Le droit face au spectre du communautarisme religieux en France
Dans la lutte contre le communautarisme religieux, le droit est plus que jamais au centre de toutes les attentions. Considéré historiquement par la majorité du corps social comme le bras armé de la République dans son combat contre l’Eglise, celui-ci a fait face, ces dernières années à nombre de critiques. Ainsi, la décision du tribunal de grande instance de Lille, le 1er avril 2008, d’accepter de prononcer la nullité d’un mariage en raison de la « non-virginité » de l’épouse (en considérant cette absence comme une « qualité essentielle » sur la base de l’article 180 du Code Civil) a déclenché un flot insensé de critiques, témoignant de la relation passionnelle des Français au traitement du fait religieux par le droit. Les juges cèderaient face à la montée du communautarisme, renonçant au principe de la laïcité « à la française ».
Pourtant, force est de constater que cette vision est largement biaisée. Loin, contrairement à l’idée communément admise, de mettre en place une laïcité de combat promue par les nostalgiques du combisme, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État fut avant tout un compromis. En effet, parce qu’il est particulièrement difficile de définir la religion et qu’il est nécessaire de respecter l’égalité juridique et la liberté de conscience, la loi de séparation « respecte toutes les croyances » mais « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » tout en garantissant leur libre exercice mais sous la condition de respecter l’ordre public. Cette loi nous a ainsi permis, durant plusieurs décennies, de maintenir la paix religieuse chèrement acquise tout en évitant le spectre du communautarisme religieux dont nous traiterons spécifiquement ici, le communautarisme étant un terme récent désignant « l’affaiblissement de la prise en compte abstraite de l’individu »1 qui est alors réduit à une particularité, sa communauté, celle-ci venant concurrencer la loi commune, conduisant ainsi à une « tribalisation » de la société non plus perçue comme une association d’individus libres mais comme une juxtaposition de communautés vivant selon leurs propres règles.
Mais la société française (notons que nous ne prendrons pas en compte dans notre analyse les statuts particuliers du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle) doit aujourd’hui faire face à deux changements majeurs. Premièrement, une diversité religieuse sans précédent s’est mise en place. Or, la relation de l’Etat avec les religions s’est résumée, pendant des siècles, dans un contexte majoritaire, a une concurrence entre l’Etat et l’Eglise. Si l’individu manifestait déjà sa foi religieuse hors de son for intérieur, son identité étant pour une part structurée par sa foi religieuse, l’importance des incursions du fait religieux dans le champ social était atténuée par l’existence d’une religion très largement majoritaire qui a considérablement imprégné, par ses valeurs, notre société et notre droit. La diversité religieuse pourrait ainsi remettre en cause cette atténuation (en témoigne les diverses absences tant dans le milieu scolaire que dans le monde du travail justifiées par la nécessité de participer à diverses fêtes religieuses). Deuxièmement, le droit doit faire face à une radicalisation de certains mouvements religieux qui complique de façon drastique le traitement du fait religieux par le droit, celui-ci étant tenu de respecter la liberté de conscience des individus. Dès lors, face à ce nouveau contexte, le droit français parvient il à concilier le respect de la liberté religieuse avec la nécessité de la lutte contre le communautarisme ?
Le droit français, par le maintien d’un subtil balancement entre liberté religieuse et maintien du lien social, contribue encore fortement à la lutte contre le communautarisme tout en respectant la liberté religieuse. Néanmoins, l’efficacité de cette lutte est atténuée dans un contexte de diversification et de radicalisation des religions, le législateur et le juge étant dès lors tentés par la rupture, plaçant ainsi le droit français devant un dilemme fondamental.
Si le respect de la liberté de conscience et de religion, consacré à la fois par des textes nationaux et internationaux2, octroie une autonomie certaine à l’individu et au fait religieux, celui-ci est conditionné, permettant ainsi de contribuer à la lutte contre le communautarisme.
La religion contribue de façon incontestable à l’identité de l’individu. Ainsi, celle-ci trouve naturellement à s’exprimer dans tout le champ social, du monde du travail au système éducatif en passant par le cadre familial. Afin de rendre la liberté religieuse effective, le droit français s’est tout d’abord fait le gardien de la pluralité religieuse. En effet, le droit français, en ne reconnaissant aucun culte (contrairement, par exemple, à d’autres pays comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne), permet à l’individu de disposer d’une véritable sphère d’autonomie concernant les convictions religieuses, celui-ci se refusant, par exemple, à différencier secte et religion. Ce principe de neutralité a ainsi permis à la Cour de cassation de casser la décision d’une Cour d’appel qui s’était fondée uniquement sur l’appartenance religieuse pour retirer un enfant à sa mère alors que « le fait d’appartenir à une famille plurale mormone n’était pas suffisant pour établir que les conditions de son éducation étaient gravement compromises »3. L’individu ne saurait être privé d’un droit uniquement du fait de son appartenance religieuse. Seules les conséquences concrètes d’un choix religieux peuvent être sanctionnées. Mais, au-delà de ce respect d’une sphère d’autonomie, le droit permet à l’individu de mettre en accord certaines des facettes de son identité avec ses choix religieux afin de garantir l’effectivité de la liberté de croyance.
