Honneur et vengeance dans les communautés polythéistes et plus largement païennes, mais aussi dans le monde occidental
Dans cet article, nous traiterons de choses démentielles, en ce sens qu'elles dépassent de beaucoup le quotidien, et qu'il faut peut-être en prendre la mesure, si possible, pour apprécier sa teneur. « Tout » part d'un constat au sein de la, ou plutôt des, communautés polythéistes, plus largement païennes, qui s'expriment online, mais qui existent aussi IRL (in real life, dans la vie réelle) – les unes recoupant parfois les autres, sans nécessité, et réciproquement. Ce constat, c'est l'observation des dynamiques à l'oeuvre, concernant les moeurs d'honneur et de vengeance.
Mais d'emblée, il faut dire que cette dynamique ne concerne pas que les communautés évoquées : les communautés évoquées en sont, en quelque sorte, un genre de baromètre. En effet, ces communautés, en tant qu'elles se placent doublement « à faux » par rapport à l'héritage monothéiste et par rapport au devenir-laïc de cet héritage, présentent l'avantage d'en être des réceptacles originaux.
Ainsi, tout comme en médecine les phénomènes originaux permettent de comprendre rétroactivement les phénomènes normaux, ces communautés permettent de comprendre rétroactivement la société normale – si seulement elle existe.
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De nos jours dépassionnés/affaiblis (selon perspective)
Qu'est-ce que l'honneur, aujourd'hui ?... Plutôt que de le définir abstraitement, constatons qu'il n'est plus mobilisé que dans un seul contexte : celui des documents administratifs, quand plus aucun justificatif n'est productible – puisque, à un moment donné, il faut bien « s'en remettre aux choses de la vie ».
Ce contexte, c'est précisément celui d'une signature, où l'on vous demande sur l'honneur que l'ensemble des renseignements fournis est juste. À ce point, il n'y a donc pas de preuve que ce que vous avez renseigné est juste, mais si jamais une contre-preuve était constituée, votre signature sur l'honneur vous vaudrait des sanctions pénales et administratives.
En somme ? Vous auriez été injuste, vos renseignements ne seraient pas fiables, et moins que sous le coup de l'immoralité (« tu as trahi ta parole, ton serment ! ») cela tomberait sous le coup seul de l'illégalité. Illégalité qui, quoi qu'illégale, peut être jugée légitime selon les circonstances ou les perspectives... donc pas de quoi fouetter un chat, et d'ailleurs, le document suivant où l'on vous demanderait de signer sur l'honneur, le cas serait considéré indépendamment du précédent, où vous aviez été injuste et prouvé illégal. En somme ? Comme le disait Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra, de la Nouvelle Idole : « L'Etat est le plus froid des monstres froids. »
Quant à la vengeance, de nos jours, pour les bonnes manières elle est considérée comme le contraire de la justice, méchanceté pure et simple, « tribale ». Pour nous autres Modernes, la légalité de textes de lois (« le Droit ») évalués au cas par cas par la magistrature et sa jurisprudence (« la Justice ») dispose d'une légitimité apparemment inaliénable (« le verdict, l'innocentement ou la condamnation ») de sorte que tel assassin violeur pédophile – heureusement arrêté par la police, pour les besoins de l'exemple – ne meure pas aussitôt, sous les coups conjugués des parents de sa victime (ou plus simplement, comme dans les séries noires actuelles, torturé par l'un de ses good bad guys détectives aux méthodes brutales, auxquels nos cœurs accordent une certaine légitimité).
Nous croyons bien de penser, globalement, qu'il vaut mieux que « l'Etat soit le plus froid des monstres froids » et que la peine de mort soit abolie au maximum, dans la veine des Droits de l'Homme et du Citoyen, par une sorte de métaphysique post-chrétienne postulant que « seul Dieu est juge » ou du moins, questionnant, émotionnée d'indignation : « qui sommes-nous pour juger ? » et nous nous efforçons de nous faire une raison, tout en enchaînant des heures en série devant 24h Chrono en « péché mignon »... et le lendemain, mieux militer pour la fermeture de sites tels que la prison de Guantanamo.
Mais qu'aucun inconnu, ni qu'aucun de nos collègues, voisins ou même proches, n'ose se mettre en travers de notre chemin : « c'est de notre liberté que de pouvoir nous venger si possible discrètement, et nous ne nous gênerons pas pour le faire quand l'envie nous en prendra ». (Mais bon ce n'était pas sympa, et nous demanderons pardon, lors d'un énième show à la télévision états-unienne, avant de nous remettre sur la gueule.)
