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Accueil du site > Actualités > Religions > Gaudete et exsultate : l’Église face au monde moderne

Gaudete et exsultate : l’Église face au monde moderne

Le pape François a publié en 2018 une exhortation apostolique intitulée Gaudete et exsultate, dans laquelle il traite de « l'appel à la sainteté dans le monde actuel ». Ce texte, assez iconoclaste de la part d'un pape, illustre parfaitement la volonté de l'Église catholique de s'adapter à la morale dominante (ouverture, activité, optimisme, etc.), quitte à renier un certain nombre de ses « fondamentaux » (le péché, l'ascèse, « Hors de l'Église point de salut », etc.). Cette « mise à jour » de la sainteté est révélatrice des difficultés de positionnement de l'Église vis-à-vis d'une morale mondaine qui tend à devenir hégémonique.

Je discutais l'autre jour avec un vieil ami catholique.

« Si tu devais lire un seul écrit du pape François, me dit-il, c'est son exhortation apostolique de 2018, Gaudete et exsultate. Je l'ai lue trois fois, et c'est vraiment un texte fascinant. C'est à la fois la pure expression de ce qu'est le pape François, de sa nature profonde, et un témoignage incomparable de ce qu'est devenu le catholicisme aujourd'hui.

Ce qui est très catholique dans Gaudete et exsultate, c'est la perpétuelle propension à faire la morale. Seulement il s'agit d'une morale inversée. François ne prône plus un ascétisme à la Pie X ou à la Pie XII, c'est tout le contraire, il critique la solitude, le repli sur soi (« Il n'est pas sain d'aimer le silence et de fuir la rencontre avec l'autre, de souhaiter le repos et d'éviter l'activité, de chercher la prière et de mépriser le service », 26), il veut des catholiques ouverts, dynamiques, entreprenants, qui vont dans le monde et y sèment leur joie de vivre (d'où le titre de l'exhortation, la joie étant d'ailleurs une obsession chez François, comme l'indique le titre de son texte majeur et programmatique : Evangelii Gaudium). Le pape critique particulièrement deux tendances des catholiques d'aujourd'hui : une posture de supériorité intellectuelle due à de pseudo-connaissances bibliques et exégétiques (ce qu'il appelle le « gnosticisme actuel »), et, d'un autre côté, une posture d'auto-justification et de bonne conscience due à une pureté ritualiste, à un activisme étriqué et auto-centré (le « pélagianisme actuel »). En gros, il fait la morale aux catholiques, mais en leur reprochant précisément les tendances de fond sur lesquelles leur identité s'est bâtie depuis des siècles.

Ce qu'il prône, au contraire, c'est « l'endurance », la « patience », la « douceur », la « joie », le « sens de l'humour », « l'audace », et la « ferveur ».

On voit bien quelle est la visée de tout ceci. Il s'agit, dans la lignée de Vatican II, de s'adapter à la logique du monde, une logique d'interaction et d'intersubjectivité avant tout. François prétend y voir le signe du christianisme authentique, mais tout son propos s'inscrit dans cette logique utilitariste et concrète que nous connaissons bien, en reléguant la dimension transcendante (le lien vécu avec le Christ) à des formules avant tout verbales. Il valide pleinement le grand paradigme du monde actuel, identifié par Jacques Ellul il y a déjà plusieurs décennies : le complexe technicien d'une part (il faut que cela fonctionne, que cela fasse ses preuves), le complexe émotionnello-sentimental de l'autre (c'est le rapport avec l'autre qui compte et qui donne un sens à ma vie). Tout cela est exprimé avec une conviction et une cohérence qui rendent ce texte admirable.