En effet, comme le dit Amin Maalouf, « l’identité ne se compartimente pas »4. Si l’identité civile mise en place par le droit est dénuée de toute considération religieuse, celle-ci renvoie bien souvent l’individu à son histoire, à sa culture, voire à sa religion. Les parents pouvant parfaitement donner à leur enfant un prénom à connotation religieuse à leur enfant lors de sa naissance, celui-ci, en raison du principe de fixité des prénoms, pourrait voir sa liberté de religion considérablement affaiblie. Ainsi, la Cour d’appel d’Orléans a relevé que « pour la pratique de sa religion, un musulman doit porter un prénom musulman à l’exclusion de tout autre »5. En conséquence, le législateur octroie la possibilité de changer de prénom sous réserve « de la nécessaire démonstration par le requérant de l’exercice d’un intérêt légitime conditionnant la satisfaction de cette demande »6. Les tribunaux ont ainsi fréquemment accédé aux demandes de changement de prénom, contribuant ainsi à garantir l’effectivité de la liberté religieuse. De même, le droit permet une certaine influence du fait religieux sur le mariage civil. En effet, en acceptant de prononcer la nullité du mariage en cas d’erreur sur les qualités essentielles de la personne tout en appliquant cette disposition de façon concrète en prenant en compte la vision subjective qu’a l’époux du mariage, le droit permet encore une fois de mettre en accord l’identité civile de l’individu avec son identité religieuse. Ainsi, les tribunaux ont donné suite aux demandes fondées sur l’ignorance d’un divorce précédent7. De plus, le droit se refuse à considérer la conversion religieuse comme une faute en soi susceptible de causer le divorce, veillant à maintenir cette sphère d’autonomie propre à l’individu.
Enfin, le droit garantit à l’individu une certaine maitrise de son identité corporelle, y compris quand cela lui permet de traduire certaines de ses convictions religieuses. Ainsi, les interventions médicales ne peuvent se faire qu’avec l’accord du patient. Or, certaines sectes comme les Témoins de Jéhovah refusent toute transfusion sanguine. Le droit respecte cette conviction extrême en affirmant qu’elle est « un choix dérivé d’une liberté essentielle »8, intégrant par conséquence l’enveloppe corporelle dans la sphère d’autonomie dont jouit l’individu. Mais le respect de cette sphère est également corrélé à celui de l’autonomie du fait religieux.
Le fait religieux est caractérisé par sa dualité : il peut être envisagé comme un fait individuel ou collectif. Dans son aspect collectif, le fait religieux s’apparente à un ordre normatif privé dont la source première est généralement le dogme de la religion en question. Afin de garantir la liberté de culte, le droit refuse tout d’abord toute ingérence dans l’interprétation ou l’écriture de la doctrine religieuse. En conséquence, un juge refusera de trancher lors d’un litige sur l’interprétation d’une doctrine. Ainsi, les prêtres et les fidèles qui occupaient l’Eglise Saint-Nicolas-du-Chardonnet en raison d’un changement de liturgie se sont vus opposer le principe selon lequel « l’autorité judiciaire ne peut exercer aucun contrôle dans le domaine religieux »9 concernant des divergences doctrinales.
De même, le droit se refuse à apprécier la légitimité des décisions des autorités religieuses lorsque celles-ci font une stricte application du dogme. Les juridictions civiles ont ainsi refusé de donner suite à la mise en cause d’un prêtre qui avait refusé le parrain proposé lors d’un baptême, relevant que « le prêtre dans son ministère applique les règles canoniques sans autre contrôle que celui de ses supérieurs hiérarchiques »10. Le droit garantit donc une autonomie dans le domaine dogmatique.
Mais le droit s’attache également à la préservation de cette autonomie, ce qui implique notamment l’impossibilité pour l’Etat de s’ingérer dans l’organisation interne des cultes. Une autonomie organisationnelle est donc reconnue, autonomie qui, d’une part, interdit de contrôler la légitimité des sanctions prises à l’intérieur du culte en application de leur droit et qui, d’autre part, admet la spécificité des relations qui s’y développent. Ainsi, l’administration hospitalière est tenue de constater la fin du service d’un aumônier révoqué par sa hiérarchie religieuse11 tandis qu’un conseil municipal ne peut imposer le déplacement d’un curé12. De plus, les juridictions reconnaissent la spécificité de ces relations en refusant de reconnaître l’existence d’un engagement civil du ministre du culte et de sa hiérarchie. La Cour de cassation a ainsi estimé que les allocations perçues par les prêtres ne constituent pas un salaire13.
Le droit garantit donc une sphère d’autonomie au fait religieux dans ses deux dimensions, individuelle et collective, afin de garantir l’effectivité de la liberté religieuse. Néanmoins, cette autonomie est conditionnée par le respect d’un certain nombre de règles visant à la fois à protéger l’individu, les tiers mais aussi la République qui, si elle ne n’a pas l’uniformité pour objectif, se doit d’assurer l’unité autour de certaines valeurs afin de maintenir le lien social.
