Faire oeuvre de joie...
Alors que se précise le commencement de la fin de chimériques aventures comme celle d’une « monnaie commune », adossée à rien et greffée à des sociétés ayant des économies différentes, un chercheur d’avenirs nous convie à respiritualiser notre existence.
Face à une « incertitude généralisée et durable », le polytechnicien et prospectiviste bien connu Marc Halévy nous rappelle de « servir notre destin » dans un monde dont les aiguilles tournent dans un sens résolument contraire aux plus élémentaires de nos aspirations. Un spécialiste de la complexité convie notre espèce prise dans la mutation numérique de son écosystème à faire sa « révolution spirituelle ». C’est-à-dire à « se consacrer exclusivement à l’essentiel » puisqu’en vérité, nous ne valons que par cet essentiel-là…
Il s’agit bien d’œuvrer ici et maintenant à se forger une vie en se reliant à Soi et non à ce « moi » illusoire qui est « un obstacle artificiel » à ce processus d’accomplissement cosmique. Celui qui nous fait passer de la potentialité à la réalité... Accomplir tout l’accomplissable…
Mais comment s’affranchir de cette illusion d’un « je » permanent qui fait écran avec le réel ? Comment se libérer du leurre de cet ego hypertrophié « pour que vive enfin la vie en soi » ?
Cette vie placée « sous le signe de l’absolu, de l’éternel, de l’invariant, du transcendant » perpétuerait cette intention d’accomplissement à l’œuvre dans l’univers et réaliserait la seule morale qui vaille, ainsi formulée par le philosophe : « accomplis tout l’accomplissable, ici et maintenant, au service de la Vie afin que jaillisse ta joie de vivre »…
Après tout, nous ne sommes que la somme de tous nos actes, ni plus ni moins… Et nous ne sommes là pour accomplir notre vocation profonde, car « tout homme qui, consciemment, délibérément, constamment, accomplit sa vocation d’homme vit dans la joie permanente ».
Faire œuvre de joie passe par l’exercice d’un métier « artisanal » et libre nous permettant d’assumer notre autonomie – donc de ne pas dépendre d’un « statut » dans une quelconque machinerie sociale vouée à s’achever par un « plan social » ou un collapse.
L’important est de demeurer dans l’axe de nos potentialités traduites en actes par la grâce de cette joie armée et bienveillante… Car « l’homme devient ce qu’il fait » - plus précisément « ce qui se fait à travers lui » en se mettant « au service absolu et intégral de l’œuvre impersonnelle qui passe par lui ».
Ainsi, le jeu de la vie consiste à accorder ses potentialités intérieures avec les opportunités du dehors, à repousser toujours plus loin ses limites pour grandir en vivant « chaque instant avec virtuosité » : se dépasser pour s’atteindre ? Ce programme de dépassement permettrait d’atteindre l’universel voire le cosmique et de rompre avec une conception comptable et étriquée de la vie. Celle-ci devient alors une affaire d’intuition et d’improvisation permanente, de coups de cœur et d’élans sans entrave, d’adaptations faisant le lit de belles surprises possibles... pour celui qui demeure bien conscient qu’il n’est que « la manière dont il magnifie la réalisation de ce qui se passe à travers lui et qui est universel »…
Le devenir du monde
Car « venir au monde, c’est naître comme devenir singulier et unique au sein et au service du devenir du monde »… La joie dans l’accomplissement « de soi et de son monde » suppose « l’engagement total de soi, en liberté, en volonté et en responsabilité » en mettant au travail notre « capacité de reliance » car « toute personne est à la fois affirmation de soi et reliance au monde ».
La joie naît de l’action pour les autres, selon son talent, en bâtissant un palais intérieur assez accueillant pour les recevoir – et les aider à construire le leur…
L'image taoïste de la vague et de l'océan donne une idée de l’infini contenu dans chaque vie - et la mesure de sa dilapidation quand l'on se couperait de sa source : « La vague n’existe réellement qu’en tant que manifestation de l’océan qui lui donne sa raison d’exister »…
Chacun d’entre nous vit, « à la fois, une vie intérieure précieuse et une vie communautaire utile » - autant le faire sur le mode d’un « perpétuel qui-vive, calme et souriant, bienveillant » en se laissant porter et féconder par cet infini qui donne voix à ce qui s’impatiente de s’accomplir par nous...
Le reste, c’est tout ce qui est écrit dans les livres qu’on oublie, aussitôt refermés – enfin, ceux qui divertissent, nous volent notre attention ou nous dérobent le réel… Les livres du promoteur de la « révolution noétique » nous éveillent à ce qui nous fonde et à cet univers de possibilités qui s’écrit à travers nous – à la véritable richesse qui s’impatiente de se créer par nous...
Si les aiguilles du monde s’affolent vers l'abyssale dilapidation de l'être - et le rien, il y a des paroles d’éveil pour nous rappeler de les régler dans le sens de l’intelligence de la vie ainsi que de notre vocation à la servir.
Marc Halévy, Une spiritualité pour notre siècle, Oxus, 176 p., 15 €
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