La science moderne nourrit une fausse religion pour une humanité déchue

La science devait apporter le bien-être, le bonheur, la paix universelle, la connaissance, pensaient les utopistes scientiste du 19ème siècle. Faute d’avoir réussi cet exploit, la science est devenue une sorte de Janus offrant des développements techniques considérables tout en enfumant les consciences d’un autre côté, avec le culte de la technique, de la croissance et les peurs contemporaines. L’occasion d’écrire un essai devenu nécessaire en cette époque troublée. Je m’en tiendrai néanmoins à quelques pistes de réflexion sur ce sujet. En commençant par cadrer les idées en revenant sur le monde médiéval qui fut un monde très religieux.
Dans l’Occident médiéval chrétien, la vie religieuse était centrée autour de trois vertus théologales organisant le rapport à Dieu et au monde : la foi dans la révélation consignée dans les Ecritures, la charité associant l’amour de Dieu et du prochain et enfin l’espérance comme ouverture vers l’avenir et disposition à obtenir la béatitude. Ces vertus étaient censées être infusées en l’homme par Dieu. Elles étaient secondées par quatre autres vertus, plus humaines dira-t-on, les vertus cardinales, déjà connues des Grecs anciens : tempérance, prudence, force et justice. En Russie, les trois vertus théologales sont associées à trois prénoms féminins.
Dans l’Occident moderne, cet édifice théologique réglant la vie humaine va s’estomper au profit de nouvelles croyances ainsi que des dispositifs idéologiques modernes. On pourrait parler de vertus idéologales. A l’issue de la Révolution française, la foi dans la révélation fut supplantée par la foi dans la raison et l’instauration d’une religion naturelle. La charité était conçue comme fraternité tout en étant adossée aux droits naturels de l’homme. L’espérance est bien cernée, elle a pris le nom de progrès, la béatitude étant supplantée par un certain bonheur promis à terme pour les hommes de bonne volonté sur cette terre.
Dans l’Occident contemporain, l’industrie s’est développée. Mais l’espérance est contrastée. Les uns pensant que la science va résoudre beaucoup de problèmes et les autres méfiants à l’égard d’un système. Ludd s’en prenait aux machines, alors qu’après le tournant de 1900, les uns célèbrent le futurisme, les autres s’inquiètent de la vitesse et les idéologues tentent de trouver des solution bricolées pour accompagner le progrès, en le contenant, ou en le dérivant, comme dans la science prolétarienne qui croit instaurer un âge anti-capitaliste. Le résultat de cette période est calamiteux. Deux guerres. Et tout à refaire avec d’autres bases.
Le 21ème siècle s’est dessiné sous l’angle des technologies et de la globalisation offrant des possibilités sans limites avec le numérique, mais aussi suscitant des craintes et sans doute de fausses espérances. Loin d’avoir favorisé l’émergence de citoyens éclairés, cette science moderne élaborée conduit vers de nouvelles croyances, vers des idéologies irrationnelles et en quelque sorte un nouveau Moyen Age avec non plus les vertus théologales mais plutôt une fausse religion qui reprend vaguement, sous une forme contemporaine, le triplet théologal médiéval.
I Les récits fondateurs. La science contemporaine a fourni l’équivalent des cosmogonies mythiques de l’Antiquité qu’on trouve dans le cadre des doctrines polythéistes puis monothéistes. La création du cosmos et des espèces a été remplacée par la théorie du big bang ainsi que l’évolution darwinienne organisée autour du concept de sélection naturelle. La genèse de ces deux récits scientifiques ainsi que l’attitude des scientifiques et du grand public à leur égard illustre la place de la science comme pourvoyeuse de sens, de récit structurant les sociétés avec l’histoire des origines. Le big bang et la sélection naturelle jouent un rôle similaire à la légende de Romus et Romulus pour les Romains ou mieux encore, aux récits bibliques consignés dans les livres de l’Ancien Testament et les Evangiles. Mais contrairement aux anciens récits, la science fournit des explications plausibles car incorporant des théories basées sur des observations précises et tangibles.
Ces deux récits sont-ils pour autant incontestables ? Non, car il existe d’autres cosmologies, notamment le modèle stationnaire, quant à l’évolution, rien ne permet d’en rester au darwinisme et de faire de la sélection naturelle le ressort de la spéciation en la combinant aux divers mécanismes mutationnels. L’histoire des sciences retiendra que la fin du 20ème siècle a été marquée par la consolidation de ces deux récits. Les cosmologistes et les biologistes forçant pour ainsi dire les données et les interprétations pour privilégier un modèle en éliminant les autres possibilités d’explication des origines et de l’évolution. L’historien des sciences Thomas Lepeltier a raconté cette épopée cosmogonique dans laquelle les partisans du big bang l’ont emporté en effectuant des choix arbitraires. On pourrait en dire de même pour le modèle néo-darwinien assez orienté.
