Congrès des dirigeants de religions mondiales et traditionnelles : vers une organisation internationale des religions ?
Le Global Peace Index 2018 indique une recrudescence des conflits dans le monde au cours de la dernière décennie. Le rapport met l’accent sur la nature des conflits, constatant que dans beaucoup de cas, la religion est un facteur fort d’opposition. C’est dans ce contexte que se tiendra la sixième édition du congrès des dirigeants de religions mondiales et traditionnelles qui aura lieu les 10 et 11 octobre prochains à Astana. Quelle est l’ambition d’une telle manifestation ? Assiste-t-on à l’émergence d’un véritable rendez-vous international de la paix et des religions ?
- Représentants des différents cultes
- Représentants des différents cultes à l’occasion du Ve Congrès des dirigeants de religions mondiales et traditionnelles
Promouvoir le modèle Kazakh
En 2003, le Président de la République du Kazakhstan, Nursultan Nazarbayev prend l’initiative de réunir à Astana le premier congrès des dirigeants de religions mondiales et traditionnelles. Alors que le monde s’enfonçait dans un cycle de conflits post attentats du 11 septembre, ce projet original parvenait à réunir des délégations 23 pays en posant la question du rôle des religions dans la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme.
A partir de 2006, le pays accueille l’événement dans un bâtiment qui lui est dédié, le palais de la Paix et de la réconciliation, immense pyramide de 77 mètres de haut, conçue comme un point de rencontre entre le judaïsme, l’islam, le christianisme, le bouddhisme et toutes les autres religions. Elle symbolise le modèle Kazakh en matière de cohabitation pacifique des ethnies et des cultes. En effet, le pays est composé de près de 130 ethnies, représentant plus de 40 confessions. Le pays compte autour de 3 200 mosquées, églises et lieus de prière ainsi que plus de 4000 associations religieuses.
Depuis son accession au pouvoir en 1990, le président Nazarbayev a misé sur une société multiethnique comme une voie vers le développement, moyen de ne pas se couper de populations instruites et de talents, au moment où la sortie du bloc communiste devait conduire à des recompositions territoriales et une nécessaire reconstruction de l’économie. Un véritable modèle kazakh émergea donc, fait d’équilibre et de cohabitation entre ethnies et différents cultes.
C’est ainsi par son expérience que ce pays a porté la volonté d’inscrire un dialogue politique et interreligieux à l’agenda diplomatique international.
Le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, l’occasion du Ve Congrès des dirigeants de religions mondiales et traditionnelles en 2015 insiste sur la dimension politique du dialogue interconfessionnel lorsqu’il déclare « qu’en période de troubles, les leaders religieux peuvent fournir un lien unissant des communautés ensemble et un terrain commun pour faire la paix et résoudre les problèmes. » Il ajoute que « personne ne veut seulement se voir toléré, comme s'il y avait quelque chose qui n'allait pas en ce qui les concerne », […] la tolérance doit être plus active et plus dynamique. Cela veut dire tendre la main à ceux qui sont différents de nous. Cela veut dire reconnaître que nous pouvons apprendre les uns des autres, que nous pouvons tirer un bénéfice en partageant les uns avec les autres ».
Ainsi, si l’initiative du président Nazarbayev s’inscrivait en réaction à l’actualité internationale conflictuelle et à la montée des extrémismes religieux, l’institutionnalisation du rendez-vous tend à assoir cet espace de dialogue comme un véritable organe diplomatique.
Entre dialogue confessionnel et « congrès pour la paix »
Depuis 2003 le nombre de délégations représentées au cours des cinq rassemblements qui suivirent n’a cessé d’augmenter. Si la première édition avait permis de réunir 17 délégations, la cinquième avait vu arriver dans la capitale Kazakh 80 délégations représentant 42 pays.
En 2015, les invités honoraires de la Ve édition du congrès étaient le roi de Jordanie Abdullah II, le président de la république de Finlande Sauli Niinistö, le Directeur général de l’organisation islamique pour l'Education, les Sciences et la Culture Abdulaziz Othman Altwaijri, le Secrétaire général de l’OSCE Lamberto Zanier, le Président de l’Organisation de la coopération islamique, Iyad Amin Madani, et Ban Ki Moon, Secrétaire général de l’ONU. Tous, dans leurs discours, insistent sur la nécessité de renforcer le dialogue religieux afin de lutter efficacement contre ce qui menace la paix et la stabilité internationale.
Le Congrès s’est conclu par une Déclaration finale des participants appelant, entre autres, « à assurer le respect égal des religions mondiales et traditionnelles, pour ce qu'elles considèrent comme sacré et pour le sentiment religieux des croyants, tout en reconnaissant les droits inaliénables à la liberté de conscience, d'opinion, de parole et le choix ». Le thème du dernier Congrès était d’ailleurs très explicite sur l’ambition de l’événement : « les leaders religieux pour un monde sûr ».
Yerzhan Ashikbayev, vice-ministre Kazakh des affaires étrangères déclarait en 2018, à l’occasion d’une conférence de presse afin de présenter à l’ONU le prochain Congrès, que « la première priorité est d’assurer la survie de l’humanité à travers un monde débarrassé des armes nucléaires. Etant donné l’énorme contribution du Kazakhstan au processus de désarmement nucléaire et de non-prolifération et, comme pays ayant directement souffert des conséquences des essais nucléaires, nous croyons que le Kazakhstan a le droit moral de demander un monde sans arme de cette nature. A cette fin, nous souhaitons utiliser le Conseil de sécurité des Nations unies comme une plateforme pour proposer notre vision du désarmement nucléaire et de la non-prolifération. »
Organe de politique internationale, le Congrès permet ainsi au Kazakhstan d’exister sur la scène diplomatique. Si l’enjeu était d’abord de miser sur le dialogue interreligieux pour promouvoir la paix, il semble que le succès de la formule permette à Astana de réévaluer ses ambitions à la hausse en donnant à l’événement un caractère de rendez-vous incontournable pour parler de paix et d’équilibre mondial.
Le Congrès des dirigeants de religions mondiales et traditionnelles peut-il être encore plus ambitieux ?
Si jusqu’à présent, le caractère exceptionnel du Congrès, en dehors des schémas classiques de la diplomatie mondiale, lui a permis d’exister comme un lieu d’échanges informels, permettant notamment aux représentants des grandes religions de s’accorder sur des déclarations d’intentions communes, la difficulté sera de traduire les bonnes volontés exprimées en actes politiques.
Le Kazakhstan produit aujourd’hui les efforts nécessaires à la conversion du Congrès en un organe capable de porter des recommandations fortes auprès, notamment cette année, de l’ONU.
Cependant, comment poser les questions qui fâchent en matière de religion sans questionner l’agenda international ou régional de certains Etats dont la religion peut être à la fois un instrument d’influence culturelle et un vecteur de puissance relatif à l’importance de sa communauté de croyants ?
Une telle initiative risque de se confronter aux politiques nationalistes ou tout simplement réalistes à l’heure ou le multilatéralisme est malmené par des leaders choisissant la voie du protectionnisme.
Loin d’être déjà une organisation internationale des religions, l’initiative a le mérite d’exister et de porter un message de promotion de la paix. Le succès sera complet s’il parvient à être le réceptacle de résolutions de conflits ou de marques d’apaisement. Peut-être l’édition 2018 les 10 et 11 octobre prochains nous donnera-t-elle les premiers éléments de réponse ?
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