Bien entendu, il s'agit d'un virage à cent-quatre-vingt degrés par rapport à la tradition catholique, et d'une véritable violence qui est faite au croyant de base. Car enfin que demande-t-on au fidèle ? Qu'il casse ses habitudes et son confort (François insiste beaucoup là-dessus), qu'il ne s'enferme pas dans des attitudes répétitives (ce qui est pourtant l'attitude spontanée du croyant de base, du croyant sociologique), qu'il s'arrache à lui-même, qu'il se jette dans le monde et l'activité missionnaire, plein de joie et de confiance dans le Seigneur. On imagine aisément le désarroi du vieux paroissien face à de telles injonctions. Car, et c'est très caractéristique, François ne s'adresse pas aux vieux, mais aux jeunes (il a d'ailleurs écrit une autre exhortation spécifiquement destinée à la jeunesse, Christus vivit). Il emboîte le pas au monde. Avec lui, le christianisme n'est plus une consolation pour ceux qui vont mourir (et, compte tenu de la démographie, la mort va pourtant devenir une préoccupation de plus en plus majoritaire, surtout chez les catholiques sociologiques), mais une sorte de méthode de développement personnel à destination des actifs, pour bien s'intégrer dans le monde. Bien sûr, François critique l'individualisme et le consumérisme de la société, de façon tout à fait pertinente d'ailleurs. Mais ce qu'il préconise concrètement, c'est exactement la logique du monde : ouverture à l'autre et adaptation au réel.

Une telle position est intenable pour le chrétien de base (rappelons que Gaudete et exsultate traite de la sainteté dans le monde actuel), et devait forcément engendrer une réaction, un retour vers les fondamentaux du catholicisme : le silence, le rite, la prière, la dévotion individuelle, la tension vers l'éternité et l'au-delà. C'est exactement ce qui s'est produit avec la série d'ouvrages ultra-réactionnaires et conservateurs publiés par le cardinal Robert Sarah ces dernières années : Dieu ou rien (2015), La Force du silence (2016), Le soir approche et déjà le jour baisse (2019), Pour l'éternité (2021), etc. Les très bons chiffres de vente réalisés par ces ouvrages montrent bien de quel côté le cœur des fidèles penche vraiment.

Ce que tout cela traduit, c'est la grave crise d'identité dont le catholicisme n'arrive pas à sortir, malgré (ou à cause de) la tentative d'aggiornamento de Vatican II. Le catholicisme reste tiraillé entre ses racines dévotionnelles et anti-mondernes d'une part, et sa volonté de s'intégrer et de peser sur le monde de l'autre. Ces tiraillements n'affectent pas vraiment la structure de base de l'Église qui se maintient sans vaciller quoi qu'il arrive, par inertie sociologique, ce qui prouve, si besoin en était, la perte d'influence des écrits du Magistère, qui n'émeuvent plus grand-monde.


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39 réactions à cet article    


  • Yann Esteveny 20 avril 2022 09:46

    Message à tous,

    Un catholique ne perd pas son temps avec l’employé mondialiste au Vatican.

    La Foi est une affaire sérieuse.

      Lire les 15 réponses ▼ (de Pierre Régnier, Yann Esteveny, Laconique, Samson)

    • njama njama 20 avril 2022 11:08

      il critique la solitude, le repli sur soi

      Quand l’Église abolira le célibat (décret pontifical en 1074 )

      que rien dans les Évangiles ni dans l’Ancien Testament ne saurait justifier, elle avancera...

      symboliquement ce serait un bon début, on défait une loi par la loi, un décret par un décret qui abroge, seul le pape peut en décider, mais François, ce jésuite, osera-t-il faire ce pas en avant que ses prédécesseurs n’ont jamais fait

      Quand l’Église relativisera les positions dogmatiques qu’elle charrie depuis Nicée, et revenir à une simplicité évangélique, elle commencera à s’ouvrir « à l’autre »...

      Le bon côté est de voir qu’elle prend conscience que quelque chose dans ses choix ne marche pas, elle ne cesse de se questionner sur elle-même

      Elle s’est tant embourgeoisée depuis le Moyen-âge qu’elle en est devenue psychorigide, amidonnée et ampoulée par les siècles et les ors qui lui donnent des airs de Majesté, qu’elle ne sait pas ni plus comment faire pour se débarrasser de ses oripeaux pour revenir à l’Essentiel

        Lire les 4 réponses ▼ (de Pierre Régnier, Pascal L, Samson)

      • Étirév 20 avril 2022 11:18

        « l’Église face au monde moderne »
        Et L’Eglise face à elle-même, dans ce Monde Moderne, cette fin de Cycle où tout devient si évident et si LUMINEUX.