Premièrement, le respect de la sphère d’autonomie de l’individu trouve ses limites dans la nécessité de protéger l’individu, ce qui revient en quelque sorte à protéger celui-ci contre lui-même. Ainsi, si nous avons vu que le médecin se doit d’obtenir l’autorisation du patient pour toute intervention, ce principe peut trouver sa limite lorsque la préservation de la vie de l’individu est en jeu. La Cour administrative d’appel de Paris a, par conséquent, rejeté les requêtes contre des médecins ayant sauvé la vie de certains patients en réalisant des transfusions sanguines auxquelles ceux-ci s’étaient pourtant opposés, considérant que « ne saurait être considéré comme fautif le comportement de médecins qui, dans une situation d’urgence, lorsque le pronostic vital est en jeu et en l’absence d’alternative thérapeutique, pratiquent des actes indispensables à la survie du patient et proportionnés à son état, fût-ce en pleine connaissance de la volonté préalablement exprimée par celui-ci de les refuser »14. Il semble ainsi que « le droit positif retire, dans une certaine mesure, la vie de l’individu du champ de sa liberté individuelle, pour la situer dans la sphère de l’ordre public »15. De même, le droit protège l’individu de l’intervention d’un tiers dans le cas où celle-ci mettrait en jeu son intégrité physique. Ainsi, quand bien même l’excision est une condition nécessaire dans certaines communautés pour que la femme se marie, le droit refuse cette atteinte à l’intégrité physique pour un motif religieux, y compris lorsque la femme y consent. En effet, comment déceler le passage d’une contrainte communautaire à un choix individuel relevant de la liberté de conscience ? Qualifiée aujourd’hui de mutilation, cette pratique sur un mineur de quinze ans entraîne par exemple la condamnation de ses auteurs à quinze ans de réclusion criminelle. Si le droit ne condamne pas la conviction religieuse de l’individu, il se refuse à tolérer les moyens choisis pour les exprimer, contribuant ainsi à protéger l’individu d’une contrainte communautaire qui pourrait mettre sa vie en danger. La distinction entre la conviction religieuse abstraite et ses manifestations concrètes permet ainsi au juge de respecter la liberté religieuse tout en protégeant l’individu face à une contrainte qui pourrait être de nature communautaire. Ce mode de raisonnement est également utilisé pour protéger un tiers d’une atteinte à ses droits et libertés.
En effet, si un changement de religion ne peut en soi causer le divorce, ce n’est pas le cas de ses conséquences concrètes dans le cas où serait constaté « un manquement grave ou renouvelé aux devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune »16 (par exemple par un refus de relations sexuelles pour un motif de chasteté ou par la participation régulière à des activités religieuses ayant pour conséquence de laisser le mari seul pendant la grande majorité des weekend). De plus, si les parents ont la liberté de décider pour l’enfant concernant la religion, la manifestation concrète de leur adhésion spirituelle est encadrée par le droit dans le but de protéger l’intérêt de l’enfant. Un père a par conséquent perdu son droit de visite pour avoir exigé de ses filles le port du voile et le respect de l’interdiction de se baigner dans des piscines publiques17. La Cour d’appel de Rennes a également condamné des parents ayant laissé leur enfant de six ans en Inde dans une école dirigée par des membres d’un culte appelé Shaja Yoga18. D’autre part, le droit protège le tiers d’un prosélytisme qui, s’il n’est pas répréhensible en soi, peut le devenir lorsqu’il est qualifié d’abusif. Un époux fut ainsi condamné pour avoir « obligé ses enfants à de longues prières et méditations » au point de « perturber l’état de santé et l’équilibre nerveux de sa femme »19. Le droit permet donc de lutter contre les atteintes à un tiers causées par la manifestation d’un choix religieux.
Enfin, le droit se permet de juger de la légitimité de la dérogation à la règle commune sous prétexte de l’incompatibilité du respect de cette règle avec les convictions religieuses de l’individu. Dans la volonté de respecter la liberté de conscience, le droit admet certaines exceptions via l’objection de conscience ou l’autorisation. Mais le système juridique décide seul de ces exceptions qui sont explicitement inscrites dans les textes. Ainsi, les pharmaciens ne peuvent se prévaloir de l’objection de conscience reconnue au personnel médical en matière d’interruption de grossesse20 pour refuser de vendre des contraceptifs hormonaux21. De même, l’autorisation de s’absenter pour célébrer une fête religieuse peut être accordée mais aucune automaticité n’existe, celle-ci devant faire l’objet d’une demande auprès de l’employeur qui peut refuser si cela nuit au fonctionnement du service. On voit, à travers cet exemple, la capacité du droit français à prendre en compte la nouvelle diversité religieuse en permettant la dérogation au cas par cas (la coïncidence entre les fêtes religieuses chrétiennes et les jours fériés permettait en effet d’éviter ce problème auparavant) tout en refusant d’en faire un véritable droit ou de circonscrire la délivrance de ces autorisations aux seules religions traditionnelles, permettant ainsi d’éviter la transformation de la société en une juxtaposition de communautés ayant chacun leurs droits spécifiques. Le principe reste donc l’impossibilité de déroger à la règle commune. Ainsi, lorsque vingt-cinq locataires de confession juive se sont plaints de la mise en place d’un digicode (l’utilisation de l’électricité étant interdite pendant le shabbat) la Cour de cassation a cassé la décision de la Cour de Paris d’accéder à leur demande, « les pratiques dictées par les convictions religieuses des preneurs » n’entrant pas « sauf convention expresse, dans le champ contractuel du bail et ne font naître à la charge du bailleur aucune obligation spécifique ». De même, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a réaffirmé récemment la force obligatoire des actes juridiques dans le cas où ils entreraient en conflit avec la conscience individuelle. En effet, un couple de propriétaires avait construit, pour la fête des cabanes, un édifice en végétaux dans le respect de la Torah. Or, l’assemblée générale de copropriété a décidé d’agir en justice, après délibération, pour enlever la cabane. La Cour donna raison au syndic, la cabane étant constituée de parois de canisses (interdit par le règlement de copropriété) et ne constituant pas un abri22. Par son souci de veiller au respect de la force obligatoire des actes juridiques, le droit français fait donc obstacle au communautarisme. Mais, cette volonté de préserver la société du spectre communautaire se traduit également par un encadrement de l’autonomie des institutions confessionnelles.