Notre sens de la justice est irréprochable, et les malheureux qui restent effectivement gentils dans toute cette chienlit, ont quand même le droit de se lâcher ès russophobie, et en tout cas subissent – plus ou moins érémitiques – ce business as usual. Bref : c'est la marre aux canards, le panier de crabes, le nid de guêpes, le nœud de vipères, que notre Modernité grand M... « Justice partout police nulle part. » (sic)
« Le bouddhisme chrétien »
Nous sortons d'un monde ouvertement chrétien, qui s'assumait comme tel, et qui vantait – malgré ses contradictions – le précepte christique selon lequel il fallait « tendre l'autre joue ». Vous savez ? Accepter le statut de victime, plutôt que la loi du Talion (« œil pour œil, dent pour dent ») du Proche-Orient (les Anciens Germano-Scandinaves avaient le fameux wergeld, le prix de l'homme/du sang versé – les Romains avait la mulcta, même logique d'amendes – etc.).
Et pourtant, le malentendu guerrier fut cultivé en grand par l'Eglise, puis tous les mouvements chrétiens en dehors d'elle ! Mouvements soi-disant meilleurs que les catholiques ou non (car il faut déjà sacrément manquer d'humilité, et même de charité, pour prétendre ça ! Surtout quand on a la nouveauté sans Histoire et le modernisme pour soi ! – enfin passons, les délires protestants ne sont pas exactement notre sujet).
Ce que je voulais dire, c'est que cette culture du malentendu christique a pourtant abouti, à l'époque moderne, à une sorte de pacifisme chrétien dont le christianisme était exempt auparavant (sans qu'on lui en veuille alors pour cela) engendrant ainsi la détestation sans pardon envers son passé – au christianisme – que l'on soit chrétien (surtout protestant) ou non.
Et d'accoucher enfin aujourd'hui, de cette idée New Age que le Christ serait un bouddha entre les bouddhas, depuis la Beat Generation... et finalement, le Dalaï-lama de renoncer à toute prétention de souveraineté sur le Tibet récemment, malgré l'invasion chinoise. Les militants ne crieront plus sans absurdité : « Vive le Tibet libre ! » hélas... Comprenne qui peut.
Mais, vers la fin de l'époque féodale, une des expressions les plus sublimes du suicide de la morale aristocratique, a été les Maximes de François VI duc de La Rochefoucauld : tout l'honneur dont la défense implique parfois la vengeance, a été condamné sous l'anathème infamant dans le monde chrétien de l'amour-propre, si vous voulez de l'ego. Maxime 201 : « Nous sommes plus près de nos ennemis par nos vices que de nos amis par nos vertus »...
De nos jours c'est toujours ce rochefoucaldisme qui parle, lorsque quiconque abonde contre l'ego – New Ager ou pas. Cela, de la bouche-même de nombre de post-chrétiens, anti-chrétiens voire « néopaïens » ! Tout le monde craint et préfère ne plus bouger, plutôt que de se sentir « vicieux comme son ennemi » alors qu'il s'agit d'une inévitable pugnacité existentielle. Et ce qu'on nomme alors « s'élever spirituellement » n'est jamais qu'une resucée sécularisée – voire « paganisée » – de la morale chrétienne anti-honneur de La Rochefoucauld. (Le rochefoucaldisme règne même dans les milieux huppés de France imbus d'amour-propre, pour les bonnes manières. Faut-il que je vous fasse un dessin ?)
Et ainsi tout un chacun de vouloir s'anéantir dans ce qu'il est communément possible d'appeler « le bouddhisme chrétien »... qui n'a rien à voir avec le bouddhisme oriental, pas plus qu'avec le christianisme original jusque dans la féodalité, encore que tout y ait contribué à sa manière occidentale – socioculturellement parlant.
De l'honneur et la vengeance à... l'amabilité
Le sens de la réputation, actuellement, n'est donc plus dans l'honneur, mais, pour le moins, à l'amabilité. Plutôt que de se venger, il faut paraître aimable.
Or l'amabilité, c'est la possibilité d'être aimé – sinon par Dieu, du moins par autrui désormais – et par-dessus tout la crainte-panique d'être désaimé voire détesté (quoi que d'aucuns fassent style d'être « au-delà de tout ça », parfois en l'étant bien à leur manière – toujours à préférer la qualité à la quantité).