        • njama njama 20 avril 2022 11:38

          « l’appel à la sainteté dans le monde actuel »

          En langage simple, c’est l’Appel au Bien (au sens évangélique), à la sainteté ça sonne grandiloquent, condescendant, et prétentieux, qui est saint ? -, ce qui implique un retour au sens moral, à l’Esprit, aux actes plus qu’aux prières.

          Cette « mise à jour » de la sainteté est révélatrice des difficultés de positionnement de l’Église vis-à-vis d’une morale mondaine qui tend à devenir hégémonique.

          Une morale mondaine qu’elle entretenait elle-même dans une sorte d’hégémonie de caste, dans un entre-soi au plan spirituel, assez exclusif, voire sectaire, le « Hors de l’Église point de salut » ?

          Pour la « mise à jour », elle avance à petits pas, ce qui est déjà une direction... pour se réformer. Pas facile de sortir de la zone de confort que lui inspirait son Histoire bi-millénaire

          Elle s’inspire très certainement je crois de la Révélation d’Arès, qu’elle connaît, dont elle n’ignore pas l’existence depuis sa publication, presque dès la première heure, vu qu’elle avait été adressée à une centaine de dignitaires religieux, chrétiens (catholiques, orthodoxes,...), musulmans et juifs, et donc au Vatican.

            Lire les 6 réponses ▼ (de Pascal L, Samson, Pierre Régnier)

          • njama njama 20 avril 2022 11:48

            La Révélation d’Arès, en résumé elle serait une « mise à jour » logiCiel pour ce vieux christianisme essoufflé, de manière plus large pour la Spiritualité en Occident...

            Sa première partie nommée Évangile (Christophanies en 1974) est plus spécifiquement à destination de l’occident chrétien. La seconde nommée « Le Livre » (Théophanies en 1977) est plus générale dans la continuité des monothéismes.

            L’ensemble peut s’adresser également aux athées, aux agnostiques, nommés « les scandalisés », ou « les frères des steppes », ceux qui ont été dégoutés de la religion, des malices de ses prêtres, intoxiqués par les amphigouris théologiques qui détournent du Vrai. Ils pourraient y puiser de la sagesse, un renouveau existentiel...

             ..., tu aideras l’opprimé contre l’oppresseur, le spolié contre le spoliateur ; avec tes frères des steppes, ceux qui ne prononcent pas Mon Nom, tu établiras l’équité. Mieux vaut qu’elle s’établisse sans Mon Nom plutôt qu’en Mon Nom règne ce que J’ai en horreur. » (28/10-11)

            En plus c’est gratos pour en prendre connaissance, elle est en ligne, On la trouve éditée en français version papier (15€), en édition bilingue anglais — français , et bilingue allemand — français (Die Offenbarung von Arès).


            • Laconique Laconique 20 avril 2022 14:41

              @njama

              Hé oui, vous m’aviez déjà parlé de la Révélation d’Arès, il y a longtemps déjà. J’ai un peu regardé de quoi il retourne, mais je n’ai pas creusé. Disons que j’ai trouvé mon bonheur ailleurs. J’admire en tout cas votre constance en ce qui concerne vos orientations spirituelles.


            • njama njama 20 avril 2022 15:09

              @Laconique
              Merci pour votre réponse à mes commentaires. On peut tout à fait trouver son bonheurs ailleurs, bien sûr, l’essentiel est de se sentir bien « enraciné » (référence à Simone Weil L’enracinement...).
              Effectivement on s’est croisé plusieurs fois sur AV, comme dans votre article Jacques Ellul : mort et espérance de la résurrection
              où j’avais laissé quelques commentaires dont celui-ci avec cette citation qui laisse très ouvertement penser que cette Révélation s’adresse à la chrétienté au sens aussi large que vaste...

              njama 19 juillet 2020 16:14

              @bartelby
              Libre à vous d’en faire ce que vous voulez, je passe le Message c’est tout, je ne suis qu’un petit facteur.
              Je le prends comme un update à destination de l’Occident chrétien principalement, du moins la première partie dite Évangile Révélé en 1974.