En effet, le droit, en dépit de l’autonomie qu’il reconnaît aux institutions confessionnelles, se réserve la capacité de décider de ce qui relève de sa compétence et ce qui est laissé aux différents cultes. A ce titre, la requête d’une religieuse voulant récupérer de l’argent confié à la responsable de sa congrégation n’a pas été rejetée par les juridictions civiles23. De même, une institution religieuse n’est pas en mesure d’empêcher ses membres d’exercer une autre activité professionnelle24, sous réserve de compatibilité entre leurs deux activités. Ainsi, la prétention d’un culte à établir une relation d’exclusivité avec ses membres est contrecarrée par le droit. De plus, lorsque l’activité effectuée pour l’institution religieuse n’a pas un caractère spirituel, le droit reconnaît alors l’existence d’un contrat de travail25.
De plus, l’autonomie institutionnelle des cultes est subordonnée au respect de l’ordre public et des droits et liberté des tiers. Ainsi, les juridictions ont admis la possibilité de sanctionner un tribunal rabbinique ayant retiré l’autorisation d’abattage rituel dans une intention de nuire26 tandis qu’un ministre du culte ayant prononcé un mariage religieux avant un mariage civil a été condamné en dépit du fait que ce sacrement avait été ordonné par son autorité hiérarchique27. Le droit protège donc les membres d’une institution religieuse d’un ordre normatif privé pouvant devenir oppressant en maintenant la prééminence de la règle commune et en s’assurant de considérer avant tout la nature abstraite de l’individu qui ne peut être réduit à sa dimension religieuse.
Pour finir, le droit s’octroie la possibilité de contrôler la nature culturelle des associations et la possibilité d’être reconnu comme une congrégation. Or, la décision d’octroyer ou non ces deux statuts est loin d’être sans conséquence : ils octroient notamment des avantages fiscaux et la possibilité de recevoir dons et legs. Ceci aura évidemment une grande influence sur la capacité de rayonnement de l’organisation. La reconnaissance de la qualité d’association culturelle est ainsi subordonnée à l’existence d’un objectif exclusif (organiser l’exercice d’un culte) et au respect de l’ordre public. Ainsi, l’association « Fraternité sacerdotale Saint Pie X » s’est vue refuser la possibilité de recevoir une donation de par son occupation illégale de certaines Eglises28. Concernant les congrégations, le refus peut être motivé par le non-respect de l’ordre public ou par le non-rattachement du culte « à l’un des grands courants spirituels de l’humanité »29. La possibilité de dissoudre l’association existe également, que ce soit suite à une décision administrative ou judiciaire. Encore une fois, la décision doit être motivée par des manifestations concrètes. Le droit s’est donc octroyé des moyens d’influer sur la capacité d’une organisation religieuse à rayonner tout en n’excluant pas les religions minoritaires.
Par le respect conditionné d’une sphère d’autonomie du fait religieux, le droit établit ainsi un équilibre entre liberté religieuse et maintien du lien social dans ce nouveau contexte. En conciliant le respect de grands principes (respect de la neutralité du droit grâce à la distinction entre la conviction religieuse abstraite et ses manifestations concrètes) avec un pragmatisme certain (exemple des autorisations), il lutte contre le communautarisme tout en respectant la liberté religieuse, contribuant à l’existence d’une République qui, sans prétendre établir l’uniformité, refuse la vision d’une société constituée d’une juxtaposition de communautés. Mais ce souci de conciliation est difficile dans ce nouveau contexte, entraînant de nombreuses difficultés qui diminuent l’efficacité du droit dans sa tentative de repousser le spectre du communautarisme, difficultés devant pousser les acteurs du droit à s’interroger sur l’opportunité de cette démarche ainsi que sur les évolutions qui pourraient être mises en place.
Dans un contexte de diversification et de radicalisation des religions, les acteurs du droit sont tentés de rompre cette conciliation du respect de la neutralité avec le pragmatisme du fait des difficultés nouvelles que cette conciliation sous-tend. En conséquence, le droit français tente de trouver de nouvelles solutions mais la nature ambiguë de celles-ci ne devrait pas lui permettre d’éviter longtemps cette question fondamentale : pour être efficace dans sa lutte contre le communautarisme, l’abandon du principe de neutralité est-il nécessaire ?
Le droit est essentiellement confronté à deux difficultés. La première est d’éviter la contradiction entre sa neutralité affichée et la pratique du droit. La deuxième est l’impuissance de ses sanctions.
Le droit est confronté à ses propres contradictions. En effet, alors que le contexte dans lequel il évolue a changé, il doit pourtant maintenir la neutralité lorsqu’il octroie certains droits. Mais cela entraîne de nombreuses difficultés pratiques. Comment faire en effet lorsque, dans une société médiatique, les cultes demandent d’avoir la possibilité d’accéder à la télévision publique ? Le législateur a tranché par la loi du 30 septembre 1986 qui, dans son article 56, dispose que la chaîne France 2 a l’obligation de diffuser chaque dimanche matin des émissions religieuses consacrées aux cultes ayant le plus grand nombre de pratiquants30. De ce fait, seuls les cultes catholique, musulman, protestant, judaïque, chrétien orthodoxe et bouddhiste y ont accès, sous prétexte de leur représentativité. Ce véritable « droit de passer à la télévision sur une chaîne publique » créé donc une inégalité de fait entre des cultes prétendument représentatifs (mais sur quels critères ?) et ceux qui ne peuvent se prévaloir d’autant d’adeptes, inégalité consacrée par un droit qui a pourtant pour tradition de se refuser à distinguer les cultes.
