Charlie Hebdo : Le deuil n’empêche pas le sens critique
De plus en plus, dans le débat public, des voix se font entendre pour corriger ce qu’il y avait de sentimental dans le « Je suis Charlie ». Beaucoup de gens sympathisent avec Charlie ; Cependant, il s’avère que peu de gens sont Charlie. La laïcité n’est pas le droit de cracher gratuitement sur tous ceux qui croient à une forme de transcendance.
Voici la lettre adressée le 17 janvier 2015 par un psychiatre du 94 à Patrick Cohen, responsable du 7/9 sur France Inter.
Je me permets de réagir aux journaux d’hier matin par une remarque que je souhaite bienveillante, connaissant la qualité des intervenants. Elle concerne l’information relative aux propos du pape qui soutient la liberté d’expression mais avec la limite de ne pas offenser la religion d’autrui.
Une journaliste a introduit cette information en disant que c’était probablement jeter de l’huile sur le feu, un autre en la rapprochant de ce que pensent beaucoup de musulmans. J’estime pour ma part que la déclaration papale est sage et apaisante et que beaucoup de Français, dans leurs convictions diverses, pensent comme lui.
Peut-on occulter le sens du sacré ?
Chrétien non catholique, j’ai participé avec un mélange d’affliction et de bonheur à la grande manifestation du dimanche 11. Maintenant que le soufflé de la fusion émotionnelle retombe, je m’interroge sur la pauvreté du sens du sacré dans notre pays. C’est pourtant sur lui aussi que s’érigent bien des personnalités, des familles et des communautés ; cela va du meilleur au pire, de l’accueil de soi et d’autrui, jusqu’à la kalach. Il contribue à la structuration psychique individuelle et collective et relève donc de l’intime. Il est opérant au point de réapparaître dans notre contexte sous forme de sacré laïcisé. Telle, par exemple et fort justement, la liberté d’expression, déclarée intangible et illimitée…ou presque.
On se prend à confesser depuis quelques jours qu’elle est dieu et que l’humoriste est son prophète.
Dans le cadre de la responsabilité individuelle où j’ai quelque compétence, et qui me semble déterminante après les événements récents, je retiens par conséquent qu’aborder le sacré nécessite beaucoup de tact et de compréhension envers autrui. Car le risque de réactions défensives est grand, de l’évitement à l’affrontement, avec comme conséquence la rupture de la relation. Je crains que Charlie Hebdo, brandi ici comme le signe de la tolérance, soit perçu ailleurs comme celui de l’intolérance, du mépris et de l’impossible compréhension entre notre République et la mentalité musulmane. Il était plus judicieux d’aborder celle-ci par « l’affaire » du voile que par celle des caricatures. Les gentils crayons qui font mine d’ignorer le choc des images se conduisent en innocents qu’ils ne sont pas.
L’esprit français, c’est aussi les égards pour autrui
Malgré la compassion que m’inspire leur deuil tragique, je les renvoie à la multitude des gens qui essaient de maintenir des liens de bonne entente avec les musulmans, conscients des limites qu’impose pour le moment l’altérité. De convictions diverses, y compris musulmane, il se peut qu’ils ne rigolent pas de tout sans être pour autant tristes, censeurs ou cons. Comme Charlie Hebdo, ils incarnent pour moi une part non négligeable de l’esprit français.
Les terroristes auront réussi à nous diviser si, à force d’insister à juste titre mais sans retenue sur la liberté d’expression, nous devenons pour nous-mêmes comme pour l’étranger le pays de Charlie. Il est temps que ce dernier redevienne discret, que la diversité des opinions s’exprime dans les médias et que Marianne occupe la place.
C.B.
En complément, on pourra se reporter aux articles récemment postés par Pale Rider :
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/je-suis-avec-charlie-162013
http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/taubira-contre-charlie-hebdo-162244?pn=1000
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