              « Les épis les plus lourds seront les plus difficiles à gerber : ceux poussés à Rome et à Athènes. Un rempart d’épines les tient loin de ta faux ; un orgueil inouï dresse leurs tiges comme des lances.
              Que ton courage ne faiblisse pas devant eux, car ils sont Ma plus belle Récolte... »
              (14/2-3)
              « Car la Vérité, c’est que le monde doit changer, Je n’ai rien dit d’autre à Mes Témoins. Ma Parole est la Loi Qui vient ; les nations s’Y sont-elles encore jamais soumises ? Même Pierre ne L’a pas accomplie. » (28/7)

              Lire la suite ▼

            • njama njama 20 avril 2022 15:42

              @Laconique
              Laconique 19 juillet 2020 12:45
              @njama
              Le Dieu chrétien n’est pas un dieu distant et inaccessible. Il s’est fait proche de nous en embrassant notre nature, dans toutes ses dimensions, jusqu’au bout....

              --------------------
              la preuve, « Rome et Athènes ... ma plus belle récolte »
              Dieu n’est jamais distant, en dépit de nos faiblesses... qui sûrement le désespèrent.
              Je comprends qu’au travers de chaque Révélation portée par petits et grands prophètes depuis Adam, c’est Sa Majesté qui s’abaisse avec tout ce qu’Elle a de a Magnanimité, d’Indulgence,de Clémence... pour remettre l’homme, Sa Créature« dans la bonne direction...
              La Barque de Pierre est un très lourd navire qui, en dépit de ses montagnes de bonnes intentions charitables, a dérivé petit à petit au fil des siècles, en raison de courants insidieux, de vents contraires, de mauvaises cartes marines, de quelques mauvais matelots aussi... mais elle flotte encore...
              alors si cette Révélation d’Arès pouvait l’inspirer pour rectifier sa trajectoire tant spirituelle que matérielle...
              mais plus que le travail d’un clergé, ce serait aussi le travail de tous, l’Église dans son sens premier d’Assemblée. Un travail patient, »quatre générations n’y suffiront pas" nous dit cette Parole inattendue.

              Lire la suite ▼

            • Fergus Fergus 20 avril 2022 13:26

              Bonjour, Laconique

              Très franchement, je n’ai pas d’avis personnel sur l’évolution du catholique.

              En revanche, j’ai réagi à votre titre qui m’a remis en tête deux monuments de la musique, l’un appartenant au répertoire de la musique traditionnelle et l’autre à celui de la musique classique. Les voici, pour le plaisir :

              Gaudete par Steeleye Span

              Exsultate Jubilate de Mozart, ici par Regula Mühlemann et la Staatskapelle de Dresde


              • Fergus Fergus 20 avril 2022 13:28

                Erratum :
                ... pas d’avis personnel sur l’évolution de la religion catholique.


              • Laconique Laconique 20 avril 2022 14:42

                @Fergus

                Thank you Fergus for these two pieces of music. I didn’t know them. Quite impressive.


              • Pascal L 21 avril 2022 14:44

                @Fergus
                Tant qu’il est possible pour un chrétien de rencontrer Jésus, vous n’avez pas d’inquiétude à avoir sur la religion catholique.


              • christophe nicolas christophe nicolas 20 avril 2022 14:57

                L’Eglise est le corps mystique du Christ où les saints sont entourés de miracles et certainement pas une institution symbolique, culturelle et écolière comme certains vieux croûtons enfumeurs le désireraient D’ailleurs, les lois de l’univers répondent à Dieu et pas aux cadors de l’éducation nationale qui se sont totalement plantés et dont le sommet s’est parjuré en 2012.

                Un bande de faiseurs de guerres, voilà ce que sont devenues les académies scientifiques qui prétendent décrire les lois de l’univers et dicter aux peuples une façon de penser erronée. Les singes de l’enfer qui prétendent que l’homme a marché sur la lune seront défaits et vaincus .

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