a été néolibéral quand il a été opportun qu’il le soit ; je crois qu’elle a décidé que ce ne l’était plus. Ceux qui voudraient l’instrumentaliser – et je ne doute pas qu’ils soient nombreux – devraient méditer sur la fameuse phrase le Lincoln. When you have got an elephant by the hind leg, and he is trying to run away, it’s best to let him run."
Pierre JC Allard