Après mes deux précédents articles où je m’interrogeais sur l’interprétation d’une épître de saint Paul, puis sur le récit par Tabari du début de la prédication du Prophète, je remercie les commentateurs pour leurs propos modérés tout en constatant avec humilité les importants efforts qu’il me reste à faire pour me mettre au niveau des textes que j’essaie de comprendre et, éventuellement, d’interpréter sur quelques points de détail.
Et comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, me voilà plongé dans Wikipédia avec la ferme intention d’améliorer mes connaissances sur l’histoire de l’islam.
I. La désignation du successeur au temps des premiers califes.
A peine avais-je consulté quelques pages que se posaient à moi les premières interrogations ; alors que la révélation devait apporter la vérité et la concorde, comment expliquer le véritable imbroglio qui a suivi pour désigner les successeurs ? Pourquoi autant de controverses sur tel ou tel procédé de désignation ? Cette difficulté de désignation - pour rester dans la ligne tracée par le fondateur - serait-elle la seule explication pour qu’après le règne des quatre premiers califes, les Omeyades aient aboli le principe de l’élection en rendant le califat héréditaire dans leur famille (ce qui fait encore débat de nos jours) ?
Dès le début, il y eut en effet de graves accusations portées contre Abou Becker, le premier calife, parce qu’il n’aurait pas fait élire Omar, son successeur, par l’ensemble de la communauté ou par un conseil habilité, consultatif ou exécutif. Et c’est bien parce qu’il a voulu éviter le retour de cette polémique qu’Omar a laissé à un conseil de six sages le soin de décider de son propre successeur. Mais pourquoi six ? Ce chiffre tout ce qu’il y a de plus ordinaire est étonnant.
A cette interrogation, la réponse est facile. Le conseil désigné par Omar aurait dû compter sept sages suivant ce qui semble avoir été la coutume, ou plutôt une règle. S’il ne fut que de six, c’est uniquement parce que Omar a retiré des sept sages son fils pour qu’il ne soit pas dit qu’il aurait influencé la décision du conseil par son intermédiaire. En agissant ainsi, Omar pensait donner à cette désignation, à défaut du sceau divin, une garantie d’orthodoxie.
II. Le mystère de la désignation de Mahomet.
Pour faire simple, et pour rester dans le domaine des affaires dans lequel Mahomet est né, disons qu’à la Mecque se trouvait la classe dirigeante qui vivait presque uniquement du commerce et en dehors de la Mecque, des populations nourricières qu’il fallait bien protéger. De même que La Mecque fournissait des éléments pour encadrer les caravanes qui se rendaient en Syrie ou en d’autres lieux, il me semble qu’il devait en être de même pour encadrer les populations qui ne pouvaient vivre de leur élevage qu’en nomadisant dans ce pays d’Arabie bien particulier où il faut sans cesse courir à la recherche des pâturages.
Supposons que les éléments détachés par La Mecque auprès de ces caravanes de l’intérieur aient été des groupes de sept hommes suivant, comme je l’ai dit, ce qui semble être une coutume ou une règle. Supposons que l’un de ces groupes/conseils se soit appelé Mahomet.
Alors, dans le contexte que je viens d’évoquer, on comprendrait qu’à défaut de pouvoir être désigné par un conseil de sages - la sagesse de l’islam n’existant pas encore - c’est par ses propres oeuvres que notre conseil Mahomet se serait révélé comme désigné par Dieu.
Alors, on comprendrait ensuite que c’est par ses oeuvres que l’homme Mahomet se serait révélé - désigné - au sein de ce conseil. Comme les textes esséniens et les évangiles l’expliquent - et cela en toute logique - ce sont par les oeuvres du désigné que se révèle le choix divin. Tout étant dans la nuance et dans la formulation, mon hypothèse n’est pas en contradiction avec l’enseignement traditionnel comme, par exemple, l’appel de l’ange Gabriel (voyez mon article à ce sujet
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/les-origines-esseniennes-du-16307). Il est bon de le préciser afin d’ éviter toute polémique stérile. Je précise également qu’il appartient au lecteur de comprendre la parole de Dieu suivant ses croyances, soit que cette parole vienne du ciel, soit qu’elle vienne de sa conscience, soit autrement. Il s’agit là d’un débat théologique et philosophique pour lequel je ne suis pas habilité.