De même, on ne peut que s’interroger sur le traitement de la circoncision par le droit. En effet, cette pratique semble bien constituer une atteinte à l’intégrité du corps humain qui peut être assimilée à une véritable mutilation sexuelle pour motif religieux, ce qui est en contradiction avec l’article 16-3 du Code civil disposant qu’il « ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ». Or, la circoncision rituelle n’a jamais été mise en cause par le droit (sauf, par exemple, dans le cas où l’un des deux parents y était opposé). Au contraire, cette pratique est remboursée par la sécurité sociale et s’effectue dans bien des cas à l’hôpital. Pourtant, des complications ont déjà entraîné le décès de certains enfants. De plus, il convient de rappeler que « le corps est un conducteur de symboles »31. L’enfant circoncis sera ainsi marqué à vie par la volonté de ses parents de le faire appartenir à un mouvement religieux donné, l’évocation du génocide suffisant à montrer l’importance de cette décision, sans oublier les problèmes que pourront poser ces marqueurs identitaires lors d’un éventuel changement de religion. Il est aisément compréhensible que le droit veuille faire preuve de pragmatisme face à un rite millénaire qu’il a toujours toléré. Mais lorsque, dans un contexte de diversification et de radicalisation des religions, celui-ci se permet d’interdire d’autres pratiques comme l’excision, la question de sa neutralité se pose alors avec force. Pour pouvoir se montrer ferme face à des pratiques inacceptables comme l’excision, le droit ne peut se permettre d’être accusé de partialité. En effet, c’est bien comme cela que sera perçu cette tolérance par les populations qui se voient interdire la pratique de l’excision. Les injustices subies par une communauté poussant inévitablement celle-ci à se replier sur elle-même, il y a là un risque de renforcer le sentiment communautaire, et donc le communautarisme.
Enfin, nous avons vu que le droit, pour concilier le respect de la neutralité du droit face aux différents cultes avec le maintien le lien social, opérait une distinction entre la conviction religieuse abstraite et ses manifestations concrètes. Or, cette distinction peut sembler difficile dans de nombreux cas. Les différents débats sur le port du voile au sein de l’espace public peuvent facilement mettre en évidence cette difficulté. En effet, nombre de commentateurs justifient l’interdiction du voile par le fait que celui-ci serait le symbole de l’abaissement de la femme. Or, ceci suppose « une interprétation de la symbolique religieuse qui est attentatoire à la liberté de conscience »32. Le Conseil d’Etat a ainsi rappelé en 1989 que la liberté de conscience donne aux élèves « le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires »33. De ce fait, le Conseil d’Etat se refusait d’interdire par principe le voile dans les écoles mais, dans la pure tradition du droit français, conditionnait son acceptation au fait, par exemple, de ne pas contrevenir à l’obligation de scolarité, qui s’impose tant à l’Etat qu’aux élèves. Ainsi, le voile ne pouvait être accepté pour excuser l’absence lors d’un cours de sport de deux jeunes filles. On voit ici que la frontière est parfois difficile à déterminer, le droit ayant pour principe de laisser une autonomie aux différents cultes dans l’interprétation et la signification de la doctrine. Mais le droit doit également faire face à un autre problème : l’impuissance de ses sanctions.
Cette impuissance est particulièrement visible à travers trois exemples. Le premier est celui de la lutte contre l’excision. En effet, l’excision est pratiquée, dans la majorité des cas, à l’intérieur même de la communauté. Par conséquent, ces pratiques ne sont bien souvent pas dénoncées puisque considérées comme légitimes par les membres de la communauté en question. D’autre part, certains professionnels de la santé ou du secteur social hésitent à dénoncer ces pratiques par crainte de perdre la confiance de la communauté en question, aggravant ainsi les risques encourus par les enfants subissant ces pratiques. Mais le plus significatif reste peut-être la grande variété des sanctions prises par les juges (allant de la prison ferme à l’acquittement pur et simple34) qui pourrait témoigner « d’un certain malaise des juges »35. En effet, de nombreuses questions se posent quant à l’efficacité de cette répression. Si le droit a traditionnellement été le bras armé de l’Etat face à l’Eglise en France, il faut accepter que son action isolée ne pourra faire évoluer les mœurs de ces populations qui, bien souvent, ne comprennent pas qu’on leur refuse cette pratique ancestrale. Par conséquent, la prévention, l’éducation et plus généralement l’ensemble du travail d’intégration sont nécessaires pour éradiquer ces pratiques. Dans le cas contraire, cette interdiction ne sera vécue que comme une injustice susceptible d’entraîner, contrairement au but initial, un repli de la communauté sur elle-même.
Le deuxième exemple est celui de la lutte contre les mariages forcés. Certes, le nouvel arsenal législatif mis en place pour mettre fin à cette pratique ne peut qu’être salué mais la Commission nationale consultative des droits de l’homme a dénoncé que nombre de jeunes filles se voient imposer un mariage selon des règles coutumières qui n’entraîneront un mariage civil que plusieurs années après. Là encore, il est évident que le droit seul ne peut rien. Si le fait de dénoncer ces pratiques par la mise en place d’une loi permet de réaffirmer les valeurs républicaines, l’effectivité de ces dispositions législatives suppose un travail d’intégration sans lequel rien ou presque n’est possible.
