La mini-ascension de la Wicca
Une des surprises de la dernière étude sur l’identité religieuse des Américains a été, avec l’affaissement du christianisme, la croissance de ce que l’on appelle les nouveaux mouvements religieux auxquels adhèrent désormais 1.2% de la population – plus que l’islam ou le judaïsme. Cette étiquette regroupe un grand nombre de courants allant de la scientologie, qu’il n’est pas besoin de présenter, à l’enckankar ou aux diverses sectes ufologiques. La plupart des commentateurs sont d’accord, cependant, pour dire que l’essentiel de cette croissance est due à la Wicca. C’est d’ailleurs sur elle que les évangéliques déversent leur venin.
Un mouvement détesté par les évangéliques et les intégristes catholiques ne peut pas être foncièrement mauvais, surtout si, comme c’est le cas, il marrie des homosexuel(le)s et vote Obama. Son intérêt principal, cependant est que, bien qu’extrêmement marginal il y a à peine quelques décennies, il se soit progressivement répandu dans la société malgré son absence de structure centralisée – ou d’ailleurs de structure tout court – son refus du prosélytisme et l’hostilité de son environnement.
Un peu d’histoire
La Wicca apparaît en Angleterre en 1954 avec la publication par un ancien fonctionnaire britannique, Gerald Broosseau Gardner, de Witchcraft Today. Il y affirmait avoir découvert dans le comté du Hampshire, un culte "sorcier" – le New Forest Coven – héritier des anciennes religions païennes qui auraient survécu dans la clandestinité depuis la christianisation de l’île. Gerald Gardner prétendait y avoir été initié et, craignant que le groupe s’éteigne, il aurait décidé de révéler son existence et ses rites.
Le récit de Gardner est évidemment invérifiable et certains auteurs comme Aidan Kelly ou Francis X. King ont contesté jusqu’à l’existence du New Forest Coven. La plupart des chercheurs estiment cependant que Gardner a réellement découvert quelque chose dans la New Forest juste avant la Seconde Guerre Mondiale. Ronald Hutton, dont le livre Triumph of the Moon : A History of Modern Pagan Witchcraft constitue une référence sur la question, y voit l’aboutissement d’un mouvement culturel combinant le romantisme, la Franc-Maçonnerie et le Renouveau Occulte anglais du XIXème siècle et qui se serait incarné dans une section d’un groupe rosicrucien du Sussex – la Crotona Fellowship. C’est à ce groupe que Gardner se serait intégré et ce serait ses rituels qu’il aurait diffusé après les avoir "complétés".
Witchcraft Today, suivi en 1959 par The Meaning of Witchcraft, a un un succès relatif mais suffisant pour que se crée un second groupe – le Bicket Wood Coven, basé à Londres. D’autre suivront, même si le mouvement reste alors extrêmement marginal et marqué par les querelles de personnes, la charlatanerie (on ne compte plus ceux qui dans ces années-là se sont soudain découverts une grand-mère sorcière), les schismes et les dérives de toutes sortes.
Il continua à croître, cependant, et fut introduit aux États-Unis par Raymond et Rosemary Buckland qui fondèrent le Long Island Coven en 1964. Son expansion outre-mer dépassa rapidement les capacités d’initiations des groupes britanniques, ce qui poussa Raymond Buckland à créer la Seax Wicca, qui, tout en gardant la théologie gardnerienne l’associait au paganisme anglo-saxon. Il rendit l’ensemble des rituels publics et, rompant avec la tradition initiatrice des groupes gardneriens, autorisa l’auto-initiation. Dans le même temps, la Wicca, fut adoptée par des cercles féministes radicaux autour de Zsuzsanna Budapest, qui en créèrent une version basée sur le culte exclusif de la Déesse Mère, la Wicca Dianique, dont sera issue, sous l’impulsion de la militante altermondialiste Starhawk, le mouvement du Reclaiming, combinant Wicca et souci environnemental.
Bien que très peu nombreux – l’étude ARIS de 1991n’en comptait que 8.000 même si ce chiffre était probablement sous-estimé – les Wiccans étaient divisés en traditions diverses. La division principale, qui s’accentue au fur et à mesure du temps, séparent les traditionalistes, qui tiennent à ce que la Wicca reste une religion à mystère, basée sur l’initiation, et ceux qui veulent l’ouvrir au plus grand nombre.
