Le feu sacré
Rompre le pain ou ses vœux.
Il était une fois un jeune prêtre, bon comme un ange, qui hérita d'une petite paroisse perdue dans le Ségala. Il s'appelait Honoré, un prénom qui sans doute allait expliquer le basculement de son destin. Nous sommes en 1793, le temps n'est pas propice à celui qui veut porter la parole du Seigneur sans se soucier de jurer fidélité à la Révolution.
Nous sommes dans l'Aveyron, département profondément catholique. Honoré ne veut pas abjurer sa foi : il préfère, comme beaucoup de ses collègues, choisir la clandestinité. Il trouve facilement tout autour de lui, de braves gens disposés à le cacher, à le protéger des dragons qui font la chasse aux réfractaires.
Honoré ne renonce pas à célébrer la messe. Malgré le danger, les dénonciations toujours possibles, le risque d'être surpris, il organise des offices dans quelques granges à l'écart des principaux chemins. Il se sait poursuivi, il se sait menacé et a choisi de se terrer dans un four à bois plutôt que chez ses fidèles, espérant ainsi ne pas leur faire subir les foudres de la justice en cas de découverte de sa pauvre personne.
Le four à bois appartient à la famille Vabre. Nous sommes dans le petit hameau de Sever, à quelque distance de l'église de Castanet. Le brave Honoré se cache dans la partie enterrée du four à bois, là où l'on entasse les fagots. Il dispose d'une petite porte qui lui permet de se sauver par derrière pour voir ce qui se passe de l'autre côté en regardant au travers du foyer.
Son existence va basculer alors qu'un détachement militaire s'aventure dans le hameau. Les soldats établissent leur campement juste devant le four. Sa présence ragaillardit les hommes, fourbus par de longues courses et un confort incertain. Ils décident de profiter du four pour se faire cuire quelques fougasses et un peu de pain.
Les cavaliers pénètrent dans la réserve prennent du bois, sans remarquer le pauvre Honoré qui a réussi à se dissimuler à leur vue. Le jeune curé tremble de peur. Il murmure quelques prières, appelant Dieu à son secours. Juste au-dessus de sa modeste cachette, il a deviné ce qui se trame. Les feux de l'enfer lui sont promis et nulle possibilité de se sauver : le campement entoure le four.
Les heures passent, interminables. Une chaleur de plus en plus insupportable se fait sentir dans son terrier. Honoré se dévêt pour supporter du mieux possible la fournaise. Le voilà nu comme au jour de sa naissance ; il sue à grosses gouttes, il suffoque, il pense que sa dernière heure a sonné. Il marmonne une dernière prière, prie la Vierge Marie de venir à son secours avant de perdre connaissance.
Les heures s'écoulent . Honoré toujours inconscient, devine une présence à ses côtés. Une femme, une jeune femme, belle comme un soleil, tendre, souriante. Elle se penche sur lui. Dans sa foi naïve, Honoré est persuadé d'être arrivé au paradis, accueilli par Marie en personne. Honoré, dans une sorte d'extase, ne cesse de susurrer « Marie, Marie, ma tendre Marie, accueille-moi en ton sein ! » Transporté de joie, il se réveille, tend les bras vers la Sainte Vierge et l'enserre si fort que la jeune fille a une petit mouvement de recul.
Ce n'est qu'un mouvement de surprise. La jeune diablesse est, en fait, une jeune vachère inquiète pour le gentil et si joli curé qui lui a fait tourner les sens. Quand la soldatesque a décampé enfin, elle s'est glissée dans la réserve à bois du four . Si heureuse de le retrouver bien vivant, emportée par son désir, subjuguée par la beauté et la nudité de ce garçon qui, pour elle, n'est plus vraiment l'homme en soutane qu'elle respectait jusqu'alors, elle répond à sa prière, le prend tout contre sa poitrine.
Ce qui se passa sous le four à bois se passe d'explications. Le corps a parfois des raisons que la religion ignore. Honoré perdit son pucelage et elle ne fut plus vierge, Marie, car tel était le doux prénom de la demoiselle. Elle expliquerait plus tard qu'elle avait perdu la tête devant la tendre et naïve imploration du jeune homme et l'avait exaucée sans l'ombre d'un regret.
Honoré ne put garder ce péché en lui ; il assuma la folie qui avait été la sienne. Il quitta la robe, en une période si troublée que beaucoup comprirent sa décision. En souvenir de son premier passage au paradis, il épousa Marie et se fit boulanger dans le hameau de Sever.
Honoré aima Marie toute sa vie ; ils eurent des enfants et vécurent aussi heureux que possible dans cette région marquée par la misère et la rudesse de l'existence. Toute sa vie il rompit le pain et ne cessa d'en offrir aux nécessiteux. La femme du boulanger fut, quant à elle, femme fidèle et mère aimante. Voilà l'histoire de ce four à pain de Sever qui demeure encore dans la même famille. Sans doute que les gens du hameau ignoraient tout de ce récit. Buvons le vin en souvenir d' Honoré et de Marie.
Cénement sien.
C'est ainsi que, Grâce à Nicolas de Sever, je découvris que le bahut qui trône dans ma salle à manger et dont je savais qu'il avait servi d'autel à un prêtre réfractaire, fut celui dont se servit Honoré avant que de préférer l'amour de Marie à celui de Dieu. Il se réfugiait parfois dans le hameau du Bourguet pour faire son office secret. La vie est ainsi pleine de surprises. Celle qui transforma le destin du brave Honoré n'étant pas des moins agréables.
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