Enfin, l’exemple de la lutte contre la discrimination religieuse illustre l’impuissance du droit. Là encore, le législateur est à l’origine de nombreux textes la sanctionnant. On peut, par exemple, citer l’article L. 122-45 du Code du travail qui, sous peine de nullité, interdit de licencier, de sanctionner ou d’écarter de la procédure de recrutement d’un salarié pour motif religieux. Mais le très faible nombre de condamnations prononcées laisse penser que la difficulté d’établir la preuve de la discrimination n’est pas aisément surmontable, sauf dans le cas où l’employeur l’a exprimé de manière tangible. Ainsi, un employeur a été sanctionné pour avoir mis fin à la période d’essai de son employé au motif (explicitement inscrit dans son contrat de travail) que sa nationalité ne pouvait convenir36. Même un nouvel aménagement de la charge de la preuve ne pourrait résoudre ces problèmes puisque la décision d’embaucher contient nécessairement une appréciation subjective, ne permettant donc pas d’utiliser la méthode analogique pour prouver l’existence d’une discrimination. Or, les discriminations pour des motifs religieux, notamment vis-à-vis des populations de confession musulmane, est une réalité qui, si rien n’est fait, ne pourra que renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté religieuse, ce qui à terme peut sensiblement aggraver le problème du communautarisme. Le droit seul ne pourra résoudre tous ces problèmes. Mais cette impuissance est à l’origine de nouveaux dispositifs législatifs qui, par leur approche, sont en rupture avec cette tradition de conciliation que nous avons longuement décrite.
Cette tentation de la rupture n’est pas récente. Un premier exemple flagrant de cette idée d’abandonner le principe de neutralité pour lutter contre le communautarisme fut donné en 1987. Si une circulaire ministérielle n’a aucune valeur juridique, elle peut néanmoins permettre de percevoir une évolution qui, dans le cas présent, est très claire. Or, à la suite de cette circulaire, les préfets, lorsqu’ils doivent décider de la possibilité d’octroyer le statut d’association culturelle, doivent non seulement contrôler si l’association remplit les conditions prévues par la loi de séparation du 9 décembre 1905 mais également si que celle-ci respecte les libertés publiques, l’intérêt national et l’ordre public. Mais la grande nouveauté vient du fait que les préfets doivent transmettre leur dossier au ministre « dans tous les cas où la demande émane d’une association ne se réclamant pas des cultes traditionnels (catholique, protestant, israélite, orthodoxe, musulman et bouddhiste) »37. Même si, répétons le, cet acte n’a aucune valeur juridique, cela traduit en pratique une évolution préoccupante consistant à ne plus seulement prendre en compte le fait religieux mais au contraire introduire un traitement différencié en fonction de chaque culte, selon une distinction arbitraire entre les cultes « traditionnels » et ceux qui ne le sont pas.
Mais le plus grand symbole de cette rupture reste la loi sur le port de signes religieux à l’école de 2004. Par cette loi, le législateur a expressément interdit le port “dans les écoles, les collèges et les lycées publics, […] de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse”38. Pour mieux comprendre l’objectif du législateur, il faut tout d’abord revenir sur le rapport du 11 décembre 2003 de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République. En effet, cette loi n’a fait en réalité que traduire les conclusions de cette commission qui préconisait l’interdiction des signes distinctifs à l’école. La Commission note ainsi, lors de son analyse de la décision du Conseil d’Etat que nous avons précédemment mentionnée, que celui-ci « ne mentionnait pas la question des discriminations entre les hommes et les femmes », remarquant au passage « l’évolution des termes du débat en quinze ans ». Reconnaissant par ailleurs que « la jurisprudence est loin d’être laxiste », il considère qu’une des trois difficultés qu’elle a rencontrée est que « le juge n’a pas cru pouvoir entrer dans l’interprétation des signes religieux », précisant « qu’il s’agit là d’une limite inhérente à l’intervention du juge ». Considérant implicitement qu’il ne s’agit pas d’une limite pour le législateur, la Commission déclare que le port du voile « est une atteinte aux principes et aux valeurs que l’école doit enseigner, notamment l’égalité entre les hommes et les femmes » et que « ces jeunes femmes ont besoin d’être protégées » tout en reconnaissant que certaines portent volontairement le voile. Ainsi, au terme de son analyse, la Commission « estime qu’aujourd’hui la question n’est plus la liberté de conscience mais l’ordre public ». En des termes particulièrement explicites, la commission a donc enterré l’idée d’une conciliation entre liberté de conscience et ordre public, conciliation dont on a vu qu’elle était à la base de l’approche du fait religieux par le droit français. En proposant d’analyser la question du port du voile non plus sous l’aspect de la liberté de conscience (ce qui n’a jamais été le cas, le Conseil d’Etat ayant au contraire maintenu un équilibre entre liberté de conscience et ordre public) mais sous celui de l’ordre public tout en acceptant d’interpréter la signification d’un signe religieux, elle se place en rupture totale avec l’approche traditionnelle. Si, dans la loi, les apparences sont sauves puisque la kippa et les grandes croix sont également interdites, la réalité est que la loi vise spécifiquement la communauté musulmane. En effet, on ne peut défendre sérieusement l’idée que l’interdiction des grandes croix a été prise en raison de la lutte pour l’égalité homme-femme alors que les discussions des deux assemblées montrent que l’interdiction du voile fut essentiellement décidée dans ce but. La volonté de sauver les apparences manifeste au contraire l’hésitation d’un législateur face à la perspective d’abandonner le principe de neutralité de la République vis-à-vis des cultes au nom de la lutte contre le communautarisme. Pourtant, ce principe est, dans son esprit même, l’incarnation de la lutte contre toute forme de communautarisme puisque, en refusant de stigmatiser une communauté, le droit évite de pousser les membres de celle-ci à se replier sur eux-mêmes.