Au reste, étant donné que, dans le monde judéo-chrétien, la vengeance devrait venir du Dieu exclusif – sinon dans la vie, du moins dans la mort, et au pire à la Fin des Temps, au jour du Jugement Dernier – il est préconisé désormais, que les affects revanchards soient investis dans l'Institution et au pire l'Idée, d'une Justice éternelle que certains musulmans combatifs veulent réaliser kamikazes...
Justice qui naufrage dans une manière erronée de parler de karma, inch Allah ou pas (karma, qui n'a rien à voir avec la moralité monothéiste mais avec l'intellectualité hindoue) jusque dans des séries aussi piètrement loufoques que Earl en l'an 2000 : le gars sympa qui de petite frappe à la noix, est censé devenir aimable en se rachetant auprès de ceux qu'il aurait doucement lésé. « Repentez-vous, qu'ils disaient, vous y verrez du pays ! »
Un monde sans face
L'honneur moderne ou ce qui semble en tenir lieu, implique de (savoir) perdre la face, et même de ne pas avoir de face, en renonçant à toute vengeance encore qu'on en nourrit l'esprit en permanence ès ressentiments, c'est-à-dire ès dissentiments rentrés.
Sigmund Freud avait bien fait remarquer que ce qu'on appelle « civilisation » ne tient pas à grand-chose, et certes son époque le voyait entre deux guerres mondiales. (Si cela a changé quelque chose à la donne humaine, nous voyons aujourd'hui toujours que non, malgré les rages antifascistes néo-fascistes dans leur genre néo-bolchevique devant les groupuscules néo-nazis, si vous me suivez.)
Pendant ce temps, on se met sur la gueule entre pauvres, bénéficiaires de la CAF et autres simili-racailles issues de la classe moyenne, en se mettant sur la gueule pour la moindre question de face, on ose appeler cela « le respect », et Emmanuel Macron s'exclame en gang élyséen : « Qu'ils viennent me chercher ! » Le tout naturellement, en finissant par s'exclamer au JT : « Vive la République, et vive la France ! »... c'est-à-dire que le monde des interfaces, télévisuelles ou socio-réseautiques, est un monde dépourvu de face, en effet.
Or le premier qui s'ébroue sera décrié pour non-aimable ! Mais ce décriement est sans jugement, bien entendu... En fait, de même que Nietzsche disait d'Eros « qu'il n'était pas mort du christianisme, mais qu'il en était devenu vicieux »... l'honneur et la vengeance ne sont pas morts du christianisme, mais en sont devenus vicieux.
À côté de cela, comment ne pas trouver (ne serait-ce qu'un peu) l'islamisme plus noble ? Lui qui n'hésite pas à affirmer la noblesse du djihad, sur la base romantique récupérée de moudjahidin pourtant anti-charia, tels que le commandant Massoud au Penjab pakistanais, héritier d'un islam « des Lumières » mutazilites (mais néanmoins islamique, et rien qu'islamique, dans son genre) ? L'hypocrisie d'applaudir son honneur et sa vengeance, alors que nous nous les interdisons chez nous face aux islamistes de la charia !... Sans parler du romantisme récupéré sur la base de Lawrence d'Arabie ou, plus récemment au cinéma, de Paul Muad'Dib aka le Kwisatz Haderach dans Dune (encore que Dune soit grinçant avec la religion) ?
« Fin de race... » Cette sentence est autant une déploration d'extrême-droite qu'une insulte répandue parmi les racistes anti-Blancs pour désigner l'Occident (certains gauchistes adorent, sans comprendre qu'ils sont englobés parmi ces Blancs). Elle signifie que les descendants de l'Occident sont aujourd'hui sans face – sans honneur ni faculté de vengeance – pétris par leurs problématiques identitaires/diversitaires.
Quid des communautés polythéistes, et plus largement païennes ?
Nous distinguons les communautés polythéistes et païennes, en ce sens que les communautés polythéistes peuvent certes être jugées païennes par les monothéistes ou les laïcs (qui reprennent ce vocable de païen hérité) que ces communautés polythéistes gardent un caractère plus traditionnel que les communautés païennes au sens large. Communautés païennes qui dérivent souvent vers des formes de New Age et autres fallaces voire politicardises – même quand elles contiennent, facultativement, du polythéisme.