La science se distingue radicalement de la religion traditionnelle, mais dans une certaine mesure, les scientifiques oeuvrent en suivant leurs prédécesseurs théologiens et en bâtissant des théories qui finissent par se figer à l’instar des dogmes de l’Eglise. Et le grand public d’adhérer à ces dogmes. Les fidèles reconnaissent la trinité chrétienne sans comprendre les subtilités du mystère. Les citoyens contemporains croient au big bang sans rien comprendre à la cosmologie et croient au modèle néo-darwinien sans disposer des notions de biologie suffisante pour un examen critique. Et vous qui lisez ces lignes, y croyez-vous ? Votre opinion vous appartient.
II. La charité au service de la science. Depuis quelques décennies, les notables et les célébrités se mobilisent pour financer des programmes scientifiques. Cancer, sida, maladies génétiques, Téléthon, Sidaction, tout est bon pour inciter les gens à donner pour la recherche. Cette année 2014 aura vu aussi quelques stars de la chanson s’activer pour recueillir des fonds afin de lutter contre la propagation du virus ebola. Il y a un siècle, les bourgeoises catholiques de bonne moralité oeuvraient pour la charité et recueillaient des fonds pour l’Eglise. Cette comparaison fait-elle de la science la base d’une nouvelle croyance ? A chacun de forger son opinion.
III. Craintes et espérances. Voici le troisième volet du triplet idéologal basé sur la science et concernant l’avenir. Il fut un temps où les fidèles espéraient en Dieu mais aussi nourrissaient des craintes et autres peurs millénaristes. En ce 21ème siècle assez obscurantiste, des nouvelles craintes sont apparues et sont issues de la science. Craintes pour le climat, les pandémies virales, la disparition des espèces, les nanotechnologies, le pouvoir de l’intelligence artificielle. Ces craintes sont irrationnelles pour la plupart et savamment entretenues par les médias et quelques cercles scientifiques. A l’opposé, cette même science nourrit des espérances, fausses aussi. La transition énergétique apportant la croissance et l’emploi par exemple. Les thérapies géniques censées guérir les patients, les développements des machines censées augmenter l’homme en en faisant le prince du technocosme. La conquête spatiale pour le salut de l’humanité. Pensez-vous que cette science fonctionne comme une fausse religion ? Je vous ai livré des éléments. Vous avez la libre pensée pour vous forger une opinion.
En vérité, la science n’y est pour rien dans ces phénomènes sociétaux de croyance. La science est un Janus, elle peut ouvrir les consciences comme elle peut servir les puissances dominantes, les dogmes, les totalitarismes et le cas échéant, servir de base pour des pratiques comparables à celles issues des religions traditionnelles, des pratiques obscurantistes, irrationnelles, jouant sur la crédulité des ignorants et les émotions. Si la science aboutit à une fausse religion, ce n’est pas parce que la science est devenus une théologie, mais c’est parce que l’humain est resté pratiquement le même. Une créature oscillant entre l’honnête homme et la mauvaise foi. Un être qui souvent adapte sa rationalité à ses passions et ses émotions au lieu de s’ouvrir vers l’universel en éclairant la raison. Le 21ème siècle est pour l’instant crépusculaire. La seule issue, ce n’est pas la croissance économique mais l’accroissement de la conscience et de l’intelligence.
Bien, ces choses dites, il me reste à conclure sur cette époque crépusculaire dans laquelle les individus se crispent et dont ne sait vraiment pas comment sortir tant les obsessions sécuritaires et les fausses religions exercent leur emprise sur ces citoyens instruits de science mais presque aussi arriérés que les fidèles des religions. En vérité, les fausses religions sont des idéologies qui finissent par exercer une emprise totalitaire, comme dans l’ancienne URSS. L’absence de débats et controverses philosophiques dans les institutions du savoir crée en France une situation de pensée unique et dogmatique. La leçon étant que la science offre un savoir mais ne préserve pas du dogmatisme ni de l’obscurantisme et encore moins des émotions et passions irrationnelles. Je ne développerai pas la thèse des artistes du peuple et de l’Etat, dont on connaît les noms, ni de la radio pravda qui sévit avec les subsides publics. Il faudrait écrire un essai.
En 2014, la société française et nombre d’élites intellectuelles sont tombées plus bas que pendant les Lumières. Je ne sais pas s’il est utile de pointer les tares d’une époque. Mieux vaudrait foncer dans la gnose plutôt que de critiquer un système qui quoi qu’il arrive, restera sur ces positions car elles servent des intérêts puissants autant que singuliers. C’est Noël, l’occasion de célébrer quelques lumières à l’écart du consumérisme et avec une bonne dose de musique et d’ivresse !
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