Ce sont ces derniers qui s’imposent progressivement, notamment au cours des années 90. Le nombres des wiccans s’accroît alors de manière considérable, notamment grâce aux livres de Scott Cunnungham, passant, aux États-Unis de 8.000 en 1991 à 134.000 en 2001 puis à probablement plus d’un million aujourd’hui. La Wicca commence alors à influencer la culture populaire, même si c’est souvent de manière caricaturale, et commence à devenir visible dans la société, même une grande partie des wiccans restent discrets ou cachés, pratiquant leur religion en privé. L’Internet joue un rôle considérable dans sa diffusion, en rendant sa doctrine accessible mais aussi en permettant aux wiccans solitaires, la majorité aujourd’hui, de communiquer entre eux. Reconnue comme une religion en 1986, grâce à l’arrêt Dettmer vs Landon en 1986, elle a été acceptée par l’administration des cimetières militaires, suite à des menaces d’action en justice. Elle continue, néanmoins à se heurter à l’intolérance d’autorités très marquées par le christianisme.
Une théologie polymorphe
La Wicca n’a pas, à proprement parler, de dogme, pas plus qu’elle n’a d’instance capable d’en imposer un. Il est d’ailleurs difficile de placer précisément la frontière entre la Wicca et les religions néo-païennes qu’elle aura influencées. Les croyances wiccanes peuvent varier, parfois de manière considérables d’un groupe ou même d’un individu à l’autre, sans d’ailleurs que cela pose de gros problèmes au mouvement. La Wicca insiste, en effet, plus sur la pratique et la relation avec la nature et les Dieux que sur telle ou telle croyance particulière. En cela, elle se rapproche plus de l’hindouisme ou du paganisme classique que du christianisme ou de l’islam.
Les wiccans croient en un Dieu (souvent associé à Cernunos ou à Pan) et une Déesse le plus souvent considérée comme une Déesse triple et associée à Diane, Hécate ou aux déesses lunaires en général. Ces deux divinités sont égales, même si dans la pratique la Déesse est souvent plus égale que le Dieu. Ce duothéisme se manifeste souvent sous une forme polythéiste, les Wiccan vénérant tels ou tels Dieux ou Déesses des panthéons traditionnels considérés comme des aspects du Dieu ou de la Déesse primordiale. Il peut aussi se manifester, bien que ce soit infiniment plus rare, sous une forme monothéiste, le Dieu et la Déesse étant considérés comme des aspects d’une entité supérieures mais trop lointaine pour que l’on puisse entretenir une relation avec lui. Duothéisme, polythéisme et monothéisme ne sont pas mutuellement incompatibles et sont plutôt considérés comme différentes manières de considérer la même réalité.
Les Dieux et les Déesses wiccanes, qui peuvent être considérés, selon les groupes et les individus, comme des archétypes, des forces de la nature ou des entités personnelles, sont immanentes plutôt que transcendantes, c’est à dire qu’elles sont présentes dans le monde et peuvent s’y manifester, notamment dans le cadre de certains rituels. Elles ne sont pas non plus nécessairement omniscientes ou omnipotentes. Cette immanence se traduit par un respect et une adoration de la nature que la quasi-totalité des wiccans considèrent comme sacrée.
Le problème de l’au delà n’est pas central dans la Wicca, les Wiccans préférant ce concentrer sur ce qui se passe dans cette vie. La croyance à la réincarnation est cependant courante, avec un passage par un lieu transitoire souvent nommé Summerland. La pratique de la magie, même si elle n’est pas universelle, est universellement acceptée et reconnue comme légitime, du moins tant que ses buts le sont, à ce point que la Wicca est souvent considérée de l’extérieure comme une simple sorcellerie. La plupart des wiccans croient en l’efficacité des rituels magiques, du moins jusqu’à un certain point, même s’ils peuvent donner à cette supposée efficacité des explications extrêmement variées.