Mais enfin ces communautés, quelles qu'elles soient, ont permis de quintessencier la dynamique de l'honneur et de la vengeance, car elles sont traversées par ces attitudes. D'une part, par héritage monothéiste subconscient ; d'autre part, par revendication antimonothéiste-propolythéiste-propaïenne consciente... cette revendication serait-elle caricaturalement sommaire (or, elle l'est, caricaturalement sommaire) car elle agit dans le sens monothéiste de sa diabolisation.
Nous avons bien vu que ces communautés n'étaient pas exemptes de modernité, de morale contemporaine, post-chrétienne, c'est l'évidence. Elles ont même largement tendance à s'y vautrer, et à n'y rien valoir de ce qu'elles prétendent être. Cela dit nous n'en voudront pas aux milieux de la sorcellerie, ainsi qu'aux milieux du New Age. Le New Age est précisément un fleuron de la morale contemporaine.
La sorcellerie, quant à elle, est une pratique, une technique rituélique pour lancer des sorts, indépendante de toute culture, quoi qu'elle se serve symbologiquement des cultures – des univers mentaux et leurs associations d'idées – pour concentrer une éventuelle magie. Aussi la sorcellerie occidentale peut être sans scrupule partie de cette morale contemporaine et ses dérives, que cela n'ôte rien à la sorcellerie en tant que telle... encore que le dépassionnement/l'affaiblissement (selon perspective) d'une telle morale, risque toujours de faire perdre toute puissance aux sorciers... pour la simple raison que le monothéisme dont elle est largement issue – cette morale – condamne la sorcellerie.
Et tant pis si le monothéisme a ses formes de magies divines et autres bestiaires anges-et-démoniques, on se rangera narquoisement du côté satanique et luciférien pour se donner un genre, mais aussi du courage, et renouer autant que possible avec des forces refoulées. De sorte qu'on n'y ait pas nécessairement d'honneur, mais qu'on s'y construise certainement une face en béton armé, et qu'on s'y venge allègrement.
Mais les polythéistes – en tant que religieux – n'ont pas besoin d'être sorciers (et réciproquement) et encore moins sataniques, ni lucifériens sauf si c'est au souvenir de Vénus... et le Dieu exclusif, pour un polythéiste, peut même trouver sa placer entre deux Dieux & Déesses, avec quelques aménagements. (Or, que les musulmans contradictoirement antisémites et antichrétiens ne s'imaginent pas indemnes : car si l'on sait que le judaïsme fut un hénothéisme – ne disant pas bibliquement que les autres Dieux & Déesses étaient faux, simplement à exclure dans la démarche israélite – il appert que le premier islamisme fut dans la veine isréalite.)
Bref. Concentrons-nous enfin, sur l'honneur et la vengeance de cultures polythéistes.
Honneur et vengeance antiques
Disons-le tout de go : dans la gloire comme dans le châtiment, non seulement les Anciens gardaient la face, mais ils se faisaient un honneur de la porter fièrement, quittes à assumer fièrement leurs fautes et la condamnation qui va avec.
Loin de toute philosophie en sa démarche, et bien que ses proches l'auraient exempté de déshonneur en estimant son verdict injuste, c'est bien ainsi qu'il faut comprendre pourquoi Socrate ne s'est pas enfui d'Athènes et qu'il but sa ciguë : pour l'honneur. C'est-à-dire qu'une des figures fondamentales de la tradition européenne jusqu'à nos jours, même au prisme du christianisme qui en fit malinterprétativement « un Christ païen », Socrate n'a fait que défendre son honneur.
Dans la situation de la trahison du Christ, un Jésus païen (appelons-le Esus, pour sacrifier à un certain hermétisme) aurait tout fait pour que sa Passion soit appelée sa Gloire, en ce sens qu'il n'en aurait pas geint mais qu'il aurait « porté sa croix » comme un gladiateur, sans chercher à attirer la compassion autrement qu'au travers de sa vaillance – et non au travers de sa souffrance.
Esus n'aurait pas cherché à faire pitié, en prétendant prendre sur soi les péchés du monde. Au contraire, il aurait souhaité laisser un souvenir plein de dignité, afin d'inspirer à la postérité la bravoure dans l'épreuve.
Au lieu de quoi, le message chrétien s'est résumé à haranguer fielleusement un « si vous souffrez, ce n'est rien à côté des souffrances du Christ » comme s'il y avait là un concours de bites inversé ! Comme si d'aucuns sur Terre, n'avaient pas souffert pire souffrance que Jésus – encore que ses souffrances furent certes « bien senties ». Au moins, notre Esus n'aurait pas donné dans le misérabilisme, ni la prétention d'être le maître-étalon de toute souffrance future, en trichant encore sur sa capacité à annuler les fautes d'autrui !
