Ce onzième commandement
« La Terre tu respecteras, les ressources, les plantes et les bêtes tu honoreras », « Tu aimeras ta planète comme toi-même », ou quelque chose comme ça ! Où est ce Onzième commandement ? Existe-t-il l’ombre d’un péché contre la Nature, ou le contre-nature est-il réduit par l’Église et les préjugés à « l’amour par derrière » ? Je ne parviens pas à comprendre que ceux qui croient en la création divine s’acharnent à massacrer la Nature, tandis que ceux qui n'y croient pas s’entêtent à la protéger !

« Alors, mon fils, en quoi as-tu péché cette semaine, as-tu eu de mauvaises pensées, de mauvaises actions, as-tu mal agis envers Notre Seigneur, envers les autres, envers toi-même ? Confesse-toi, mon fils… ! ». Quand on a une dizaine d’années et que l’on s’agenouille pour une autopsie de l’âme devant ce transsexuel d’une morale caduque en robe noire, cette ombre d’ange exterminateur aux funestes présages, ce spectre morbide aux relents de nécrose et jailli des limbes qu’est monsieur le curé plus ou moins pédophile, on peut toujours avouer pour être en règle qu’on a tripoté sa bistouquette en rêvant au sexe d’un ange ou qu’on a volé trois sous dans le porte-monnaie de maman, histoire de s’inventer quelques péchés véniels et d’en être absout, comme il se doit.
Mais jamais, dans la conformité coupable du confessionnal (le meuble-isoloir, éjacularium de l’âme, vaut déjà à lui seul son pesant d’absolution…), je n’ai entendu : « Alors, mon fils, as-tu piétiné une plante, écrasé une chenille, aplati une araignée, enfermé ou déplumé un oiseau, as-tu partagé la viande d’un animal élevé pour être mangé, t’es-tu réjoui du spectacle du cirque ou du zoo, t’es-tu détourné des beautés de la création ? ». Le macabre site confessionnel n’est déjà pas très agreste, même si l’autel se pare de fleurs décapitées, à senteurs de Toussaint, comme offrande au plus crucifié des trépassés. Pouvais-je avouer qu’en petit herpétologue païen, j’avais tenté la veille de noyer un camarade en lui maintenant la tête sous l’eau d’un bassin parce qu’il avait volontairement fait fuir mes grenouilles et mes tritons ? Certainement pas, je pressentais que les péchés branchés étaient ceux en relation avec le génital, la propriété, la vie de l’homme, mais rien qui puisse avoir un quelconque rapport avec le végétal, l’animal ou le paysage. Pour le théocrate, la Nature est une création froide, figée, donnée comme tel, ne méritant pas l’adoration. Elle n’incite pas davantage à s’excuser d’exactions quelconques commises à son endroit.
Dans la crèche, l’âne et le bœuf ne sont que des chauffages qui réchauffent de leurs haleines le nouveau-né Jésus ; l’âne est une bête de somme ; le bœuf est un animal de trait ; les chameaux des rois mages sont lourdement chargés de cadeaux ; un agneau est offert par Abel ; des animaux sont immolés par Noé ; un bouc providentiel est mis à mort par Abraham ; Aaron, frère de Moshé (Moïse), sacrifie des animaux ; le bestiaire biblique fait déjà l’apologie de l’animal machine et de l’animal alimentaire. Pourtant, certains exégètes prétendent que Jésus, comme les premiers chrétiens, était végétarien.
La Nature a créé l’humanité, Nature et humanité sont indissociables. Non ? Au sein de l’incommensurable fatras mystificateur de l’Église, ce ne sont pourtant qu’échafaudages pour opposer humanité et Nature, mettant tout en œuvre pour inciter l’homme tant à se reproduire inconsidérément qu’à fusiller la Nature, la négation de l’âme animale, la restriction de l’intelligence et de l’affectivité animales à un simple instinct non-humain eut des conséquences effroyables. Même si à ce jour, l’essentiel de l’Occident catholique se dit athée, les méfaits se poursuivent par l’ancrage des habitudes culturelles. Avant de pénétrer dans l’arène, le torero se signe de la croix, on tue le cochon le jour du saint patron, la messe de la Saint-Hubert consacre la chasse à courre, la plupart des vivisecteurs et des bouchers fréquentent les églises, les temples et les mosquées…
Selon les traditions bibliques, les Dix Commandements (littéralement « les Dix Paroles ») est un ensemble écrit d’instructions religieuses et morales, reçu par Moïse sur le mont Sinaï. Dans la Torah, Dieu transmet ces préceptes sous l’aspect de tables gravées (les tables de la Loi) du doigt de Dieu. Les Dix Commandements sont tous exclusivement axés sur une morale anthropocentriste. L’absence d’une onzième parole d’essence environnementale, l’inexistence de toute faute à l’endroit du Vivant et de la biosphère, font que depuis 6 000 ans le judaïsme et le christianisme incitent à une inconduite totale vis-à-vis de la Nature, que l’écopécheur coule des jours heureux, massacrant tout sans être entaché du moindre indice de culpabilité. Bien au contraire, le tueur en série est un héros, la cruauté écologique est implicite aux monothéismes ! Culpabiliser le sexe et inciter à l’écocide sont les meilleures raisons de déserter ces religions, pour rejoindre, par exemple, le bouddhisme, vénérateur du vital. Cette question essentielle du décalogue, non doté d’une seule parole pour moraliser le comportement du croyant à l’égard du milieu naturel dont il dépend, est posée avec insistance depuis les années 1970.