La moralité Wiccanne est définie par un texte court appelé le Rede qui affirme "tant que tu ne nuit à personne, fait ce que tu veux" , qui est généralement interprétée comme un appel à la liberté tempéré par la nécessité d’assumer les conséquences de ses actes et de minimiser les dommages causés à autrui. Il est complété par la loi du triple retour, qui affirme que toute acte négatif – c’est à dire causant un dommage à autrui – rejaillira vers celui qui l’a causé. Cela se traduit par une morale sexuelle assez souple, reconnaissant comme moralement valide toute relation entre adultes consentants. Les différents groupes wiccans reconnaissent et pratiquent le mariage homosexuels et reconnaissent la validité des autres religions – qualifiés de chemins – avec un bémol cependant pour les religions monothéistes dont les prétentions à une vérité absolue cadrent mal avec le relativisme wiccan.
La Wicca se définit par ses pratiques autant que par ses croyances, même s’il y a là aussi une grande diversité. Les rituels wiccans sont généralement construits autour de la constitution d’un cercle symbolique au milieu duquel peuvent être accomplis divers rites (prière, mariage, célébration, acte magique). Ils sont toujours participatifs. Originellement, ils s’accomplissaient skyclad, c’est à dire nu, mais seuls les plus traditionalistes perpétuent cette pratique. Les rituels sont décrits dans un ouvrage nommé livre des ombres, spécifique à chaque tradition et qui, chez les pratiquants solitaires – majoritaires, rappelons-le – devient une sorte de journal spirituel.
Les Wiccans ont huit fêtes principales, également appelées sabats et correspondant aux solstices et aux équinoxes : samhain, yule, imbolc, ostara, belaine, litha, lughnasadh et mabon. Par ailleurs, des cérémonies nommées esbats, ont lieu à chaque pleine lune, même si, là encore, la pratique effective varie d’un groupe ou d’un individu à l’autre.
Une absence d’organisation
Il n’y a pas d’église wiccane, ni même d’organisation capable de fédérer ne serait-ce qu’une infime partie des wiccan. Originellement, la Wicca était une religion à mystère où l’on n’entrait que par une initiation à trois niveaux. Ce système a donné naissance à des "traditions", c’est à dire à des lignages initiatiques remontant à Gardner ou à l’un de ses contemporains et matérialisé par un livre des ombres spécifique. C’est toujours ainsi que fonctionnent les traditionalistes, ce qui se traduit d’ailleurs par d’interminables querelles internes sur l’acceptabilité de tel ou te lignage.
Les traditions sont organisées en coven autonomes dirigés par un grand prêtre et une grande prêtresse initiés au troisième niveau. Ces covens devraient, dans l’idéal, avoir treize membres mais cette règle est rarement respectée. Ils célèbrent leurs rituels, sinon secrètement, du moins discrètement et sont assez sélectifs quant au choix de membres. Ceux-ci doivent jurer de ne pas révéler les secrets du groupe, même si ceux-ci sont disponibles dans toutes les librairies, ce qui est le plus souvent le cas de nos jours... du moins pour ceux
Ce système, probablement inspiré de la franc-maçonnerie a éclaté au fur et à mesure que le nombre de wiccans s’accroissaient et n’est plus maintenu que par une minorité. La majorité des wiccans n’ont pas été initié, n’appartiennent pas à une tradition et pratiquent en solitaire ou au sein de covens plus ou moins informels. La pratique est en général assez individualiste, ce qui limite les dérives sectaires. Celles-ci existent, naturellement. La Wicca Internationale de Jacques Coutelas en est, en France, l’exemple le plus fameux, même si ce cas n’est certainement pas unique. Elles ont tendance à devenir de plus en plus marginales au fur et à mesure que le mouvement grandit et que les apprentis gourous sont progressivement noyés dans la masse.
Un futur incertain
Née au milieu du siècle dernier, la Wicca est probablement au même stade d’évolution que le christianisme à la fin du premier siècle. Elle a très largement cessé d’être la religion à mystère, aussi marginale qu’ésotérique créée par Gardner, et s’installe progressivement dans le paysage religieux américain, en attendant sans doute de gagner une France encore protégée par l’insularité de sa langue. Si elle le fait, ce sera, sans doute par un processus souterrain semblable à celui qui a pris place aux États-Unis. Il se peut d’ailleurs qu’il ait déjà commencé. Si tel est le cas, son émergence risque de faire au moins autant de vagues que dans les pays anglo-saxons. Une religion sans dogme, féministe, écologiste et plutôt marquée à gauche, ce n’est pas vraiment ce à quoi l’église romaine nous avait habitué.
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