L'honneur ancien, implique que l'on se venge quand l'affront est conséquent... et qu'il n'est pas honteux d'accorder à son adversaire la dignité d'une vengeance – car certes, dans certains cas, « l'affront » n'en est pas un. Où refuser de se venger sert avant tout l'humiliation d'autrui, au besoin. Le silence devait être un signe de dédain avant tout – et non, comme aujourd'hui, un refus de garder la face au prétexte que garder la face « c'est le Mal engendré par le Mal engendrant le Mal ».
Il faut parfois combattre le Mal par le Mal – n'en déplaise à La Rochefoucauld, ou à Jésus, et la similitude des moyens avec l'ennemi ne nous rapproche pas de lui : ce sont juste les seuls moyens à disposition, par lesquels on s'honore.
Quelques exemples mythiques
Commençons par parler de Víðarr dans le mythe nordique, fils d'Oðinn vengeant son père du loup Fenrir lors du Ragnarök. Víðarr est associé à la vengeance et... au silence. Tout y est de ce que je viens de dire, sur le fait de ne pas répliquer pour dédaigner, mais aussi de la nécessité de répliquer pour l'honneur. On pourrait même s'amuser, avec l'étymologie de son nom (Celui qui règne au loin), en rappelant que « la vengeance est un plat qui se mange froid ». À bons entendeurs.
Côté celtique, attendez voir : par souci d'égalité avec son roi-époux (car les Celtes sont réputés pour avoir été une culture fortement égalitaire – plus égalitaire que la nordique, soit dit en passant) la reine Mev (Mebd, Maeve) souhaite compléter son cheptel du plus beau taureau de l'Eire – toute l'Irlande, dans le mythe. Pour cela, elle le demande au roi d'Ulster qui le possède, mais qui refuse in extremis d'accéder à sa demande à cause d'une vexation. Et que fait-elle ? Elle envoie les autres royaumes d'Eire sur l'Ulster, pour parvenir à ses fins. Que ce soit le roi d'Ulster ou Mev, il s'agit de sauver l'honneur – devant son époux, devant le refus, devant la vexation. Il y a là une guerre, qui fait passer même les féministes wokes pour des saintes.
Chez les Celtes toujours : côté gallois, Rhiannon est malencontreusement promise à un homme qu'elle n'aime pas, et doublement même par l'erreur de Pwyll qu'elle aime. Plutôt que d'honorer leur engagement, que font les amants ? Ils organisent le stratagème légal, par lequel Gwawl le malaimé se verra privé de Rhiannon, et Pwyll et elle enfin heureux. Cela n'est pas sans jeu aux limites de l'honneur et de la vengeance, mais Gwawl est clairement désigné pour moins honorable et la vengeance malencontreuse, est justifiée.
J'ai parlé de l'historique Socrate, chez les Hellènes. Si l'on pioche dans les mythes hellènes, il me semble que nous soyons servis, au sujet des vengeances. Prométhée, Médée, Athéna... leurs histoires mériteraient d'être étudiées dans la perspective de l'honneur et de la vengeance, mais leurs mythes sont si connus que je vous renvoie vers leurs descriptions et analyses diverses.
La religion romaine a été hellénisée, mais par elle-même elle dispose de divinités archaïques telles que le couple de Saturne et Lua, peut-être tiré des Etrusques. Enfin on sait comment, sous l'influence hellène, Saturne est castré par son fils Jupiter pour libérer ses frères et sœurs de sa cruelle autorité... Mais les mythes romains ont tourné à la légende dès l'antiquité – contrairement aux mythes celtes, rendus légendaires par leur rédaction durant l'époque chrétienne. Et chez les Romains anciens, on raconte que Tullia Minor roula en char sur le corps de son propre roi-père, qu'elle avait fait assassiner par son époux Tarquinus Superbus – Tarquin le Superbe, rien à voir avec le groupe de rock...
C'est-à-dire que, comme la Celte Mev, Tullia Minor se vengea des limites que lui avaient imposées son père, en bafouant même un cadavre. D'aucuns voudront en conclure que les Romains auraient « décidément toujours été gratinés », mais l'Histoire de Mev n'a rien à lui envier, et il faut supposer que les antiques bardes en avaient de croustillantes à raconter à propos des Celtes... (À l'adresse de ceux qui les angélisent en démonisant Rome.)