Une autre initiative manifeste également la tentation de la rupture. Traditionnellement, le droit d’agir en justice est subordonné à l’exigence d’un « intérêt personnel et direct au succès ou au rejet d’une prétention », empêchant ainsi les communautés croyantes d’accéder à la personnalité juridique, le droit considérant la société comme une association d’individus libres. Cela peut avoir des conséquences regrettables, la Cour d’appel de Paris ayant par exemple relaxé l’auteur d’écrits invitant à « une saine méfiance envers les juifs » et prônant « un antisémitisme raisonnable »39. Mais le droit n’est pas resté insensible à ces problèmes en modifiant sa position par rapport aux associations qui ont pour particularité de « chercher à représenter une classe entière de personnes, sans que ces dernières soient nécessairement membres de l’association »40. Si la Cour de cassation a réaffirmé avec force l’irrecevabilité de l’action civile des associations voulant défendre l’intérêt collectif qu’elles incarnent devant les juridictions pénales, certaines juridictions civiles ont atténué les conditions nécessaires à cette action. Premièrement, les juridictions civiles admettent une « défense regroupée »41 des intérêts individuels des membres de l’association dans le cas où cela est prévu dans les statuts de l’association et où l’atteinte aux intérêts individuels des membres de l’association est établie. Néanmoins, « les arrêts ne se livrent pas à une analyse au cas par cas de la situation de chaque membre pour vérifier qu’il a bel et bien subi un préjudice, la réalité du préjudice est appréciée de façon très globale et impersonnelle »42. Il s’agirait donc, dans bien des cas, d’un moyen détourné pour l’association de représenter des intérêts collectifs abstraits. Mais surtout, le tribunal de grande instance de Paris a accueilli favorablement la demande de l’association Saint Pie X visant à enlever les affiches du film « Ave Maria » représentant une femme attachée à une crois seins nus, déclarant qu’elle était habilitée à agir « dès lors que, soit par leurs statuts, soit par leur titre personnel fondé sur une croyance individuelle propre, elles entendent défendre, par les seules voies de droit, les principes et dogmes constituant la religion et la morale catholique et invoquer pour ce faire un intérêt moral tenu pour légitime par les règles de la vie sociale française »43. Cette décision a entraîné un accès massif de ce type d’association au prétoire. Pourtant, en confiant aux magistrats le soin de déterminer la légitimité de la demande des associations, cette pratique présente le risque majeur de marginaliser encore d’avantage les cultes minoritaires. D’autre part, ce mouvement contribue à confirmer le jugement du doyen J.Carbonnier selon lequel « l’idéal national dont l’Etat était gardien s’est pulvérisé en une multiplicité d’idéaux particuliers »44. Certaines associations autorisées à agir en justice en prétendant représenter les intérêts des adeptes d’un culte particulier favorisent la vision d’une société composée de différentes communautés aux intérêts propres. Pourtant, d’autres voies sont envisagées pour lutter contre le spectre du communautarisme.
En effet, de par le fait que « l’épanouissement de la dimension collective du fait religieux suppose l’exercice d’activités sociales en conformité avec un idéal spirituel, librement déterminé »45, le droit reconnaît la spécificité des entreprises de tendance qui peuvent exiger que leurs salariés soient en adéquation avec les valeurs de l’entreprise. Ainsi, l’assemblée plénière de la Cour de cassation avait considéré, contrairement à la chambre mixte46, que la décision d’un employeur de licencier une enseignante d’un établissement catholique en raison de son remariage après un divorce était justifiée. Or, depuis cet arrêt, la jurisprudence s’est montrée nettement plus protectrice des libertés. Ainsi, la Cour de cassation a cassé la décision d’une Cour d’appel ayant accepté le licenciement de l’aide sacristain par une association religieuse en raison de son homosexualité. En effet, celle-ci a rappelé que l’employeur ne peut « congédier un salarié pour le seul motif tiré de ses mœurs ou de ses convictions religieuses » mais peut en revanche « procéder à un licenciement qui, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière »47. On voit ici que la recherche d’une voie médiane entre respect de la liberté de conscience et de la nature des entreprises de tendance via la nécessité d’apporter des éléments objectifs prouvant l’existence d’un trouble caractérisé a permis de diminuer l’emprise de ces entreprises sur leurs salariés.
En conclusion, le droit français, par le maintien d’un subtil balancement entre liberté religieuse et maintien du lien social, contribue encore fortement à la lutte contre le communautarisme. Néanmoins, les difficultés qu’il rencontre dans un contexte de diversification et de radicalisation des religions pousse le législateur et les juges vers la rupture avec le principe de neutralité de la République vis-à-vis des cultes. Mais ceux-ci se doivent de garder à l’esprit que le droit ne peut résoudre à lui seul le problème du communautarisme et que le durcissement de l’attitude du droit face aux cultes ne signifie pas nécessairement l’abandon du principe de neutralité et de la recherche permanente d’une conciliation de la liberté religieuse avec le maintien de lien social, tout recul en la matière poussant au contraire les communautés à se replier sur elles-mêmes de par la contradiction qu’elles observent entre le maintien affiché par la République de sa neutralité et divers dispositifs législatifs. A l’heure où le risque communautariste se fait de plus en plus pressant, il faut trancher. J’espère que les divers éléments de cet article, écrit peu avant le débat sur la burqa, pourront contribuer à votre réflexion sur cette question brulante alors que de nombreux arguments avancés par certains députés (celui, par exemple, de l’absence de mention, dans le Coran, de la nécessité de porter la burqa) sont tout simplement hors de propos (si le port de la burqa pose un problème avéré d’ordre public, alors peu importe que sa pratique soit imposée ou non par le Coran, l’Etat n’ayant pas pour rôle d’interpréter les saintes écritures mais de rester neutre tout en veillant au respect de la loi) dans une République se réclamant de la loi de 1905 mais qui semble de plus en plus regretter la défaite de Maurice Allard face à Aristide Briand. Sur ce sujet, les réflexions de Jean Baubérot sont toujours d’un grand secours (http://jeanbauberotlaicite.blogspir...).