III. Argumentation : mon interprétation de l’histoire d’Halîmah (1).
Ibn Ishâq raconte avec force détails comment l’enfant orphelin fut recueilli par une femme nommée Halîmah qui lui servit de nourrice. Voyons comment pourrait s’interpréter logiquement cette histoire en y appliquant mon hypothèse.
Pourquoi Halîmah (population nomade, ma thèse) est-elle montée à La Mecque pour y chercher un nourrisson (un groupe de sept jeunes gens en début de carrière) ? Réponse : c’était une année de sécheresse (les troubles avaient compromis non seulement les ressources du commerce mais aussi les productions qu’on tirait de l’élevage). En fait de caravane, il ne restait plus à la pauvre Halîmah qu’une misérable chamelle qui n’avait même plus de lait. Il lui fallait trouver un nouveau maître faisant office de chef d’escorte, d’intendant… et de banquier, pour se remettre à flot.
Pourquoi aucune femme ne voulait prendre en nourrice un orphelin tel que Mahomet ?
Réponse : parce que le jeune conseil ne pouvait assurer la sécurité “dissuasive” d’une population que dans la mesure où il bénéficiait du soutien efficace de son clan de la Mecque. Le père de Mahomet ayant disparu dans la tourmente des troubles politiques, le jeune conseil ne pouvait compter que sur l’aide éventuelle d’un grand-père ou d’oncles.
Pourquoi le lait monta-t-il dans le sein d’Halîmah et dans les mamelles de la chamelle, la nuit qui suivit le jour où Halîmah décida d’adopter Mahomet ?
Réponse : parce que par la seule force de son génie, le jeune conseil a ramené la prospérité dans cette population. Dans l’âpre lutte de la concurrence nomade, la caravane d’Halîmah (l’ânesse) allait toujours plus vite que les autres. Le troupeau découvrait toujours le premier les verts pâturages à paître. Manifestement, le doigt de Dieu était au-dessus du conseil Mahomet.
Pourquoi Halîmah a-t-elle sevré le conseil Mahomet à l’âge de deux ans ? Pourquoi l’a-t-elle ramené à sa mère, à La Mecque ?
Réponse : parce que la caravane ou tribu bédouine n’a fait que louer provisoirement les services de ce jeune conseil pour rétablir une situation difficile. N’oublions pas qu’Halîmah avait un mari et un fils. Et remarquons qu’il n’est jamais venu à l’esprit du conseil Mahomet d’épouser Halîmah. Il faut être sérieux ! Il n’avait que deux ans… deux ans seulement d’expérience ! Deux ans, c’est la durée normale d’un stage de formation. Et comme le stage avait été fructueux, il ne faut pas s’étonner si Halîmah a insisté pour le garder encore un temps, prétextant qu’il valait mieux qu’il ’’grandisse’’ auprès d’elle plutôt qu’à La Mecque où sévissait ‘’la peste’’.
IV. Autres indices qui vont dans le sens de mon hypothèse.

Il s’agit d’abord de quelques miniatures persanes, principalement conservées au palais ou à la bibliothèque du musée d’Istambul. Sur celle que j’ai reproduite ici en partie, on y voit Mahomet siégeant en conseil, s’entretenant avec l’ange Gabriel. Ce conseil est bien composé de sept personnes. Mahomet est assis à part, à la place honorifique. Derrière lui, la flamme rappelle qu’il est un apôtre (Act 2, 3). Son visage semble recouvert d’un voile alors que ceux de ses six compagnons sont bien représentés tout en ayant la même expression de sainteté. C’est l’ange Gabriel qui parle tandis que les membres du conseil l’écoutent.