Enfin, puisque j'ai à coeur le monde ibère de confluence punique et hellénique – monde que les légendes donnent pour frère du celte car il influença les Celtes, différenciant ainsi ces Indo-Européens des autres – au point que Georges Dumézil, avec les Hellènes, les disent « moins Indo-Européens » ou du moins « divergents » – rappelons que la Déesse Tanit, épouse du Dieu-Roi, tenait à faire l'amour avec un mortel. Ce dernier, effrayé devant sa stature et celle du cocu, voulait fuir, mais Tanit le divinisa en Dieu-Serpent pour obtenir ce qu'elle voulait. Il s'agit bien, pour le mortel d'abord, d'une question d'honneur, pour laquelle la Déesse trouva un stratagème – elle qui matronnait des temples peuplés de prostituées sacrées. Les monothéistes s'en sont vengés.
Bref, tous ces mythes et légendes ont d'autres niveaux de lectures symboliques et métaphysiques, qui rendraient ce déjà long article, harassant. Dialectique de l'éternité et de la saisonnalité qui nécessite une maîtrise intellectuelle et créative. Mais c'est généralement vers de telles abstractions, que courent les Modernes, pour ne pas avoir à assumer la rudesse de leurs croyances polythéistes... comme s'ils honoraient leurs mythes et légendes, en ne les traitant que spéculativement !
Car, en ignorant la rudesse de l'honneur et de la vengeance, ils perdent une valeur hautement symbolique et métaphysique – pour ne pas dire toute la valeur symbolique et métaphysique, si seulement ils allaient jusque là dans leurs démarches... et si seulement ils s'étaient renseignés sur les mythes et légendes !
Conclusion
D'ici que les « néopaïens » retrouvent l'honneur et la vengeance idoine – déviciés – de l'eau coulera sous les ponts.
Nous jugeons tribales, sauvages ces passions, mais c'est un jugement sans sens historique, dépourvu d'anthropologie culturelle et historique. On n'avait anciennement pas le choix. D'autant plus que notre Droit, découlant du romain doublé du monothéisme (encore que certains historiens trouvent des influences celtes et germano-scandinaves jusqu'à nos jours), conserve une logique de compensations contenue dans l'honneur et la vengeance, tout en les annulant.
S'il concernait des sociétés exotiques actuelles, le jugement de tribal, sauvage serait qualifié de xénophobe et raciste. Il faut admettre qu'il l'est. Les tribus, sauvageries en question étaient tout un phénomène de civilisation européenne, en fait régulé par son Droit spécifique. Retrouver l'essence pré-chrétienne, ou généralement non-monothéiste, de l'honneur et de la vengeance, c'est retrouver une autre droiture, car il est évident qu'un honneur et une vengeance raisonnables existent, qu'ils n'ont rien de vicieux, qu'ils sont légitimes, et rentrent même dans le cadre de la Justice.
Dans le « néopaganisme » gloubli-boulga post-chrétien bouddhisant, généralement New Age, le vice est cultivé. Tout ce qui ne semble pas « aimable » terrorise stupidement. On préfère ne pas avoir de face, et l'on ose appeller « élévation spirituelle » des stratégies de fuite déshonorantes, c'est-à-dire, précisément, sans l'élévation spirituelle procurée par la vengeance. Pour le coup, il faut bien comprendre qu'un Nietzsche conspua l'esprit de vengeance (le ressentiment) tout en admettant la vengeance.
Au fond, aujourd'hui, la seule juge des démarches est la mauvaise conscience de notre incapacité à défendre notre honneur jusqu'à la vengeance. C'est compréhensible, mais ce n'en est pourtant pas plus honorable, et on a tort de croire s'honorer ainsi : on ne sait plus honorer ce qui s'appelle honorer, et qui implique une vaillance...
Au contraire, en prétendant que l'amabilité élève, on ne cherche rien d'autre que le salut judéo-chrétien. On perpétue ce préjugé que l'honneur, la vengeance, la face en général, sont tribaux et sauvages. On a peur de ses propres instincts, donc de sa propre nature. Comme si les Anciens en abusaient ! Comme si leurs sociétés avaient été anarchiques ! Ça, c'est la calomnie monothéiste qui le répète à vomir, mais il n'y a pas de croyance plus loufoque : « Avant moi le... Déluge !
— Or que Viðarr, Lir, Poseidôn, Jupiter et Reshef coulent l'Arche, et qu'ils noient Noé avec toute sa famille, dans les eaux divines ! »
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