L’oligarchie théocratique tente présentement d’y remédier, de se relooker de se teindre en vert, ne serait-ce que pour ne pas trop perdre de fidèles, de plus en plus infidèles depuis qu’ils sont au pied du mur des dégâts inspirés de l’incurable religion anachronique. Sans convaincre personne. Dans le numéro 18 de la revue Nouvelles Clés (Une nouvelle conscience pour la planète), François Mazure rapporte : « Une théologie qui coupe l’être et la nature n’est plus de mise aujourd’hui ou nous sommes guettés par des catastrophes écologiques. Certains Américains l’ont compris et défendent l’idée d’une méta-écologie où spiritualité et religion doivent défendre la création du saccage qui se poursuit malgré les cris d’alerte ». Se référant à un déclin du spirituel survenu dès les années 1980 avec la mondialisation et l’incitation des intérêts privés, et bien que l’écologisme soit dans l’air médiatique du temps, il en conclut à une plus grande indifférence environnementale : « À nouveau, les intérêts privés - grands forestiers, conglomérats des mines, certaines industries - se sentent protégées en haut lieu, n’épargnent plus la nature et lui portent des coups dévastateurs. (…) On dit qu’il vaut mieux faire appel au Bon Dieu qu’à ses saints. Avec leur enthousiasme sans complexe, c’est exactement ce que les Américains ont fait. À l'appel des écologistes d’outre-Atlantique, Dieu lui-même vient d’entrer dans la bataille pour sauver la planète. Vous comprenez - développe l’évêque protestant Peter Kreitler, de Los Angeles, à l’auteur qui l’interroge - il fallait être clair : l’écologie ce n’est pas vraiment un problème politique. C’est un problème éthique, un problème de responsabilité. Je dirais aussi que c’est un problème religieux. Dieu nous a placé sur cette Terre pour en prendre soin, pas pour la saccager. » Pour une fusion œcuménique avec les écologistes, le jour de la Terre du 22 avril est maintenant célébré dans de nombreuses églises. À New York, le jour de la Saint François d’Assise, la cathédrale Saint-John-The-Divine consent à une opération porte ouverte au profit d’une pathétique ménagerie d’animaux domestiques ou détenus dans des cirques, à la gloire du Vivant. Un éléphant aurait même fait son entrée dans ce magasin de porcelaine bien-pensant et qui ne dira surtout rien sur la condition animale approuvée. À San Francisco, en 1998, des religieux se sont même fait activistes pour sauver de la tronçonneuse d’anciennes forêts de conifères menacées de destruction imminente, réclamant pour ces arbres la protection divine. N’est-ce pas beau, tout ça ?
« Nous savons que, jusqu'à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l'enfantement. » Paul (Romains 8 :22)
« Toutes les créatures sont posées sur la parole créatrice de Dieu, comme sur un pont de diamant, au-dessous de l’abîme de l’infinité divine, au-dessus de l’abîme de leur propre néant ». Philarète, métropolite de Moscou (1786-1867)
« Regardons avec quelle impression d’horreur nous lisons le récit des cruautés infligées aux animaux... Mais qu’est-ce que cela sinon le supplice infligé à Notre Seigneur ? » Cardinal John Henry Newman, 1842
« La théologie de l’animal n’a pas été faite, elle n’est même pas commencée ; ce sera la tâche des Chrétiens du XXIe siècle... » Jean Guitton
« Les idoles et les notions fausses s’étant emparées de l’entendement humain s’y sont fixées profondément et assiègent l’esprit au point que la vérité y trouve un accès difficile ; (…) à moins qu’étant avertis, les hommes ne s’en protègent, autant qu’il est possible. » Francis Bacon
« La perfection évangélique n'est que l'art funeste d'étouffer la nature... » Denis Diderot
« Le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux. » Karl Marx
« La Bible ne nous enseigne pas comment est fait le ciel mais comment y aller. » Robert Lenoble
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