Pour aller plus loin :
Ouvrages :
- « Le fait religieux en droit privé », Myriam Pendu, lextenso éditions, 2008
- « Le communautarisme : la République divisible ? », A.Rabagny-Lagoa, Transversale Débats, 2007
Articles :
- « Le juge, gardien du pluralisme confessionnel », Vincent Fortier, RRJ, 2006-3
- « Les incertitudes juridiques de l’identité religieuse », in V. Fortier et S. Lebel-Grenier (Dir.), Le droit à l’épreuve des changements de paradigmes, PU de la Faculté de droit de Montpellier, 2008
- « Le juge et la laïcité », Yves Madiot, Pouvoirs n°75, p. 73-84, 1995
- « Le droit et le fait religieux dans un système laïc », F.Drummond in Droit et Religion, éd. Bruylant, 2003
1Vincent Fortier, « Les incertitudes juridiques de l’identité religieuse », (2008) 38 R.D.U.S
2Art.9 de la Convention européenne des droits de l’Homme, art.18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, art.2 de la Constitution de la Ve République etc.
3Civ. 1Ère, 13 avril 1992, Bull. Civ I, n 119, p. 81
4Amin Maalouf, « Les identités meurtrières », Paris, Le Livre de poche, 2007 à la p.8
5Orléans, le 23 janvier 1992, JCP 1993, II, 22065
6Myriam Pendu, « Le fait religieux en droit privé », lextension, 2008 à la p.28
7Civ. 1re, 2 Décembre 1997
8Crim. 30 juin 1987, pourvoi n 86-91.014
9Paris, 13 juillet 1977, D. 1977, p. 273
10Trib. Civ. Epinal, 11 mai 1907, D. 1910, 2 p. 279
11CE, 17 octobre 1980, AJDA 1981, p. 256
12TA Caen, 16 juillet 1959, Rec. p. 837
13Civ., 24 décembre 1912, S. 1913, 1, p. 377
14CAA Paris, 9 juin 1998 (2 espèces), RFDA 1998, p. 1231
15G. Pellissier, note sous CAA Paris, 9 juin 1988
16Art. 242 C. civ., modifié par la loi n 2004-439 relative au divorce entrant en vigueur le 1er janvier 2005
17Civ. 1re, 24 octobre 2000
18Rennes, 18 fevrier 1993, JCP 1994, II, 22210
19Civ. 2e, 19 juin 1975
20Art. L. 2212-8 CSP.
21Crim. 21 octobre 1998, JCP 1999
22Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 18 janvier 2005, jurisdata n 2005-25078
23Rennes, 2 février 1953, D. 1953, p.20
24Soc. 20 décembre 1990, Bull. Civ., V, n 200
25Soc. 6 mars 1986, Bull. Civ., n 81
26TGI Paris, 29 octobre 1976, JCP 1977, II, 18664
27Trib. Pol. Dunkerque, 9 mars 1972, JCP 1972, II, 17215
28CAA Paris, 9 mai 2000, Ministère de l’Intérieur c/ Association « Fraternité sacerdotale Saint Pie X, RFDA 2001, p224
29Associations, Dalloz Action, dir. E. Alfandari, Paris, 2000, n6222 p. 1074
30Art. 19 du cahier des charges
31 Vincent Fortier, « Les incertitudes juridiques de l’identité religieuse », (2008) 38 R.D.U.S
32D. Kessler « Du combat au droit », Le débat, p. 95., spéc, p. 99
33CE, Ass. Plén., Avis, 27 novembre 1989, RFDA 1990, p 1
34Le Monde, 17 septembre 1994
35V. Fortier, Justices, religions et croyances
36Crim. 14 octobre 1986, D. 1986, IR p. 460
37v. Prelot, « Le secte en droit administratif », in Les « sectes et le droit en France, sous la direction de F. Messner, PUF, 1999, p. 147
39Paris, 26 mars 1952, D. 1952, p342
40PH. Didier, De la représentation en droit privé, LGDJ, 2000 p. 356
41S. Guinchard, Le rôle et la participation des associations dans l ’action en justice en matière civile en droit français, p. 13, spéc. p. 17
42L. Boré, La défense des intérêts collectifs par les associations devant les juridictions administratives et judiciaires, préc., n 106, p. 90
43Aff. Ave Maria : TGI Paris, 23 octobre 1984, D. 1985
44J. Carbonnier « De minimis non curat praetor », Mélanges dédiés à J. Vincent, 1981, p. 29
45Myriam Pendu, « Le fait religieux en droit privé », lextension, 2008, p.331
46Ch. Mixte 17 oc. 1975
47Soc. 17 avril 1991, JCP 1991, II, 21724
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