Il s’agit ensuite de quelques informations étonnantes données par Tabari (2). Le Prophète avait sept chevaux et sept sabres. Cela pourrait laisser supposer que lorsqu’il marchait en tête de son armée, il n’était pas seul mais accompagné des six autres membres de son conseil. Si conseil il y eut, on ne comprendrait pas que tous ses membres ne soient pas au combat avec le désigné.
V. Nous sommes dans la continuation du mystère essénien.
Mais revenons au conseil des sept sages initialement prévu par Omar. Pourquoi un conseil de sept, chiffre de toute évidence mystique ? Je cite : Et voici qu’un trône était placé dans le ciel et sur ce trône quelqu’un qui était assis... et tout autour du trône, un arc-en-ciel semblable à un aspect d’émeraude... et brûlant devant le trône, sept torches de feu qui sont les sept esprits de Dieu (Apocalypse de Jean Ap 4, 2-6).
Si Jean voit les sept esprits de Dieu dans le ciel, c’est évidemment sous forme d’étoiles, et comme le trône qu’il "voit" ne peut être qu’au centre, les sept torches/esprits de Dieu qui se trouvent "en avant" ne peuvent être que les sept étoiles de la Petite Ourse dont fait partie l’étoile polaire. Il s’agit là, à mon sens, d’une allégorie typiquement essénienne qui a perduré dans le christianisme et aussi, semble-t-il, jusqu’à l’islam puisque il y a sept sages dans le conseil initialement prévu par Omar.
Enfin, dès lors que l’islam s’inscrit dans cette longue tradition avec toutefois les importantes corrections que j’ai déjà signalées : ne pas tuer l’innocent que le Pentateuque n’interdit pas d’une façon explicite et l’impossibilité que Dieu ait pu avoir un fils comme on peut le lire dans l’Evangile, il importait de marquer l’événement suivant l’usage.
On se rappelle que la venue de Jésus avait été prédite par les mages d’Orient qui scrutaient le ciel. Comme l’écrit Tabari, ces mages étaient les prêtres de l’empire perse ; ils avaient en charge l’entretien des feux sacrés. Lorsque Mahomet naquit, tous les feux sacrés s’éteignirent, non seulement en Arabie, mais aussi en Perse ; et les idoles tombèrent sur leur face.
Le souverain sassanide eut alors un songe : les tours de son castrum s’écroulaient. Un devin assista en rêve à un combat de chameaux : il y avait un grand nombre de chameaux forts et vigoureux qui luttaient contre de petits chameaux arabes. Et voilà que les petits chameaux arabes prirent l’avantage. Ils franchirent le Tigre et envahirent la Perse.
Le souverain n’avait jamais entendu parler des songes de Joseph. On ne lui avait jamais raconté comment les vaches maigres avaient mangé les vaches grasses, ni comment des épis desséchés avaient avalé de gros épis. Il ne comprit pas le songe du devin. Et comme il avait peur pour son trône et pour sa religion nationale, il ordonna qu’on aille lui chercher l’Arabe le plus versé dans les écritures de ses compatriotes pour qu’il lui donne la signification de tous ces songes.
A Hîra vivait Abdoul le Mesi. Il était âgé de trois cent soixante ans. Il était chrétien, descendant des rois de Syrie. Abdoul le Mesi dit au roi de Perse : « Je me suis rendu en Syrie auprès de mon très vieil oncle, que le Yemen et la Syrie considèrent comme un devin. Il m’a dit avant de mourir : « Voilà la signification des songes du roi de Perse. Il se lèvera de parmi les Arabes un Quelqu’un. Ce sera un prophète dont la puissance et la religion s’étendront jusqu’en Perse. » (3).
Renvois (Tabari "Mohammed, sceau des prophètes", éditions Sindbad, 1980, traduction de Hermaan Zotenberg)
1. pages 30, 31, 32 et 33
2. pages 334 et335
3. pages 26, 27 et 28